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Enquête

Des vagues de départs qui arrangent bien les entreprises

Enquête | publié le : 01.09.2006 | Éric Béal

Les grands groupes mettent à profit les départs massifs à la retraite pour faire des gains de productivité. Remplaçant les partants avec parcimonie, ils rééquilibrent leur pyramide des âges, se dotent de nouvelles compétences sans pour autant licencier.

Le papy-boom n'a pas donné beaucoup de travail aux recruteurs du groupe Legrand. D'une part, le fabricant de petits équipements électriques a lissé le choc attendu par une vague de préretraites – 650 personnes sont parties entre 2002 et 2005 dans le cadre d'un dispositif de cessation anticipée d'activité de salariés âgés (Casa) – et, d'autre part, ces départs se sont traduits par des suppressions d'emplois massives. « Nous avions besoin de faire évoluer notre organisation industrielle, justifie François Frugier, le DRH. Grâce aux départs en préretraite, nous avons pu spécialiser et rationaliser nos sites français. Nous avons également sous-traité une partie de la fabrication de nos composants. » Résultat : en quatre ans, Legrand, qui emploie plus de 8 000 salariés en France (sur un total de 30 000), a supprimé en douceur 964 postes de travail.

Cette course aux gains de productivité risque fort de se reproduire dans beaucoup d'autres secteurs. L'enquête sur les effets du choc démographique, quatrième du genre, réalisée par la Cegos au printemps, en atteste. Près d'un tiers (32 %) des DRH interrogés confirment leur intention de profiter du départ des baby-boomers pour tailler dans leurs effectifs, tandis qu'un sur sept seulement (14 %) pense augmenter le nombre de ses employés. « Les grandes entreprises analysent le papy-boom comme une occasion de redimensionner leurs effectifs à la baisse ou d'adapter les compétences de leurs équipes à l'évolution du marché », indique Jean-Michel Brunet, consultant en ressources humaines à la Cegos. Dans l'assurance, le papy-boom pourrait aboutir à une véritable hécatombe, selon Gérard Lobjeois, de l'Observatoire de l'évolution des métiers de l'assurance : « Les groupes d'assurance vont détruire de l'emploi dans les back-offices, les services administratifs qui élaborent les contrats. L'utilisation de nouveaux programmes informatiques rend le savoir-faire des employés obsolète et les départs à la retraite ne seront pas remplacés. »

Seule bonne nouvelle, les assureurs en profitent actuellement pour muscler leur front-office, les services commerciaux chargés d'accueillir les clients, en recrutant de jeunes diplômés. Pour Catherine Rousseau, consultante à la tête du réseau RHSeniors, ce mouvement est général. « Les quinquas qui partent à la retraite avaient très peu de formation initiale, alors que les juniors recrutés sont très bien formés. » Un constat qui ne laisse pas d'inquiéter sur les chances des non-qualifiés de s'insérer sur le marché du travail dans les années à venir…

Plutôt que de subir le choc démographique, beaucoup de DRH ont pris les devants. Une très large majorité d'entre eux (82 % selon l'enquête Cegos) ont procédé à des mises en préretraite et à des départs anticipés au cours des dernières années. Chez France Télécom, fonctionnaires et salariés de droit privé ayant vingt-cinq ans d'ancienneté peuvent prendre à partir de 55 ans un congé de fin de carrière et cesser leur activité professionnelle en bénéficiant de 70 % de leur dernier salaire. Pris en charge par l'entreprise, le dispositif, qui court jusqu'au 31 décembre 2006, permettra à environ 39 000 salariés de jouir d'une préretraite maison. Coût pour l'entreprise, 4,18 milliards d'euros. Comme l'opérateur téléphonique, d'autres entreprises ont incité leurs seniors à partir plus tôt. À la suite du rattachement de ses personnels à la convention collective du transport aérien en mai dernier, Air France pousse ses salariés âgés de 60 ans vers la sortie.

Un avenant étendu par le gouvernement en avril 2005 prévoit la mise à la retraite d'office de tous les salariés pouvant bénéficier d'une retraite à taux plein. En contrepartie, le texte préconise une embauche en CDI seulement pour deux départs, voire trois en cas de signature par les syndicats d'un accord sur l'emploi et la mobilité. Autant dire qu'à activité constante les effectifs de la compagnie aérienne devraient subir une cure d'amaigrissement.

Chez le fabricant de pneus Michelin, Frantz Bléhaut, le DRH, a signé une convention pluriannuelle de cessation d'activité pour la période 2002 à 2007. Fin 2005, 4 900 salariés français en avaient profité pour quitter l'entreprise. Renault, comme Legrand, a mis en place des plans de départ anticipé grâce à un accord Casa. Dans les deux cas, le flot des départs naturels a été sensiblement asséché par les sorties anticipées, mais ce n'est que partie remise. « Les départs massifs auront lieu dans quelques années, explique Jean-Michel Kerebel, directeur central des RH de Renault. Ils concerneront essentiellement les populations de techniciens et d'ouvriers. Dès 2008, 800 à 900 salariés partiront à la retraite chaque année et nous passerons de 15 % à 21 % des salariés âgés de plus de 55 ans. »

Anticipées ou pas, ces vagues de départs à la retraite donnent l'occasion aux entreprises de rééquilibrer leur pyramide des âges ou d'adapter les compétences de leurs équipes à l'évolution de leur marché. Michelin investit ainsi 300 millions d'euros par an pour moderniser ses lignes de production et réaliser des gains de productivité. « 6 300 salariés partiront à la retraite d'ici à 2010, précise Frantz Bléhaut. Tous ne seront pas remplacés. »

Chez France Télécom, le solde des arrivées et des départs est négatif. « Les congés de fin de carrière constituent, depuis 1996, un des leviers majeurs de restructuration de l'emploi, explique Guy-Patrick Cherouvrier, DRH France. Mais ce n'est pas le seul. Parallèlement aux 39 000 départs en congé de fin de carrière, nous avons recruté 34 000 jeunes diplômés, de manière à disposer des compétences techniques et commerciales indispensables pour nos nouveaux métiers : les mobiles, Internet et la télévision sur ADSL. »

Pour remplacer ceux qui partent à la retraite, 83 % des DRH interrogés par la Cegos privilégient la mobilité interne. De quoi constituer de belles opportunités de carrière. Mais ce sont autant de postes qui ne seront pas proposés sur le marché du travail

Dans la banque, les effectifs se maintiennent, voire augmentent, sous l'effet d'une politique commerciale agressive qui voit les ouvertures d'agence se multiplier. Ce qui ne rassure pas Alain Triviglio, délégué syndical CFDT à la Société générale. « Les départs à la retraite ont été compensés par des recrutements en nombre similaire. Mais les nouveaux venus ne sont jamais destinés au back-office ; le réseau recrute des commerciaux et des spécialistes de la finance. Dans les services administratifs, c'est l'introduction de nouveaux logiciels accélérant la préparation des offres de prêt qui pallie les départs. »

Une politique assumée par la banque, qui s'est attaché les services du cabinet Proudfoot Consulting pour réaliser des gains de productivité. Objectif, réduire de 20 % le nombre de salariés affectés aux back-offices alors que le nombre de pôles administratifs a déjà baissé de 200 à 23. À moyen terme, il est probable que les 33 000 salariés du réseau verront leur nombre se réduire drastiquement. Alors qu'un millier d'entre eux atteint l'âge de la retraite chaque année, cette proportion approchera les 3 000 personnes en 2012 et 2013. D'ici à huit ans, 30 % des effectifs devraient être partis à la retraite.

« Les entreprises entrent dans des dispositifs négociés très lourds, visant à définir l'évolution des métiers et celle de leurs salariés », assure Xavier Lacoste, directeur associé d'Altedia. Exemple, l'accord triennal sur l'emploi et la mobilité géographique et professionnelle, soumis par la direction d'Air France à la signature des partenaires sociaux cet été. « Avec l'e-enregistrement pour l'achat et l'enregistrement des billets et, demain, l'e-embarquement pour l'enregistrement automatique des bagages, le premier salarié d'Air France que le passager rencontrera demain sera le personnel navigant commercial de l'avion », explique Michel Barrier, représentant CGT.

Alors que beaucoup d'agences commerciales ont déjà été fermées et que le nombre de centres de réservation téléphonique a diminué de huit à trois en dix ans, le syndicaliste note que l'accélération des départs à la retraite va particulièrement toucher les escales de province, les personnels d'Orly et l'entretien des avions. Françoise Mataillet, responsable de la politique de l'emploi à la DRH des personnels au sol d'Air France, se veut pourtant rassurante. « Le nouvel accord concerne clairement les projets de changement et de transformation de l'entreprise. Nous voulons faire évoluer les métiers de notre population active et nous espérons que la croissance nous permettra d'absorber les réorganisations nécessaires sur deux ou trois ans. »

Les craintes sur les dégâts du papy-boom se nourrissent aussi de la propension des DRH à privilégier la mobilité interne. C'est le cas de 83 % des DRH interrogés par la Cegos, 17 % prévoyant des embauches. « La réflexion s'amorce dans les entreprises sur les redéploiements internes consécutifs aux départs à la retraite », estime Catherine Rousseau, consultante chez RHSeniors. « Les vides ont créé des opportunités de progression importantes pour les cadres », se félicite Sofia Merlo, responsable de la gestion des carrières à BNP Paribas. Mais ce sont autant de postes qui ne seront pas proposés sur le marché du travail. Décidément, les prophètes qui annonçaient la fin du chômage de masse à l'horizon 2010, grâce au papy-boom, se sont bien trompés.

Dans les collectivités territoriales, la vague de départs a commencé

Dans la fonction publique territoriale, le papy-boom a déjà commencé. Sur l'année 2006, les départs à la retraite d'agents auront doublé par rapport à l'année 2005. 32 000 au lieu de 16 000 l'an passé. Et le flot n'est pas près de s'arrêter.

D'ici à 2015, 38 % des agents territoriaux (1 million avec Paris et les DOM-TOM) devraient avoir quitté leur fonction pour profiter d'une retraite bien méritée. La raison en est simple. En 2002, 25 % des agents avaient plus de 50 ans. Et la moitié étaient âgés de 39 à 49 ans. De quoi alimenter des vagues impressionnantes de départs pendant dix à vingt ans. En 2012, plus de 30 000 agents territoriaux prendront leur retraite.

Pour Mohamed Amine, responsable de l'Observatoire de l'emploi territorial au Centre national de la fonction publique territoriale, le phénomène aura des conséquences importantes en termes de recrutement. « Les mairies, conseils généraux et régions ont de plus en plus de responsabilités à assumer et devront remplacer les partants. De plus, le transfert de compétences de l'État vers les régions et les départements a engendré l'arrivée d'un nombre important d'agents de la fonction publique d'État. Ce qui nécessitera de créer des postes de cadres intermédiaires. » Un optimisme renforcé par la tendance actuelle des communes à remunicipaliser certains services confiés au privé depuis des années, comme la distribution de l'eau. DRH de la ville de Paris (46 000 agents), Michel Yahiel estime que la priorité sera de déterminer les besoins en recrutement. « Nous approchons ce problème par la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Prévoir les besoins en recrutement par filière et par métier est une priorité. »

Mécaniciens, cuisiniers, puéricultrices ou chauffagistes… la fonction publique territoriale recèle 280 métiers. Elle va se retrouver en concurrence avec le secteur privé pour recruter les compétences dont elle aura besoin. Une bonne nouvelle sur le front de l'emploi.

Auteur

  • Éric Béal