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“Face à la mondialisation, il nous reste une capacité à résister”

Actu | Entretien | publié le : 01.09.2006 | Sandrine Foulon

Le chercheur américain qui participe au Congrès mondial du droit du travail, qui se tient à Paris ce mois-ci, ne partage pas le défaitisme de certains Européens sur les effets de la libéralisation des marchés. À ses yeux, syndicats, ONG, citoyens… ont des moyens de défendre et de faire avancer les droits sociaux, surtout s'ils agissent de concert.

Quel constat faites-vous de la mondialisation en marche ?

En théorie, le libre-échange peut s'avérer être une bonne chose. Mais, dans la pratique, on constate, notamment depuis les années 90, que la mondialisation n'est pas une réussite. Son application reste quasi religieuse, dogmatique, mécanique, sans imagination et, surtout, sans prise en considération de ses répercussions sociales. Ce sont les champions de la libéralisation des marchés qui ont régné en maître. Or il faut la repenser, la réinventer pour la mettre au service des individus.

En attendant, cette libéralisation se construit-elle au détriment des normes sociales des États ?

Je ne vois pas les choses sous cet angle. Et je ne partage pas le défaitisme de certains de mes collègues européens. Pour le Congrès mondial du droit du travail qui se tient à Paris ce mois-ci, j'ai demandé à 25 professeurs de droit de dresser un bilan de la situation dans leur pays. Dans l'ensemble, je n'ai pas trouvé que le ciel nous tombait sur la tête. La logique des marchés ne nous conduit pas vers une libéralisation totale. Même aux États-Unis où l'on évoque souvent une course vers le moins-disant social, il existe des contre-pouvoirs. Il nous reste une capacité de résistance.

Qui est de taille à s'opposer aux déréglementations ?

Les partis politiques de gauche, les mouvements de citoyens, les syndicats, les ONG offrent un rempart. L'année dernière, le gouvernement de Bush avait tenté de bouleverser le fonctionnement de la sécurité sociale. Il s'agissait de revoir le système de retraite et de le confier au marché. Tous ces acteurs se sont mobilisés contre le projet. Et il a capoté. Il était à deux doigts d'être réalisé et, aujourd'hui, il est bel et bien mort et enterré. Soyons clairs : il n'est pas question de céder au triomphalisme mais de faire front à coups de petites victoires. Dans les démocraties, les citoyens n'acceptent plus que le marché régente leur vie. Ce n'est pas un refus du libre-échange. Même un gouvernement comme celui de Lula au Brésil l'accepte. Mais les questions sociales se sont hissées au premier rang.

Néanmoins, pour rester compétitifs, l'Allemagne et le Danemark ont assoupli leur droit du licenciement…

Certes, mais pas dans les proportions envisagées au départ. Encore une fois, il ne faut pas crier victoire. Mais une observation plus fine nous montre qu'il y a eu négociation, pression et compromis. L'idée n'étant pas non plus de rester figés dans ses modèles en refusant toute réforme. Là, d'une main, on accepte d'assouplir les normes sociales mais, de l'autre, on s'engage à ne pas toucher tel aspect de la protection des travailleurs. Prenez la directive Bolkestein : sa dernière version n'a rien à voir avec le projet initial. Quant à Angela Merkel en Allemagne, elle a dû négocier avec les sociaux-démocrates pour, en définitive, obtenir de changements nettement moins ambitieux que ce qu'elle escomptait.

Quels garde-fous peut-on mettre en place pour défendre les droits sociaux ?

Je ne crois pas qu'il existe des solutions auxquelles on n'ait pas déjà pensé, qu'il faille découvrir de nouveaux modes de contestation. Comme toujours, il faut lutter, favoriser les alliances entre les syndicats, les ONG, les mouvements de femmes, de citoyens… Les codes de conduite me semblent également être une piste intéressante. Ce n'est pas le remède à tous les maux mais une arme pour avancer et trouver de nouvelles formes de solidarité.

Existe-t-il des réponses au niveau national ?

Ce premier niveau est essentiel pour nouer ces alliances. Dans certains pays, comme la France, le pouvoir de la rue peut être décisif. C'était le cas lors du mouvement contre le CPE. Dans d'autres, ce sont des organisations plus formelles, un lobbying fort à destination du gouvernement qui permettent des avancées. Il n'existe plus de formule toute faite. Il faut compter aussi sur les cybercampagnes, voire les class actions. Le procès qui s'est tenu en Californie contre la société Unocal poursuivie pour avoir violé les droits de l'homme en Birmanie a rapporté des millions de dollars d'indemnités aux victimes. Le groupe Total, associé à Unocal, n'a pas pu être jugé parce que ce n'est pas une entreprise américaine. Cela étant, les pressions se multiplient et avec elles les transactions. Un autre procès est en cours contre Coca-Cola pour ses pratiques antisyndicales en Colombie. Et, là aussi, l'entreprise se prépare à transiger.

Ces formes de contestation ne fonctionnent pas ou n'existent pas encore dans des pays comme la France.

Mais on peut compter sur les accords-cadres mondiaux, à l'instar de celui de Danone avec des fédérations syndicales internationales. Une soixantaine de ces accords sont en vigueur et de nouveaux sont signés chaque mois. Ce n'est pas la panacée mais c'est un vecteur de dialogue avec les chefs d'entreprise. Les nouvelles alliances nouées entre les syndicats et les organisations de défense des droits de l'homme sont également fructueuses. Aux États-Unis, la collaboration entre les organisations Human Rights Watch et Amnesty International et les syndicats ont eu pour effet de faire évoluer la législation du travail dans un sens plus favorable aux syndicats.

Les modèles d'intégration régionaux peuvent-ils préserver les droits sociaux ?

L'accord de libre-échange d'Amérique du Nord (Alena) – entre le Mexique, le Canada et les États-Unis – diffère bien entendu du grand marché européen, voire de l'Asie. Dans chaque région du monde, il est indispensable de trouver les stratégies et les moyens pour faire en sorte que les régions ne tombent pas dans l'escarcelle des investisseurs et des banques internationales. Le chemin est difficile. Pour l'Alena, nous pouvons nous reposer en partie sur la Charte des droits fondamentaux.

Les Français et les Néerlandais ont dit non à l'Europe. Partagez-vous ce pessimisme sur la faillite d'un modèle social européen ?

Je ne voudrais pas paraître trop optimiste mais, vu de notre côté de l'Atlantique, les institutions européennes reposent sur des bases solides. La protection des salariés s'est même renforcée dans des champs aussi divers que la sécurité au travail, le temps partiel, l'égalité hommes-femmes…

Les régulations internationales peuvent-elles être d'un grand secours ?

Il faut encore et toujours se battre pour introduire une clause sociale dans les accords de libre-échange. Il s'agirait de conditionner les exportations des entreprises aux droits fondamentaux des travailleurs et des citoyens. De la même façon que l'OMC possède des règles sur la violation de la propriété intellectuelle, les entreprises outrepassant les droits humains devraient être sanctionnées. Mais si je comprends le bien-fondé d'une organisation comme l'OMC, car des règles sont nécessaires, je suis partisan de la maintenir dans un rôle très réduit. En revanche, l'OIT devrait occuper une place de tout premier ordre pour renforcer le mouvement syndical international.

Le poids des syndicats s'effondre dans la plupart des pays. Peuvent-ils représenter un contre-pouvoir efficace ?

Les alliances avec les mouvements de citoyens peuvent les renforcer. Mais je crois aux rapprochements internationaux. La CISL et la Confédération mondiale du travail vont prochainement fusionner pour donner naissance à une confédération internationale des syndicats plus forte. Et la CGT qui, jusqu'alors, ne faisait pas partie de la CISL devrait rejoindre cette nouvelle entité. C'est une bonne nouvelle.

LANCE COMPA

Professeur à l'université de Cornell (Ithaca, New York) depuis 1997, il a orienté ses recherches dans le domaine du droit du travail dans une économie mondialisée.

NAISSANCE

Le 25 janvier 1947 à Rochester (État de New York).

PARCOURS

Diplômé en droit de l'université de Yale, ce chercheur américain a publié de nombreux ouvrages sur les droits des travailleurs.

Il a également été consultant pour l'ONG Human Rights Watch et a travaillé pour le syndicat AFL-CIO.

Auteur

  • Sandrine Foulon