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Idées

Le rapport Chertier ouvre-t-il la voie à la rénovation du dialogue social ?

Idées | Débat | publié le : 01.06.2006 |

Améliorer le dialogue entre le gouvernement, les partenaires sociaux et la société civile, tel est le thème d'un rapport remis à Dominique de Villepin, quelques jours après l'enterrement du CPE. Ancien conseiller social de Jean-Pierre Raffarin à Matignon, Dominique-Jean Chertier défend ses propositions qu'analysent une conseillère à la Cour de cassation et un universitaire.

Si l'on devait caractériser le modèle de négociation sociale que le monde est censé nous envier, il faudrait parler de confusion. Celle d'un tripartisme inavoué. Celle d'une accumulation d'instances. Créées dans le but de développer le dialogue et la concertation, elles n'en donnent le plus souvent que l'illusion. Il devient donc urgent de moderniser notre mode d'élaboration des normes sociales. Que nous apprennent les exemples étrangers ? Qu'il n'existe pas de méthode idéale. Que le principe des champs séparés (domaine réservé aux partenaires sociaux) ne garantit pas totalement leur autonomie. Que le principe de l'ordre public (qui serait confié à la seule responsabilité de la loi) n'interdit pas une conception exclusive de ce dernier. Que le principe de la subsidiarité (le pouvoir politique n'intervenant qu'en cas de défaillance des partenaires sociaux) n'a pas fait encore ses preuves sur des sujets non consensuels. Quoi qu'il en soit, il n'est pas interdit de s'inspirer des meilleures pratiques avérées pour moderniser notre modèle. Et tout d'abord définir qui fait quoi. C'est l'objet même de l'agenda partagé. Si les partenaires sociaux souhaitaient s'emparer de tel sujet, ils devraient le faire publiquement, en déterminant un échéancier de leur négociation. En contrepartie, les pouvoirs publics renonceraient à toute interférence.

Deuxième principe : concerter avant de décider. Pour toute réforme dont les partenaires sociaux n'auraient pas pris la charge, trois mois de concertation apparaissent nécessaires si l'on souhaite un minimum d'adhésion, indispensable au vote de la réforme et surtout à sa mise en œuvre. Enfin, il faut un lieu privilégié de ce dialogue. Il existe. C'est le Conseil économique et social. Mais, de même qu'il n'est pas possible de préconiser un espace de responsabilité pour les partenaires sociaux sans parler de leur représentativité et de conditions de validité de leurs accords, il ne serait pas envisageable de donner un rôle central au CES sans le réformer profondément dans sa composition et dans son fonctionnement.

Cette réforme est un appel à la clarification et à la responsabilisation. C'est un appel à prendre en compte le rôle des corps intermédiaires dans l'élaboration des normes sociales. Elle bouleversera des habitudes, des traditions, des pouvoirs aussi. Elle nécessitera d'abord un large débat et ensuite la modification de textes fondamentaux. Les grands maux ne peuvent se satisfaire de petits remèdes.

Les rapports Chertier sur la modernisation du dialogue social et Hadas-Lebel sur la représentativité syndicale livrent un constat pessimiste sur notre démocratie sociale et des pistes de réformes intéressantes. Ils laissent espérer que des changements institutionnels sont aujourd'hui possibles pour répondre à des questions majeures que la loi du 4 mai 2004 n'a pas résolues. Le premier décrit la tour de Babel actuelle de la concertation sociale conduite par l'État sous des formes diverses et avec des acteurs variés, la négociation collective n'en étant qu'un élément. L'une et l'autre ne sont pas de même nature. La concertation éclaire les pouvoirs publics qui décident dans l'intérêt général. La négociation interprofessionnelle fixe des règles générales à l'instar de la loi. D'où une question : dans une société marquée par le chômage, les partenaires sociaux ne sont-ils qu'un acteur parmi d'autres de la concertation ou une place spécifique doit-elle leur être donnée pour ouvrir sur la négociation collective ? Si oui, pour donner à la négociation une place et une autonomie plus grande dans la conduite des réformes, ne faut-il pas au préalable assurer sa légitimité en redéfinissant la représentativité syndicale et patronale et en fondant les accords sur une majorité d'engagement ?

Le mérite du rapport Chertier est de prendre clairement parti, non pas pour un partage de compétences qui serait illusoire et impossible constitutionnellement, mais pour une organisation procédurale temporelle de la concertation, puis de la négociation collective, avant la loi. L'inscription constitutionnelle d'un délai d'attente pour laisser place à la concertation, compte tenu des dérives de la législation d'urgence, séduit ; de même que l'idée, très partagée, de concertation régulière sur les programmes de réformes à conduire, à l'occasion de laquelle les partenaires sociaux pourraient faire connaître leur volonté de tenter un accord.

La proposition selon laquelle, une fois l'accord conclu, le législateur devrait le reprendre dans la loi sans le modifier appelle au contraire des réserves. Tout accord n'a pas besoin de traduction législative. L'intérêt collectif des partenaires sociaux n'est qu'un élément de l'intérêt général. Enfin, il résulte des exemples étrangers que lorsque la légitimité des accords n'est pas discutée, c'est la concertation approfondie en amont et la reconnaissance réciproque des pouvoirs publics et des partenaires sociaux qui permettent de dégager des solutions.

Le rapport Chertier reprend des propositions pertinentes et assénées depuis des années mais qui n'ont hélas guère suscité l'enthousiasme des gouvernements et, il faut le dire, parfois des partenaires sociaux eux-mêmes. Il est frappant de constater que les rapports préconisant un renforcement significatif du dialogue social sont diligentés en fin de mandature. Les gouvernements répugnent en effet à se lier les mains en prévoyant des dispositifs contraignants de concertation préalable et de négociation. La proposition de concertation et même de négociation préalable aux projets de loi fut au centre de la position commune de juillet 2001 signée par le Medef et quatre syndicats. François Loos avait au même moment élaboré une proposition de révision constitutionnelle visant à développer la concertation en amont des partenaires. Mais il n'en est resté qu'une vague mention dépourvue de toute portée dans l'exposé des motifs de la loi Fillon sur le dialogue social. L'épisode du CPE a illustré le destin de cette déclaration de principe.

De même, la nécessaire réforme du dialogue social dans la fonction publique et en particulier la création d'un droit de la négociation sont toujours remises aux calendes grecques. Le rapport Fournier (repris par Dominique-Jean Chertier) n'avait à ce sujet eu aucune traduction. À défaut d'arracher un droit de négociation reconnu aux partenaires avant les projets de loi (à l'image des règles européennes) ainsi que dans les fonctions publiques, la rationalisation et l'amélioration des lieux de concertation et de préparation du travail législatif proposées par le rapport sont un progrès. On peut se demander à cet égard pourquoi le rapport ne va pas au bout de la réforme de la désignation des membres du Conseil économique et social. Pourquoi ne pas rechercher une meilleure légitimité aux représentants de la société civile avec une mesure de leur représentativité ? Mais autant le rapport propose un scénario d'évolution s'agissant des relations entre le gouvernement et les corps intermédiaires, autant il ne livre pas de pistes pour parvenir à instaurer un dialogue entre l'État employeur et ses agents.

Combien de législatures devront encore se succéder avant que le facteur principal de la conflictualité nationale et des perturbations du service public, à savoir l'absence de culture et de droit de la négociation dans la sphère publique, soit enfin traité. L'État s'imposera-t-il un jour à lui-même ce qu'il exige des employeurs du secteur privé ?