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Vie des entreprises

Daniel Bouton met les bataillons de la Société générale sous pression

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.06.2006 | Stéphane Béchaux

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L'IMPACT DU PAPY-BOOM

Crédit photo Stéphane Béchaux

Réorganisation du réseau, création de centres d'appels, individualisation des rémunérations, le P-DG de la Société générale a fait de la rentabilité un impératif à tous les étages. Dans les agences, ça grogne. Mais tant que les salariés actionnaires en profitent…

Tous derrière Bouton ! Pendant le printemps et l'été 1999, les salariés de la Société générale s'étaient rangés en masse derrière leur patron pour contrer le raid de la BNP sur leur illustre maison. Avec succès. Depuis, la banque a beaucoup grossi, doublant presque ses effectifs – plus de 103 000 salariés dans le groupe dont près de la moitié à l'étranger – et quadruplant sa capitalisation boursière. Sans pour autant parvenir à chasser les prédateurs : dans les tours jumelles de la Défense flotte depuis des mois un parfum d'OPA… Reste à savoir si Daniel Bouton pourra, cette fois-ci, compter sur ses ouailles en cas de nouvelle bataille boursière. « À l'époque du projet SBP, tout le monde avait fait corps, à tous les étages. Aujourd'hui, je ne suis pas sûr que les gens se mobiliseraient », avertit Michel Origier, délégué syndical national du SNB-CGC, premier syndicat de l'entreprise. « Une OPA? Dans le back-office, les gens l'attendent ! Pour qu'il y ait de nouveau des préretraites », assure même son homologue cédétiste Alain Treviglio. Car, sous l'ère Bouton, la Société générale a pris résolument le virage de la rentabilité. Une vraie inflexion par rapport à la gestion plus pépère de son prédécesseur, Marc Viénot.

« Le poids du financier et du budgétaire prime désormais sur la gestion sociale. On a la plus forte productivité de la place », affirme Patrick Poizat, de la CFTC. Résultat, l'action grimpe, mais pas le moral.

1-Restructurer le réseau de fond en comble

Amorcée à l'automne 2000, la réorganisation du réseau de distribution, baptisée projet 4D, a profondément bouleversé les habitudes des salariés de la banque de détail. Il y a deux ans encore, les quelque 2 200 guichets de la Société générale étaient rat tachés à l'un des 130 « groupes » qui maillaient le territoire. Dans chacun d'eux, un back-office, situé dans l'agence principale, s'occupait des tâches administratives (traitement des prêts, contentieux, crédit documentaire, etc.). « Ces agences constituaient de petits centres d'exploitation complets, avec un patron qui contrôlait tout, comme dans une PME, explique Bernard de Talancé, le DRH groupe. Mais on n'arrivait plus à gérer ces 130 back-offices, dont certains n'avaient plus la taille critique. »

Avec le projet 4D, fini l'autonomie. Les back-offices sont progressivement transférés dans les 2 3 nouveaux « pôles services clients » (PSC). Des plateaux d'environ 250 salariés qui centralisent les opérations administratives. Résultat, des gains de productivité massifs, avec des réductions d'effectifs à la clé. « Il y a de vraies économies d'échelle. Mais peu de polyvalence. La plupart des gens font la même tâche, répétitive, toute la journée », explique un technicien administratif parisien. Au total, 5 600 salariés sont touchés par ces transferts, qui prendront fin en 2008. Le tout sans casse sociale. La direction, qui a profité du système des préretraites Cats (cessation anticipée d'activité des travailleurs salariés) pour rendre cette réorganisation moins douloureuse, s'est engagée à ne licencier personne et à ne pas forcer les mobilités.

Mais l'ambiance de travail s'est dégradée. « Nous ne sommes plus au contact des conseillers et des clients. On se sent mis à l'écart, loin de l'univers bancaire. Le collectif de travail en a pris un coup », constate un agent francilien. Cet éloignement pose aussi des problèmes au réseau commercial. « On ne peut plus débloquer le dossier d'un client en passant un coup de fil ou en montant à l'étage du dessus. La qualité du service s'en ressent », estime un spécialiste des prêts immobiliers du Sud-Est.

Pour les conseillers clientèle, la réorganisation s'est avérée plus légère. Rattachés à une unité commerciale de cinq ou six guichets, ils quittent progressivement les « groupes » pour dépendre de directions d'exploitation commerciale (DEC) plus vastes. Un éloignement des centres de décision pas toujours bien vécu, mais sans conséquence majeure sur leur activité quotidienne. Vraie nouveauté : la création de quatre centres de relation clientèle multimédia (CRCM) à Nanterre, Lille, Lyon et Marseille. Ces plates-formes téléphoniques de 300 téléconseillers viennent en appui du réseau pour traiter à distance les opérations simples : position de compte, prise de rendez-vous, passage d'ordres de Bourse, etc.

Le tout dans une relation clients-fournisseurs. « Les trois entités, CRCM, PSC et DEC, se facturent les unes aux autres. Il n'y a plus de notion de collectivité de travail. Bouton voudrait, à terme, filialiser ou externaliser ces activités qu'il ne s'y prendrait pas autrement », analyse le leader cédétiste. Pas de risque dans l'immédiat, la direction s'étant engagée à ne pas toucher au périmètre. Mais sa promesse ne vaut que jusqu'à fin 2008…

2-Recruter à tout-va

Attention, embauches massives ! L'an dernier, la Société générale a recruté 3 100 salariés en CDI dans l'Hexagone (36 000 salariés en activité), dont 4 5 % de cadres. Même si les effectifs n'ont en réalité augmenté que de 600 personnes, compte tenu notamment des départs à la retraite. Une tendance qui devrait se poursuivre dans les prochaines années. En 2006, la croissance des activités de banque d'investissement et de financement devrait se solder par la création de 500 postes (+ 12 %). À effectifs constants, la banque de détail devrait aussi ouvrir grand ses portes pour remplacer ses salariés vieillissants. « L'effet papy-boom va aller croissant. On atteindra le pic en 2012, avec environ 2 000 départs à la retraite », précise Frédéric Vaquié, responsable du recrutement. Un phénomène particulièrement marqué dans les back-offices, où 30 % des troupes devraient plier bagage d'ici à huit ans.

Informaticiens, contrôleurs de gestion, juristes, traders… La Société générale drague les diplômés sur les campus de toutes les grandes écoles de commerce et d'ingénieurs. Mais elle fait, d'abord, les yeux doux aux bac + 2, dont elle est grande consommatrice pour son réseau commercial. En septembre, la banque organisera ainsi ses 4e Rencontres emploi au Stade de France. L'an dernier, l'événement avait généré 8 000 préinscriptions et 130 recrutements. Profil type : des BTS Force de vente ou Action commerciale, recrutés pour des postes de téléconseillers ou de chargés d'accueil en agence et rémunérés aux alentours de 22 000 euros brut annuels.

Une opération à grande échelle qui n'empêche pas l'entreprise de vouloir diversifier ses recrutements. « On cherche à sortir des standards. Par exemple en embauchant des chargés d'accueil plus âgés qui ont auparavant travaillé au contact de la clientèle comme agents immobiliers ou hôtesses de l'air. Ces salariés ont une plus grande stabilité que les jeunes et ils nous permettent de « cylindrer » notre pyramide des âges », explique Frédéric Vaquié. Partenariat avec l'ANPE, recrutement de bacheliers avec une première expérience, signature de la charte de la diversité… Ces initiatives naissantes visent à anticiper les tensions sur le marché de l'emploi, à équilibrer la pyramide des âges et à mieux coller à l'évolution de la clientèle, désormais multi-culturelle.

Reste à offrir à toutes ces recrues des parcours à la hauteur de leurs attentes. « Nous embauchons sur le long terme, avec la volonté de développer notre personnel. C'est une tradition à laquelle nous tenons », assure le DRH. Pour intégrer au mieux les jeunes troupes, la banque s'est dotée, voilà deux ans, d'un service de formation dédié aux métiers du réseau, avec des cursus très opérationnels. Au global, elle dépense 3,8 % de sa masse salariale en formation, et vante toujours son « cursus cadre ». Un programme qui, en deux ans, prépare des techniciens aux métiers de l'encadrement. Sauf que les places sont très chères: entre 200 et 250 salariés peuvent s'y inscrire chaque année, soit environ 1% des techniciens de la maison…

3-Mettre le réseau sous tension

« Un client qui rentre, c'est un produit qui sort » : la devise résume assez bien la philosophie maison. « On m'avait appris à vendre le bon produit au bon client au bon moment. C'est terminé. Maintenant, on doit vendre des packages ou des prêts à la consommation à tout le monde, même à ceux qui n'en ont aucun besoin », peste ce conseiller du centre de la France. Une lente dérive commerciale, à l'œuvre dans toute la profession bancaire, qui génère du mal-être. « Le métier a changé. Notre force, c'était de faire du conseil. Maintenant, on fait de la vente, avec une pression grandissante sur les résultats », explique Patrick Poizat (CFTC). Une perte de sens dénoncée dès novembre 2002 par des experts en conditions de travail. Leur rapport à charge, commandé par le CCE sans l'aval de la direction, n'avait pas eu de suite.

Cette évolution des pratiques commerciales s'est accompagnée du déploiement d'un nouvel outil informatique, baptisé Contact. Un progiciel très efficace pour piloter le travail des conseillers et faire du reporting : nombre de produits vendus par agent, avance ou retard sur les objectifs annuels… De quoi classer aisément les conseillers en période de challenge ou remonter les bretelles de ceux qui ne tiennent pas leurs objectifs. « On passe son temps à se justifier. De sa production, de sa non-production, de son emploi du temps. C'est absolument usant », dénonce une conseillère de l'Est parisien en pleine opération de PEL. « Si vous réalisez vos objectifs, on vous laisse relativement tranquille. Sinon, avec cet outil, on vous tient au collier », abonde un de ses collègues du Massif central.

Cette pression commerciale n'est pas l'apanage des conseillers. Responsables d'agence, responsables commerciaux locaux, directeurs commerciaux… Tous se voient assigner des objectifs. « La hiérarchie subit une très forte pression, qu'elle répercute sur le niveau d'en dessous. Résultat, les relations sociales se crispent et se détériorent », constate Michel Origier.

Sur les plates-formes téléphoniques aussi, on contrôle l'activité des téléconseillers. Nombre d'appels, durée, temps de pause… Les postes sont suivis à la loupe par les superviseurs et les responsables d'unité opérationnelle. Des défis entre les équipes viennent aussi pimenter le quotidien. À Nanterre, le mois dernier, des affichettes permettaient de suivre le nombre de rendez-vous décrochés pour placer des prêts Expresso. Avec, à la clé, des chèques-cadeaux ou des places de ciné. Mais pas de commissions. « On n'en a pas car on ne vend pas de produits mais des rendez-vous. Les performances sont cependant prises en compte dans la gratification annuelle et l'évolution de carrière en agence », explique une téléconseillère. En comparaison, les salariés des back-offices paraissent privilégiés. Ce sont les seuls qui échappent à la pression des objectifs chiffrés, d'après cet agent parisien : « Les outils de flicage existent mais ils ne sont pas utilisés. Pour l'instant… »

4-Miser sur l'actionnariat salarié

Lors de sa privatisation, en 1987, la Société générale avait réservé 1 0 % de son capital à son personnel. Vingt ans plus tard, les salariés en possèdent toujours 8 %, et se sont considérablement enrichis. La valeur de l'action a quintuplé dans la dernière décennie, s'appréciant de moitié sur les douze derniers mois. « Le personnel détient en moyenne l'équivalent de deux ans de salaire fixe, dans toutes les catégories. Cet actionnariat salarié crée un lien fort d'attachement à l'entreprise », se félicite Bernard de Talancé. Pour y parvenir, la banque a fait le choix de réduire à zéro la participation – ce qui lui a valu quelques redressements fiscaux – et de mettre le paquet sur l'intéressement et l'épargne salariale. Un système particulièrement attrayant pour les anciens qui, chaque année, débloquent leurs avoirs disponibles pour… les réinvestir immédiatement en profitant de la décote et de l'abondement !

Après renégociation des accords d'intéressement et de participation, la donne a un peu changé en 2005. « On a choisi une formule davantage corrélée aux résultats du groupe, avec un éventail de fonds plus larges et un abondement plus fort à l'entrée pour permettre aux jeunes d'amorcer la pompe », explique Philippe Perain, directeur des relations sociales. Une option gagnante : en 2006, les salariés ont touché un mois de salaire – le maximum prévu – contre un demi-mois l'an dernier. Sans compter la prime Villepin de 500 euros.

Des mesures qui ne comblent pas les syndicats. Car le concept de rémunération globale prôné depuis des années par la direction ne les satisfait pas. Ils dénoncent la substitution du salaire par cette rémunération différée et l'individualisation à outrance. À la Société générale, inutile de compter sur les augmentations collectives pour gonfler sa feuille de paie. Hormis cette année où la banque a lâché 1,9 % en deux fois, les hausses générales sont infinitésimales depuis dix ans et les mesures individuelles contenues autour de 2,5 % de la masse salariale. Il n'empêche que la maison paie ses salariés légèrement au-dessus des tarifs de la profession. « Quand on compare nos grilles avec BNP Paribas, on est un peu devant », admet Michel Origier. De quoi calmer les revendications. Tant que l'action grimpe…

Dates et faits

Présidé depuis 1997 par Daniel Bouton, le groupe Société générale compte 103 000 salariés, dont près de la moitié à l'étranger (implantation dans 76 pays).

En métropole, la Société générale compte près de 36 000 salariés en activité, dont 21 200 travaillent dans son réseau de distribution et 4 500 dans sa banque d'investissement et de financement.

1864

Création de la Société générale.

1945

Nationalisation.

1987

Privatisation (lois Balladur).

1997

Rachat du Crédit du Nord.

1999

Échec du rachat de Pari bas. La banque échappe à l'OPA de la BNP (projet SBP).

L'IMPACT DU PAPY-BOOM
ENTRETIEN AVEC DANIEL BOUTON, P-DG DU GROUPE SOCIÉTÉ GÉNÉRALE
“La multiplicité des acteurs syndicaux débouche sur un conservatisme absolu”

On prédisait des destructions I massives d'emplois dans les banques. Or vous recrutez beaucoup !

Le rapport Nora-Minc s'est avéré complètement inexact. Certes, l'informatisation de la société a conduit à des gains massifs de productivité, de l'ordre de 10 % par an à la Société générale. Mais le très fort développement de la demande de services bancaires a contrebalancé cet effet, avec des créations massives d'emplois dans les métiers en contact avec la clientèle.

S'agit-il d'une tendance durable ?

Au cours des cinq prochaines années, les effectifs du secteur bancaire seront stables, voire en légère croissance. Avec le papy-boom, la profession va recruter de 30 000 à 40 000 personnes par an. À l'horizon 2010, nous serons même confrontés à un déficit potentiel de jeunes disponibles.

Comment la Société générale s'y est-elle préparée ?

Les politiques de retraite anticipée ont permis de lisser plus ou moins les mouvements de départs et les recrutements massifs. Nous sommes devenus des spécialistes du cylindrage de la pyramide des âges ! Aujourd'hui, nous recrutons majoritairement des jeunes. Mais nous avons aussi mis en place un programme ambitieux pour embaucher des salariés plus âgés afin de compléter les classes d'âge creuses.

Pour l'instant, vous n'avez mis en place aucune mesure pour favoriser la seconde partie de carrière des seniors. Pourtant, le robinet des préretraites est fermé…

Il s'agit d'un changement culturel, qui prend un peu de temps. Mais, avec les départs à la retraite, nous allons avoir besoin, dans la banque de détail, d'un grand nombre de gens expérimentés. Dès lors que nous y avons un intérêt assez fort, je suis confiant dans notre capacité à mettre en place des mécanismes motivants pour les plus de 50 ans.

Pourquoi avez-vous signé, en 2004, la charte de la diversité de Claude Bébéar ?

Je tenais à vérifier que nos processus de recrutement n'aboutissent pas à faire de la discrimination positive en faveur du « Breton-Bourguignon ». Car la diversité est une source de richesse. Il est inimaginable que nos agences n'emploient que des Français « canal historique » quand la clientèle est de plus en plus diversifiée. Mais ce n'est plus le cas.

L'actionnariat salarié est une valeur forte à la Société générale. Y voyez-vous une arme anti-OPA ?

Sans le soutien du personnel, on n'aurait pas pu résister à la BNP en 1999. Mais ce n'est pas la raison de cette politique. Pour moi, l'actionnariat salarié permet de changer considérablement les rapports sociaux et la vision de l'entreprise. Quand chaque salarié détient, en moyenne, 60 000 euros de capital, il est plus facile de convaincre du bien-fondé de la création de valeur.

Dans l'Hexagone, la méfiance à l'égard des entreprises reste considérable. Que vous inspire la crise du printemps en réaction au CPE ?

Je ne ferai pas de commentaire sur la méthode. Mais nous devons remédier à ce formidable dysfonctionnement du marché du travail qui réserve les CDI aux salariés des grandes entreprises et des PME solides et en exclut des millions d'autres, condamnés au RMI ou aux petits boulots.

Pour vous, le Code du travail est donc un frein à l'emploi

Absolument.

Mais la réforme est-elle encore possible en France ?

Nous ne sommes plus une vraie démocratie : nous élisons des députés pour qu'ils fabriquent des lois, que nous contestons ensuite dans la rue ! C'est une république des corporatismes. Le pouvoir est entre les mains des titulaires de CDI des secteurs protégés qui, pour défendre leurs intérêts particuliers, refusent de s'ouvrir à d'autres formes d'emploi susceptibles de profiter à tous les autres.

Faut-il donner, comme le préconise le rapport Chertier, plus de poids aux partenaires sociaux pour négocier des accords que le Parlement avalise ensuite ?

Sur le principe, je suis parfaitement d'accord. Mais quelle capacité ont aujourd'hui les cinq syndicats représentatifs à le faire ? Actuellement, l'organisation qui accepte de bouger se fait immédiatement flinguer. La multiplicité des acteurs débouche sur un conservatisme absolu.

Propos recueillis par Stéphane Béchaux, Denis Boissard et Jean-Paul Coulange

DANIEL BOUTON

56 ans.

1973-1977

Énarque, entre à l'Inspection des finances.

1977-1986

Gravit les échelons à la direction du Budget.

1986-1988

Dircab d'Alain Juppé au ministère du Budget.

1988-1991

Directeur du Budget.

1991-1997

Directeur à la présidence puis DG de la Société générale.

DEPUIS 1997

P-DG.

Auteur

  • Stéphane Béchaux