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Enquête

La flexibilité n'effraie pas nos voisins

Enquête | publié le : 01.05.2006 | De nos correspondants à Berlin; Londres, Madrid et Stockholm

Par comparaison avec l'Espagne où un contrat sur trois est temporaire, avec l'Autriche et la Suède où la protection des salariés contre le licenciement est minimale, ou avec la Grande-Bretagne qui joue à fond la carte de la flexibilité-mobilité, le marché du travail semble bien trop verrouillé dans l'Hexagone.

Suède : des accords collectifs très souples

Une fois n'est pas coutume, les Suédois veulent s'inspirer du modèle français. Maud Olofsson, présidente du Parti du centre, l'un des quatre partis de l'opposition de droite qui briguent l'alternance lors des élections de septembre, s'est entichée du CPE et veut l'adapter en Suède. Pour elle, la rigidité du système suédois explique en grande partie le fort taux de chômage des jeunes, deux fois plus élevé que la moyenne nationale à près de 11 %.

Une telle proposition fait bondir Jonas Franzen, 30 ans, au chômage depuis le début de l'année. Après avoir quitté le lycée en 1993, il a travaillé cinq ans dans une scierie de la région de Kalmar, dans le sud du pays. Il a ensuite voyagé et, depuis, il cumule les petits boulots, généralement des contrats de quelques mois. « En principe, les salariés sont bien protégés en Suède, dit-il. Mais, depuis la crise des années 90, les entreprises ont multiplié les CDD, qui leur permettent de contourner ces difficultés. »

En Suède, les accords collectifs tiennent une place prépondérante, avec des syndicats qui représentent environ 80 % des salariés et un droit du travail minimaliste qui supprime toute forme de contrainte. Certes, le contrat doit être écrit et remis personnellement à l'employé, et celui-ci bénéficie d'un préavis de licenciement d'au minimum un mois, et d'au moins deux mois s'il a plus de deux ans d'ancienneté. Mais le renvoi pour faute grave n'implique pas de précaution, ni de préavis particuliers. Et en cas de licenciement économique ou de licenciement «pour raison personnelle», l'employeur n'est tenu de se justifier que si le salarié le demande.

En cas de licenciement économique, la règle du « dernier embauché premier licencié » est en principe applicable, à moins que les accords collectifs ne prévoient d'autres cas de figure. « Il est très fréquent que les accords collectifs, qui concernent la plupart des salariés, adoptent des dispositions différentes de celles prévues par la loi, explique Roger Mörtvik, responsable de la politique sociale à TCO, la confédération des cadres, fonctionnaires et employés. Et ces accords ont créé des situations où il est facile de se défaire de salariés, notamment par le biais de contrats à durée déterminée renouvelables pendant des années. » Un avis partagé par Carl Klint, responsable des jeunes à l'agence suédoise pour l'emploi : « Les accords collectifs sont souvent plus flexibles que la législation. »

La multiplication des contrats précaires, conséquence de la crise des années 90, semble toutefois s'être stabilisée ces dernières années, mais à un niveau trois fois plus élevé qu'avant la crise. Pour Roger Mörtvik, il est impossible d'affirmer que la souplesse des contrats a un effet positif sur l'emploi : « L'emploi est davantage lié à la conjoncture qu'aux formes de contrats. » Et de noter des convergences entre la Suède, où la durée moyenne dans un emploi est de dix ans et demi, et la France, où elle est de onze ans et demi. Et 15 % des salariés ont le même emploi depuis moins d'un an, tant en France qu'en Suède. Au bout du compte, il y aurait plus de ressemblances entre la France et la Suède qu'entre la Suède et le Danemark, dont les systèmes sociaux sont pourtant réputés proches.

Olivier Truc, à Stockholm

Grande-Bretagne : embauche et licenciement faciles

En Grande-Bretagne, pas besoin de CNE ou de CPE pour faciliter les licenciements : les procédures sont à la fois courtes et peu coûteuses pour l'employeur. Le préavis est de sept jours pour les salariés en poste depuis moins de deux ans, puis d'une semaine supplémentaire par année travaillée, et il est plafonné à douze semaines. Les moins de 21 ans sont désavantagés : le calcul de leurs indemnités de licenciement est moins favorable que pour leurs aînés. Une demi-semaine de salaire par année travaillée, contre une semaine entre 22 et 40 ans et une semaine et demie entre 41 et 65 ans. Le salaire de référence étant plafonné à 419 euros par semaine, le coût d'un licenciement n'excède pas, dans l'absolu, 7 445 euros. Et, pour un jeune de moins de 26 ans, même avec quatre ans d'expérience, la facture ne dépasse pas 1 654 euros.

Seule obligation pour l'employeur, fournir un motif valable si le salarié en fait la demande. Quelle que soit la raison de la rupture – mauvaise conduite, inefficacité, incompétence ou raison économique – les mêmes règles s'appliquent. L'employé ainsi remercié ne dispose que de deux voies de recours contre un licenciement qu'il juge abusif : l'erreur de procédure ou une sanction démesurée au regard du motif invoqué. À condition toutefois de justifier d'au moins un an de présence. En deçà, c'est la porte quasiment du jour au lendemain, sans indemnité ni autre motif. Sauf à prouver qu'il y a eu discrimination (raciale, sexuelle, syndicale, pour grossesse, etc.) Une période d'essai d'un an, en quelque sorte. Mais, en général, quand la personne convient, on lui signe rapidement un contrat à durée indéterminée.

Le marché du travail britannique joue sans scrupule la carte de la flexibilité, mais les notions de CDD et de stages à répétition y sont presque inconnues. Seulement 5 % de la main-d'œuvre est en contrat temporaire, selon les chiffres de la principale organisation patronale, CBI. « Les employeurs et employés britanniques estiment que la facilité de recrutement comme la possibilité de licencier quand c'est nécessaire, sans que cela entraîne des coûts faramineux, sont des facteurs-clés, avance Thomas Moran, du CBI. Cette flexibilité contribue au succès de notre économie, avec, actuellement, un taux d'emploi supérieur à 73 %. »

Et les jeunes ne s'inquiètent pas outre mesure d'être congédiés, dans la mesure où ils retrouvent rapidement du travail. Dans la City, ils passent ainsi de chaîne de restauration rapide en sandwicherie, ou de la banque Goldman Sachs à sa concurrente JPMorgan.

Nombre de jeunes Français viennent d'ailleurs à Londres profiter d'un marché du travail où on ne leur demande pas de justifier de plusieurs années d'expérience pour pouvoir être embauchés. « Si tu veux travailler, on te laisse ta chance, note Kelvin Malmotte, employé dans une boulangerie Paul. En France, la même enseigne me demandait cinq ans d'expérience. »

« Ici, si tu fais l'affaire, après trois mois en CDD, tu es embauché. On ne te fait pas mariner pendant deux ans », explique Samir, 25 ans, employé depuis trois ans chez Prêt à Manger, où il est devenu manager d'un magasin. « J'ai fait différents boulots et à chaque fois j'ai eu des CDI », témoigne de son côté Fitzgerald Nee, un Anglais de 25 ans, vendeur dans une boutique Oddbins (vins et spiritueux). Même si les jeunes sont ici aussi les premières victimes du chômage, avec un taux de 11,9 %, plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale, on est très loin des 23 % de chômage dont pâtissent les jeunes Français.

Léa Delpont, à Londres

Espagne : l'emploi par les contrats précaires

Pendant que la France s'enflammait contre le CPE, gouvernement, patronat et syndicats espagnols ont bouclé sans heurt, après plus d'un an de négociations, une réforme destinée à lutter contre la précarité de l'emploi. La recette adoptée ? L'allégement du coût du licenciement, qui devrait baisser de quarante-cinq jours par année de travail à trente-trois jours pour les contrats temporaires transformés en CDI. La poursuite de la réforme négociée entre le gouvernement Aznar et les syndicats en 1997. À l'époque, en facilitant l'embauche temporaire et en réduisant le coût de certains licenciements, elle avait introduit de la flexibilité et débloqué le marché de l'emploi, dans un pays qui affichait alors le taux de chômage le plus élevé d'Europe, à 22 %.

La nouvelle donne, visiblement mieux adaptée à l'Espagne qui vit en grande partie au rythme des saisons touristiques, a permis de faire descendre régulièrement le taux de chômage, repassé sous la moyenne européenne, à 8,7 %. Il faut dire, soulignent les experts, que cela a aussi aidé à faire affleurer une partie de l'économie souterraine liée au secteur hôtelier. Aujourd'hui, Madrid fait figure de bon élève, avec 900 000 nouveaux postes de travail créés en 2005. Et, selon l'Institut national de l'emploi, 700 000 emplois temporaires auraient été transformés en postes fixes.

Situation idyllique ? « Pas pour moi », tranche Kika, 32 ans. Depuis qu'elle a fini ses études, il y a neuf ans, elle n'a jamais décroché de vrai travail. Elle appartient à ceux que l'on appelle la « génération précaire », mal payés, condamnés à passer de job en job et à mener une vie d'étudiants attardés. Elle a travaillé comme étalagiste pendant trois ans en cumulant les CDD. « Mon patron jonglait entre plusieurs sociétés. Il me laissait parfois en plan pendant des semaines, me payait de la main à la main, mais finissait toujours par me signer un nouveau contrat. Jusqu'au jour où je lui ai annoncé que j'étais enceinte. Là, plus personne. » Aujourd'hui, elle prépare un concours pour devenir prof de français. « Le privé, j'en ai soupé, dit-elle. Quand je vois les jeunes Français se mobiliser contre le CPE, cela me semble surréaliste. Ici, j'ai l'impression qu'on a renoncé à nos droits. »

En Espagne, où un contrat sur trois est temporaire, contre 13,6 % en moyenne dans l'Union européenne, les jeunes sont les plus exposés : 65 % des moins de 30 ans ont des emplois précaires. Chaque mois, les entreprises signent près de 200 000 minicontrats d'une semaine ou moins, dans les services surtout. « 90 % des nouveaux contrats sont temporaires. Cet abus généralisé de la précarité n'est pas viable à long terme, estime Nuria Rico, responsable de la jeunesse aux Commissions ouvrières. On ne peut pas avoir un marché du travail à deux vitesses, où l'on prétend créer de l'emploi à travers la précarité et où les jeunes doivent être prêts à tout pour s'intégrer. »

Il y a quelques mois, les syndicats ont pointé le cas d'entreprises qui embauchent le lundi et débauchent le vendredi pour ne pas payer le week-end. « Ne nous faisons pas d'illusions. Le licenciement libre existe de fait, à cause de l'énorme taux de précarité », constate Mercè Sala, présidente du conseil de travail économique et social de Catalogne. Selon le syndicat UGT, 40 % des CDD n'ont pas de date de cessation réelle et laissent le salarié dans un état d'incertitude permanente, à la merci de son employeur.

Cécile Thibaud, à Madrid

Autriche : une épargne à vie pour le licenciement

En Autriche, le faible niveau de protection contre le licenciement n'est pas le produit de la mondialisation. C'est celui de la tradition. Bernhard Achitz, directeur du département politique sociale à la Confédération des syndicats autrichiens (ÖGB), n'y voit rien de choquant : « La base de l'économie autrichienne repose depuis longtemps sur un personnel bien formé qui n'a jamais eu trop de problèmes à retrouver un emploi. L'Autriche n'a jamais développé une législation contraignante en matière de protection contre le licenciement. Cela nous place en tête de peloton pour la mobilité professionnelle. En 2005, environ 1 million de contrats de travail ont été signés pour une population active légèrement supérieure à 3 millions d'individus et notre taux de chômage est de 5 %. »

Un entrepreneur autrichien peut licencier sans aucun motif, avec une période de préavis minimale en fonction de l'ancienneté : six semaines jusqu'à trois ans de présence ou cinq mois au-delà de vingt-cinq ans : « L'entreprise peut réembaucher qui elle veut et quand elle veut. Le recours en justice est rare. Évidemment, certaines catégories de travailleurs, les apprentis, les handicapés, les femmes enceintes ou les membres du CE bénéficient d'une protection contre le licenciement », précise Bernhard Achitz.

Dans la petite république alpine qui ne compte que 4,7 % de chômeurs de longue durée, celui qui se trouve privé de travail perçoit pendant six mois une allocation équivalente à 55 % de son dernier salaire net. Au bout de trois mois, il a accès à des mesures de requalification. Au-delà des six mois, il bénéficie d'une aide mensuelle (Notstandhilfe) équivalente à 95 % de l'allocation chômage, reconductible chaque année sans limitation de durée. Selon l'Arbeitsmarktservice, l'ANPE autrichienne, la durée moyenne de retour à l'emploi est de cent jours. « Dans la société autrichienne, il y a un consensus autour de l'idée que trop de protection peut être dangereux car cela favorise l'immobilisme. Mais cela ne veut pas dire que nous sommes pour l'absence totale de protection. La création récente de comptes d'épargne pour le licenciement en est un exemple », estime Gudrun Biffl, experte des politiques de l'emploi à l'Institut autrichien de la recherche économique (Wifo).

Depuis 2003, les employeurs doivent, en effet, verser 1,54 % de cotisation sur un compte géré par un fonds extérieur à l'entreprise, dès le premier jour de travail. En cas de licenciement, le salarié peut disposer de son capital si son ancienneté est supérieure à trois ans ou en cas de circonstances exceptionnelles. Mais il conserve son compte tout au long de sa vie professionnelle : « Cela augmente légèrement le coût du travail, mais cela allège celui du licenciement et offre une sécurité nouvelle au salarié. Auparavant, les indemnités de licenciement étaient quasi inexistantes pour une ancienneté inférieure à trois ans », explique Gudrun Biffl.

Les syndicats autrichiens estiment globalement que le système fonctionne bien et ne relèvent pas d'abus du côté des employeurs : « Il n'est d'ailleurs pas rare que des salariés soient licenciés avec une promesse écrite d'embauche au bout de quelques mois », souligne Bernhard Achitz, de l'ÖGB. Dans les grandes entreprises du moins. Et ce n'est évidemment pas la règle dans tous les secteurs…

Thomas Schnee, à Berlin

Auteur

  • De nos correspondants à Berlin; Londres, Madrid et Stockholm