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Politique sociale

Outre-Manche, les seniors toujours bons pour le service

Politique sociale | publié le : 01.06.2006 | Léa Delpont

Firmes à court de main-d'œuvre, pensions insuffisantes : les seniors s'accrochent au boulot, y compris passé l'âge de la retraite. Une tendance qui va se pérenniser.

Pour les employeurs britanniques, les sexagénaires ne sont pas seulement bons à tondre le gazon en coulant une retraite paisible en terre périgourdine. Les préjugés concernant les seniors continuent de tomber. Une récente étude du cabinet de recrutement Office Angel le confirme : la croyance selon laquelle les salariés baissent de régime après 50 ans n'a plus cours. Ce sondage, réalisé en mars auprès de 1 600 employeurs, révèle qu'ils sont de moins en moins réticents à embaucher des personnes mûres ou carrément âgées. « Plus fiables » et « plus polies », selon eux, elles sont aussi « plus ponctuelles » et « tout aussi capables d'utiliser des ordinateurs » que les plus jeunes. « Les employeurs considèrent désormais d'un bon œil un candidat de 50 ans, qui a encore quinze années de bons et loyaux services à offrir », constate Paul Jacobs, directeur d'Office Angel. En tout cas, 57 000 d'entre eux ont retrouvé du travail durant les douze derniers mois et, au total, depuis 1997, 1,5 million de seniors ont été recrutés outre-Manche. Ils sont les premiers bénéficiaires de la croissance économique, qui s'est traduite par la création de 2,3 millions d'emplois en Grande-Bretagne au cours de la décennie écoulée. Les chiffres sont éloquents : le taux d'activité des plus de 50 ans dépasse 70 %, alors qu'en France il atteint péniblement 37 % chez les plus de 55 ans.

Et ce n'est qu'un début. Pour lever les derniers tabous, la Grande-Bretagne se dotera en octobre d'une loi pour lutter contre les discriminations au travail liées à l'âge. Jusque-là, il n'y avait que des codes de bonne conduite, mais pas de dispositif légal pour combattre contre le racisme antivieux. Désormais, il sera contraire à la loi de mettre d'office à la retraite un salarié de moins de 65 ans. John Browne, le directeur général de British Petroleum, n'aura peut-être plus à tempêter. À 58 ans, il se verrait bien passer encore une décennie à la tête du groupe. Mais les statuts de BP l'obligent à quitter, le jour de son soixantième anniversaire, le poste qu'il occupe depuis 1995. Récemment, à Londres, il s'en est pris au jeunisme qui règne dans le monde des affaires, dénonçant la façon dont les seniors sont stigmatisés : « Le gaspillage des talents est choquant et le préjudice intolérable. »

De l'avis d'une majorité de dirigeants d'entreprise consultés par l'Employers Forum on Age (EFA), la nouvelle législation aura plus d'impact que les précédentes lois sur les discriminations sexuelles ou raciales. De fait, l'âge est la principale source de préjudice mise en avant par les salariés : 28 % des adultes estiment en avoir été victimes en 2005. Ils pourront désormais demander réparation en justice. « J'espère seulement que ce type de discrimination ne mettra pas autant de temps à disparaître que le racisme ou le sexisme. Mais l'évolution démographique devrait accélérer la prise de conscience », estime Sam Mercer, présidente de l'EFA. D'ici à 2020, le nombre de personnes de plus de 50 ans encore au travail devrait passer de 19,8 à 24,5 millions (+ 23,5 %). Le groupe des 50-54 ans sera alors majoritaire sur le marché du travail, en lieu et place des 40-44 ans aujourd'hui.

Signe tangible d'un changement d'époque, le Forum des employeurs, qui milite pour la mixité des générations au travail et la reconnaissance du rôle des seniors, regroupe aujourd'hui 220 membres représentant 12 % de la main-d'œuvre britannique alors qu'il ne comptait que 18 membres à sa création en 1996. Ses adhérents sont aussi les parrains de la campagne gouvernementale Age Positive, lancée sur le même thème en 1999 : les supermarchés Asda, Marks & Spencer, Sainsbury's, Tesco, les banques Barclays et Royal Bank of Scotland, la chaîne de bricolage B & Q, tous appliquent des politiques age-friendly. Coca-Cola et British Energy ont, par exemple, supprimé la case « âge » dans les formulaires de recrutement, Sainsbury's permet à ses seniors de toucher une partie de leur retraite tout en poursuivant une activité à temps partiel. C'est dans les grandes surfaces, consommatrices de main-d'œuvre peu qualifiée, que l'on voit le plus de sexagénaires en uniforme, parfois même des septuagénaires, dans les rayons ou postés aux caisses.

En 1989, B & Q avait fait une découverte originale en ouvrant un magasin avec un personnel âgé de plus de 50 ans : les bénéfices y étaient supérieurs de 18 % à la moyenne et l'absentéisme réduit de 39 %. Le Castorama anglais a tiré les leçons de l'expérience. Aujourd'hui, 22 % de ses 37 000 salariés ont dépassé la cinquantaine. Ils sont 19 % chez Asda, filiale britannique du numéro un mondial de la distribution, le groupe américain Wal-Mart. « Pour satisfaire la clientèle locale, qui est âgée, la moitié du personnel de l'un de nos nouveaux magasins, dans le Kent, a plus de 50 ans. On nous a dit que la productivité allait tomber en flèche. C'est l'inverse qui s'est produit », raconte Rachel Fellow, porte-parole du groupe. Du coup, Asda a poursuivi dans cette voie, en allant draguer les seniors dans les lotos géants et les thés dansants. L'enseigne leur propose des conditions de travail sur mesure. Les salariés qui ont des petits-enfants bénéficient de congés spécifiques mais non rémunérés; un congé baptisé « Benidorm » permet à ceux qui le souhaitent d'aller passer l'hiver au soleil, en Espagne, et de retrouver leur poste au retour. Ils peuvent aussi opter pour l'« escouade saisonnière », où leur présence n'est requise que pendant les dix semaines les plus chargées de l'année.

Mais si les Britanniques sont des travaille-tard, souvent même au-delà de l'âge légal de la retraite (65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes) puisque 10,4 % de retraités dynamiques poursuivent une activité à temps partiel, c'est la plupart du temps pour compléter une pension trop maigre (voir encadré ci-dessous). Et, avec la réforme des retraites qui se profile, les Britanniques devront peut-être, d'ici à 2050, rester en poste jusqu'à 69 ans.

C'est, en tout cas, la dernière recommandation de la commission Turner, chargée en 2002 par Tony Blair de trouver une solution au casse-tête des retraites. À partir de 60 ou 65 ans, les retraités touchent une maigre pension de l'État, de l'ordre de 120 à 170 euros par semaine, complétée par une retraite d'entreprise, calculée sur les salaires et l'ancienneté et gagée sur des fonds placés en Bourse gérés par les employeurs. Mais l'allongement de la durée de la vie, l'arrivée des paby-boomers et la chute des marchés financiers au début de la décennie ont plombé ces fonds de pension.

Certains ont fait faillite, privant au moins 100 000 personnes de leur rente. De nombreux autres ont été fermés, les employeurs proposant à la place des plans d'épargne dont les indemnités dépendent du niveau de cotisation et des fluctuations de la Bourse, ou laissant à leurs employés la charge de se constituer un pécule. Résultat, plus de 11 millions de salariés du privé ne disposent plus de retraite complémentaire, n'ayant pas eu les moyens ou le réflexe de cotiser. Pour ceux-là, pas question de partir en retraite anticipée. Ni même de s'arrêter quand la cloche aura sonné. Quant aux préretraites à 50 ans, assorties de juteuses primes de départ, elles appartiennent au passé. Aujourd'hui, ceux qui partent à la retraite prématurément le font surtout pour raison de santé. Depuis le 5 avril, le plancher pour faire valoir ses droits à un départ anticipé a d'ailleurs été relevé de 50 à 55 ans. Dans le même temps, le gouvernement Blair a pris des mesures afin d'encourager le cumul emploi-retraite à temps partiel chez le même employeur, à l'instar de Sainsbury's. Les seniors y trouvent un triple avantage : celui de lever le pied tout en compensant la baisse de leurs revenus et en continuant à cotiser.

Jusque-là, ce cumul n'était pas possible dans la même entreprise. « Étant donné leur âge, les gens ne retrouvaient généralement qu'un travail sous-qualifié et sous-payé au regard de leurs compétences, note Andrew Harrop, de l'association Age Concern, principal lobby du troisième âge. La clé du problème, c'est la flexibilité. Les gens doivent travailler plus longtemps, mais pour cela il faut plus de temps partiels et plus de formation continue. » En attendant, il reste en Grande-Bretagne 900 000 seniors sur le carreau, chômeurs, retraités ou invalides, qui aimeraient retrouver du travail. Peu qualifiés, souvent en mauvaise santé, ceux-là sont les laissés-pour-compte du boom économique britannique.

1 million de retraités ont une activité à temps partiel

Margarette Spencer a 76 ans. Trois jours par semaine, elle prend son poste à la caisse d'un supermarché Tesco. Une mamie esclave des temps modernes ? Pas du tout. La septuagénaire adore son travail. « Il me permet de rencontrer de nouvelles personnes tous les jours et de garder l'esprit vif. Il m'empêche de vieillir. » Même discours chez Susan Ormiston, 68 ans : « Les gens disent qu'à mon âge je devrais rester chez moi à tricoter. Mais très peu pour moi ! »

En Grande-Bretagne, 1,13 million de seniors travaillent au-delà de l'âge légal de la retraite, la plupart à temps partiel (67 % pour les hommes, 86 % pour les femmes). Et cette population vieillissante mais dynamique, qui stagnait entre 7 et 8 % depuis des années, est brusquement passée à 10 % au dernier trimestre 2005. Ces personnes âgées ont pris 85 000 des 147 000 emplois créés l'an dernier.

Cette tendance reflète à la fois la pression financière qui s'exerce sur les retraités et le changement des mentalités des employeurs qui, à cours de main-d'œuvre, sont mieux disposés à l'égard « de personnes âgées en meilleure forme physique et mentale que les générations précédentes », explique Sam Mercer, de l'EFA. Malgré les exemples médiatisés de papys mascottes de 90 ans, bon pied bon œil, comme Sydney Prior dans son magasin B & Q de Wimbledon, la plupart de ces actifs sont dans leur soixantaine. Ils se font beaucoup plus rares au-delà.

Les chiffres ne disent pas combien d'entre eux n'ont d'autre choix que de travailler. « Si les retraités actuels appartiennent à une génération dont les pensions sont correctes, estime un porte-parole du Trades Union Congress, la Confédération des syndicats britanniques, ils seront de plus en plus nombreux, dans les années à venir, à devoir travailler pour joindre les deux bouts. »

Auteur

  • Léa Delpont