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Vie des entreprises

Doux/LDC : Les rois du poulet ne se décarcassent pas pour leurs salariés

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.05.2006 | Olivier Quarante

Conditions de travail, perspectives d'évolution, salaires : les employés des leaders français de la volaille ne sont pas à la fête. Mais, dans ce secteur en restructuration, LDC résiste mieux à la grippe aviaire que Doux, contraint d'user du chômage technique.

Oublié, le syndromedela grippe aviaire, comme tendrait à le montrer la reprise de la consommation de poulet ? Ou plus simplement éclipsé par le feuilleton du CPE ? En tout cas, le virus H5N1 aura sévèrement affecté l'industrie française de la volaille. Mais si l'épizootie a eu raison de centaines de contrats précaires – CDD et intérims – habitués à jouer les variables d'ajustement sur un marché très saisonnier, l'impact a été très différent pour le numéro un français du secteur, Doux (14 000 salariés dont 8 000 au Brésil), implanté dans le Finistère en 1955 par le père du P-DG actuel, Charles Doux, et son challenger sarthois, LDC (12 000 salariés environ). Ce dernier est né en 1968 de la fusion de deux sociétés familiales (Dodard Chancereul et Lambert), sous la houlette de Denis Lambert, dont le fils est aujourd'hui P-DG.

En Bretagne, fief de Doux, les mesures de restriction ont été immédiates : une semaine sur deux de chômage technique pour 20 % du personnel de l'usine de Châteaulin (589 salariés), trois heures hebdomadaires à Pleucadeuc, dans le Morbihan. À Locminé, on espère que le non-renouvellement des contrats précaires et la prise des congés suffiront à attendre la reprise de l'activité estivale. En revanche, à Chaptuzat, en Auvergne, l'atelier d'abattage et de découpe de poulets est stoppé depuis le 20 mars. Et les syndicats craignent qu'il ne redémarre pas comme prévu en juillet. « Onze des quinze usines françaises de Doux sont concernées par le chômage partiel, mais nous sommes les seuls à être au chômage complet », s'étonne Pascal Granseigne, délégué CFTC du site et secrétaire du CE.

Chez LDC, en revanche, le chômage partiel n'était qu'évoqué au siège de Sablé-sur-Sarthe, l'un des trois pôles d'activité du groupe, avec celui de Bretagne et celui de Bourgogne. La direction tablait sur une baisse de son activité volaille de 20 %. Mais ce sont surtout les CDD qui en ont fait les frais.

Syndicalistes, directions et experts de l'agroalimentaire, tout le monde s'accorde à reconnaître que la crise actuelle devrait surtout avoir pour conséquence d'accélérer les mutations en cours depuis près de dix ans dans ce secteur. Mais, là encore, Doux et LDC n'ont pas suivi la même voie pour s'adapter à la nouvelle donne.

Tout a basculé au début des années 2000. Doux et LDC, dont le cœur de métier est l'abattage de volailles, sont alors confrontés à un ralentissement de la consommation de volailles en Europe et à une guerre des prix sur un marché en surproduction. La concurrence de nouveaux pays, principalement le Brésil et la Thaïlande, bouleverse une activité à forte main-d'œuvre. Spécialiste du poulet congelé, Doux, dont l'activité est axée depuis toujours sur l'export, y laisse des plumes, tandis que LDC, beaucoup moins présent hors des frontières, commence une course à la croissance externe – pas moins de 10 acquisitions depuis 1999 – pour conforter ses positions sur le marché national et se diversifier dans un créneau en pleine croissance : les produits traiteur.

Cette révolution culturelle va laisser des traces sur l'emploi. Doux condamne indirectement son activité historique en France en rachetant, en 1998, Frangosul au Brésil. « Une stratégie remarquable, estime Jean-Luc Perrot, responsable de l'observatoire de l'industrie agroalimentaire en Bretagne. Le groupe estainsibien ancré en Europe et au Brésil, deux bassinséconomiques très importants. » Le but est clair : anticiper la fin prévue en 2013 des subventions européennes aux exportations extracommunautaires et maintenir ses parts de marché à l'export. Objectif atteint, le Brésil étant devenu en 2004 le premier exportateur mondial. Mais, la contrepartie est difficile à avaler pour les salariés de l'Hexagone qui se retrouvent en concurrence avec leurs collègues brésiliens. Fataliste, Michel Le Guellaud, délégué central CGT, estime que « les marchés à l'exportation perdus ici en raison de la crise aviaire ne le sont pas forcément pour le Brésil. Et Doux utilise une partie de sa production brésilienne en France, pour l'instant pour les plats cuisinés. Mais on peut imaginer que ce mouvement va plutôt aller en s'accentuant ».

Le rachat, la même année, de Frangosul et celui de la Soprat, spécialisée dans les produits transformés, ont lourdement endetté le groupe breton, contraint à restructurer en France. De 5 664 salariés à la fin 2004, les effectifs sont descendus sous la barre des 5 000 personnes (4 910 exactement) un an plus tard… Entre 2002 et 2004, 1 082 salariés avaient également démissionné. « Une érosion naturelle », selon l'expression maison, à laquelle il faut ajouter 242 licenciements pour inaptitude sur la même période.

Du côté de LDC, les réorganisations opérées depuis le début de la vague d'acquisitions en 1999 ne semblent pas inquiéter outre mesure les organisations syndicales. Même si la vigilance est de mise. « Quand on a transféré la fabrication de saucisses et de paupiettes de Louans sur un autre site, j'ai tout de suite pensé à l'économie substantielle que le groupe allait réaliser étant donné que les salaires y sont inférieurs aux nôtres », explique Hervé Collin, délégué syndical CFDT de LDC Bourgogne.

Le nouveau coordinateur des délégués syndicaux de l'ensemble du groupe est critique quant à la politique salariale de LDC qui « ne reprend pratiquement que des entreprises familiales où les droits des salariés ne sont guère étendus. La direction nous parle d'esprit de groupe, mais jusqu'à présent elle n'a pas mis en place une vraie politique de ressources humaines homogène. Cela lui permet notamment de conserver de grandes disparités dans les salaires ».

Dans le cadre d'un vaste mouvementderedéploiement industriel en cours chez LDC, l'entreprise réaffecte les effectifs entre lessites.Unetrentainedes 430 salariés de Guillet (Maine-et-Loire), spécialisé dans l'abattage et la découpe, se sont vu proposer une mutation dans l'un des cinq établissements du pôle de Sablé-sur-Sarthe. « Une offre qui peut arranger ceux qui n'habitent pas loin, note Alexandra Gilbert, déléguée CFTC. Mais encore faut-il se mettre d'accord sur le salaire, car les grilles peuvent être différentes. »

L'éclatement des sites de production ne facilite pas, non plus, le dialogue social chez LDC. À Sablé, il n'y a pas eu de syndicats pendant trente ans. Une section CFDT n'a été créée qu'en 1999, et la première grève qu'ait connue le groupe a éclaté un an après. Puis FO, la CGT et la CFTC sont apparues en 2002. « Nous ne sommes pas encore assez organisés, reconnaît Régis Letessier, délégué CFTC sur le site de Saint-Laurent, à Sablé-sur-Sarthe. La direction fait ce qu'elle veut. Notamment sur les salaires. Cette année, elle a lâché 1,6 % d'augmentation collective alors que tous les syndicats demandaient 3 %. Pourtant, à chaque négociation, la direction nous informe d'une nouvelle acquisition. Tout le monde veut sa part du gâteau. Et ce n'est pas le plan d'épargne d'entreprise qui peut compenser la baisse du pouvoir d'achat. Ce n'est pas avec 1 300 euros brut de salaire moyen qu'on peut investir dans le PEE. »

Chez Doux, la question des salaires est également un sujet brûlant. « Au cours des dernières années, les augmentations ont été inférieures à celles du smic. Nous avons ainsi perdu le bénéfice des hausses négociées en 2001 et 2002, explique Christiane Le Gouesbe, déléguée centrale CFDT. La grande majorité d'entre nous est payée 8,18 euros brut l'heure, alors que le smic est à 8,03 ! » « Un salaire de misère pour un travail destructeur, à la fois physiquement et psychologiquement », estime Gisèle Lerat, secrétaire du CHSCT de Pleucadeuc. Et guère d'espoir d'y échapper car, explique Françoise Lavisse, déléguée centraleCFTC de Doux, « ici, on entre désosseur et on finit désosseur ». Sauf à passer le permis poids lourd et « faire la route pour gagner davantage compte tenu de l'amplitude horaire », ajoute Hervé Collin, de la CFDT.

Soumis à des conditions de travail difficiles, le personnel du numéro un français a accueilli favorablement l'accord signé en 1999 octroyant 23 jours de RTT. Mais, cinq ans plus tard, la direction l'a dénoncé. Faute d'un consensus syndical, le groupevitdésormaisau rythme des 35 heures avec 3 heures de modulation.

Signe de tension, courant mars, le non-paiement de la pausequotidienned'une demi-heure, décidé en même temps que la remise en cause de l'accord, a fait l'objet de plus de 1 000 plaintes auprès des prud'hommes bretons. « Un vrai dialogue de sourds, souligne Michel Le Guellaud. Pour un oui ou pour un non, il faut aller au tribunal. » Une péripétie qui ne va pas redresser l'image de l'industrie agroalimentaire, bien en peine de trouver des opérateurs, des techniciens ou des cadres. Mais, dans le secteur de la volaille, l'heure n'est pas aux pénuries de main-d'œuvre…

Doux

CA 2004 : 1,35 milliards d'euros (51 % à l'export)

Unités : 53

Salariés : 14 000

LDC

CA 2004 : 1,55 milliards d'euros (5,5 % à l'export)

Unités : 48

Salariés : 12 000

Des TMS à la chaîne

Aujourd'hui encore, sur des lignes de dindes, les chronomètres sont utilisés pour contrôler la cadence », raconte Sébastien Vaidie, délégué CFDT chez LDC.

Avec, pour conséquence, un développement des troubles musculo-squelettiques.

Tant chez LDC que chez Doux, les organisations syndicales reconnaissent les efforts accomplis pour faire baisser le nombre d'accidents du travail.

« Mais pas celui des maladies professionnelles, explique Christiane Le Gouesbe, déléguée CFDT chez Doux, à Pleucadeuc. En 1997, les chaînes ont été modernisées. Le travail de force a été réduit, mais les gestes répétitifs n'ont pas disparu. »

« À Blancafort (Cher), la polyvalence a été développée depuis trois ans, précise Françoise Lavisse, délégué CFTC de Doux. Toutes les deux heures on change de poste pour ne pas faire tout à fait les mêmes gestes.

On a aussi des sièges pour s'asseoir, mais cela reste pénible. » Chez LDC Bourgogne, le CHSCT a tiré le signal d'alarme en constatant que les problèmes physiques concernent désormais des jeunes de moins de 30 ans. Mais le travail de sensibilisation et de formation à entreprendre est immense, car il suffit qu'un couteau soit mal aiguisé pour que l'opérateur force et se fasse mal.

Auteur

  • Olivier Quarante