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“En Chine, l'explosion sociale est là mais sans syndicat pour l'organiser”

Actu | Entretien | publié le : 01.06.2006 | Han Dongfang

Créateur d'un éphémère syndicat place Tian'anmen en 1989, cet ancien électricien anime à Hongkong une association défendant les travailleurs du continent, convaincu que le pays ne peut plus échapper à l'État de droit.

Comment êtes-vous parvenu à créer le premier syndicat chinois libre ?

J'ai été impliqué par hasard dans les événements de 1989. Le 16 avril, premier jour du mouvement, je passais en bus près de Tian'anmen lorsqu'un passager a dit qu'il y avait des manifestations. Quelques centaines d'étudiants s'étaient réunis sur la place. Pour la première fois, je discutais librement de démocratie, des moyens de contrôler la gestion des entreprises… Le soir du 19 mai, avec un groupe de professeurs et d'ouvriers sur la place et sous la bannière de la Beijing Workers Autonomous Federation, nous avons organisé des élections à main levée pour constituer un syndicat indépendant. Élu membre du comité, j'en ai été nommé porte-parole. Mais cette ébauche de syndicat n'a pas survécu à la répression du 4 juin.

Pourquoi êtes-vous installé à Hongkong ?

Après le massacre, j'ai passé vingt-deux mois dans plusieurs prisons de Pékin avant d'être libéré grâce à la pression internationale. Comme j'avais contracté la tuberculose en prison, l'AFL-CIO et Human Rights Watch m'ont invité aux États-Unis pour que je me fasse soigner dans un hôpital new-yorkais. C'était en septembre 1992. Onze mois après ma guérison, je suis rentré en Chine, comme je me l'étais promis. Mais la police m'a arrêté dès mon arrivée à Canton et m'a expulsé à Hongkong, où je réside depuis septembre 1993.

Quelles sont vos activités syndicales ?

J'ai créé le China Labour Bulletin en 1994, une publication en chinois et en anglais distribuée en Chine et à l'étranger. En mars 1997, Radio Free Asia m'a proposé une chronique sur les travailleurs chinois, intitulée « Labor Express ». À mon tour, j'ai proposé d'animer des conversations avec les ouvriers, que j'ai élargies aux paysans en 2003. Quand il y a une manifestation, j'interviewe les ouvriers au téléphone. Bien sûr, je ne vais pas les décourager de faire grève. Seulement, je leur explique que ce n'est pas dans la rue que ça change, mais devant les tribunaux. Pas comme en France. En Chine, on arrête les activistes et tout le monde se calme. C'est la leçon de 1989. Nous étions des rêveurs. Le mouvement était extraordinaire. Puis il y a eu la répression. Et la peur est toujours là.

Quel est le but du China Labour Bulletin ?

Nous ne sommes pas un syndicat, nous n'avons pas été élus par les travailleurs. Nous sommes un créateur de syndicats. Notre but est d'éduquer les travailleurs au syndicalisme et de favoriser l'émergence d'un mouvement ouvrier. Nous envoyons à des centaines de milliers d'internautes des dossiers sur la façon de défendre leurs droits, avec des rapports sur les problèmes des travailleurs. Depuis trois ans et demi, nous aidons directement les ouvriers à trouver un avocat. Nous sommes en contact avec 33 cabinets dans 11 provinces. En fait, nous cherchons à influencer le législateur, les décideurs politiques à tous les échelons, les universitaires chargés de rédiger les lois. En essayant de couvrir tous les secteurs du monde du travail : les paysans, les ouvriers des entreprises d'État comme ceux du privé.

Quelles sont vos revendications ?

La Chine n'a pas de syndicats libres. Le seul syndicat officiel est contrôlé par le département de la propagande du Parti communiste [exclu de l'Organisation internationale du travail (OIT) en 2001, NDLR]. C'est une organisation dirigée par le gouvernement. Dans certains cas, les ouvriers ont dû déposer plainte devant un comité spécial composé de trois collèges, selon les principes de l'OIT : ouvriers, gouvernement et patronat. La plupart du temps, si vous faites appel à ce comité, vous constatez que le leader du syndicat, censé représenter les travailleurs, représente en fait l'entreprise. Les droits des travailleurs sont violés. Il faut des syndicats élus par les salariés. C'est d'ailleurs inscrit dans la loi, qui doit être clarifiée, car elle ne prévoit pas de procédures précises pour de telles élections. Des lois qui garantissent la sécurité et la santé des ouvriers sur leur lieu de travail sont également nécessaires.

Quelle est l'efficacité de votre action dans un pays où l'État de droit n'existe pas ?

Juste un exemple. En 2005, 11 ouvriers d'une fabrique de bijoux à Shenzhen étaient atteints de silicose parce qu'ils découpaient des pierres sans protection contre la poussière. À l'hôpital, on leur a dit qu'ils avaient la tuberculose, et non la silicose. Du coup, ils n'ont eu droit qu'à une faible indemnité. Comme personne ne les a informés que la loi autorisait à demander à leur patron une aide financière et une couverture santé, l'entreprise a refusé de payer. C'est là que nous sommes entrés en jeu. Nous avons engagé un avocat, et après six mois de procédure nous avons obtenu une compensation financière de 400 000 euros. Notre objectif est de multiplier les actions exemplaires pour démontrer qu'il y a toujours espoir d'obtenir gain de cause avec la législation actuelle. Et de plus en plus d'avocats veulent travailler directement avec nous. Eux n'ont pas peur d'agir à visage découvert.

Vous ne vous sentez pas menacé ?

Tous mes amis m'ont conseillé de partir avant la rétrocession de Hongkong en 1997. Mais je suis resté. C'est un endroit où l'État de droit existe. J'ai confiance dans sa législation. Ensuite, mon propos n'est pas subversif. J'invite mes auditeurs, ouvriers ou paysans, à s'appuyer sur la loi pour faire valoir leurs droits. Je ne les encourage pas à manifester ou à provoquer des troubles. Encore moins à renverser le régime communiste. Depuis 1997, des membres du gouvernement de Hongkong m'appellent et m'invitent même régulièrement à dîner. Je n'ai rien à cacher et ils ne m'empêchent pas de continuer mon émission. Les autorités m'ont donné le surnom de « pompier ». La Chine change. Le pays n'est plus noir ou blanc. Il y a aujourd'hui beaucoup d'articles sur les ouvriers, des sujets très détaillés sur les catastrophes dans les mines… C'était inconcevable il y a cinq ans.

Comment interpréter les derniers chiffres officiels qui parlent de 87 000 émeutes ou manifestations violentes en 2005 ?

Ces chiffres sont certainement très éloignés de la réalité. Comme les autorités locales trichent avec les statistiques, Pékin ne connaît pas l'ampleur de la situation, qui s'aggrave tous les jours. Depuis 1999, les entreprises d'État ont forcé les ouvriers à acheter leurs actions. Puis ce fut la banqueroute et leur argent a disparu. Maintenant, ils veulent le récupérer. De 2000 à 2004, la compagnie pétrochimique d'État Sinopec a licencié des centaines de milliers d'ouvriers avec des indemnités très faibles, en prétendant être au bord de la faillite. Par la suite, les ouvriers se sont aperçus que le P-DG, Chen Tonghai, avait racheté l'entreprise pour un dixième de sa valeur. Ces manifestations ne sont pas des troubles de l'ordre public mais le résultat de l'exploitation des salariés, de la corruption… La décentralisation a donné tout le pouvoir aux autorités locales. D'où une augmentation des malversations. Voilà ce qui se produit quand on décentralise alors qu'il n'y a ni État de droit ni société civile, les deux fondements de la démocratie.

L'État doit-il redouter une coordination nationale du type Solidarnosc ?

Actuellement, on ne s'achemine pas vers une coordination nationale. Les manifestations sont une accumulation de révoltes avec des revendications identiques. Comme un incendie sauvage dans une forêt. Cessons les comparaisons avec l'histoire polonaise et soyons réalistes : l'explosion sociale est déjà là, mais sans syndicat indépendant sur place pour la structurer. D'ailleurs, plutôt que d'opter pour la répression, le gouvernement devrait permettre aux ouvriers de s'organiser avec des syndicats élus. La Chine ne peut pas échapper à l'État de droit. Si le gouvernement ne s'engage pas dans cette voie, il s'expose davantage à une explosion de colère populaire. Les gens sont prêts à tuer les corrompus. Dans la province du Shanxi, après l'échec de son action en justice, un ouvrier a tué 17 personnes, des officiels et leur famille, pendant le nouvel an chinois. Il n'a pas mené de rébellion, mais beaucoup le considèrent comme un héros.

Comment vous apparaît l'avenir du syndicalisme en Chine ?

Malheureusement, les travailleurs se mobilisent sur des actions spécifiques plutôt que de se battre pour des élections syndicales. Je dois pourtant convaincre les ouvriers que ces dernières sont indissociables de leurs luttes. Car, si de plus en plus d'ouvriers s'organisent, il y aura une pression réelle sur le syndicat officiel. C'est pourquoi le plus important à l'heure actuelle est que les actions en justice aboutissent pour donner confiance aux gens. Pour qu'ils s'aperçoivent qu'il existe désormais un socle à leurs revendications. Mais le chemin est long car, pour l'heure, personne n'a confiance dans les institutions. À long terme, c'est pourtant le seul moyen d'éviter que ne recommence le cercle infernal de l'histoire chinoise : révolution, dictature, empire décadent, nouvelle révolution, nouvelle dictature et ainsi de suite. Finalement, le peuple n'obtient rien. Après cinquante ans de communisme, nous n'avons toujours rien gagné.

Propos recueillis par Joris Zylberman

HAN DONGFANG

Syndicaliste indépendant.

NAISSANCE

Août 1963 à Pékin.

PARCOURS

Après le bac et trois ans dans l'armée, Han devient électricien dans les chemins de fer à Pékin. En 1989, il cofonde l'éphémère Beijing Workers Autonomous Federation. Après vingt-deux mois de prison, il sera exilé à Hongkong. Il y fonde, en 1994, le China Labour Bulletin. Depuis 1997, il anime la chronique « Labor Express » sur Radio Free Asia, media financé par les États-Unis.

LE CHINA LABOUR BULLETIN

Créé en 1994, il est « une association qui a pour vocation de promouvoir les droits sociaux des travailleurs », explique Cai Chongguo, son représentant pour l'Europe, basé à Paris et auteur de Chine : l'envers de la puissance (éd. Mango, 2005). L'organisation compte une petite dizaine de permanents à Hongkong, au Canada, en France et en Grande-Bretagne, et est soutenue « moralement, politiquement et financièrement par des syndicats internationaux », poursuit Cai Chongguo. Parmi ceux-ci, l'AFL-CIO aux États-Unis, la Confédération italienne des syndicats libres (CISL), Solidarnosc en Pologne, FO et la CFDT en France.

Auteur

  • Han Dongfang