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Enquête

CDI : Le statu quo n'est plus possible

Enquête | publié le : 01.05.2006 | Stéphane Béchaux

Alors que le chômage demeure à des niveaux très élevés en France, la dualité entre CDI protégés et contrats précaires n'a jamais paru aussi grande. Et la nécessité d'une réflexion sur la réforme du marché du travail aussi impérative.

Le CPE, c'est pas mieux que rien. C'est pire que tout. » Dans les cortèges étudiants du printemps, le slogan a connu un franc succès. Un CDI, sinon rien ! Des beaux principes qui font lever les sourcils de ceux qui se frottent à la réalité du marché du travail. « Si on m'avait proposé un CPE, j'aurais sauté dessus. C'était l'opportunité d'avoir un vrai salaire et de montrer ce que je vaux. Je crois que les entreprises sont capables de jouer le jeu, en testant vraiment le jeune et son activité », explique Nicolas, jeune diplômé de l'Edhec, actuellement en stage chez Sportfive. « Tant qu'à pouvoir me faire virer du jour au lendemain, entre un stage sous-payé et un CPE rémunéré normalement, je n'aurais pas hésité une seconde », abonde Dorothée, diplômée de l'ESC Bordeaux et stagiaire chez un fabricant d'ordinateurs. Car les statistiques sont têtues. Au dernier trimestre 2005, un tiers seulement des 782 800 offres d'emploi recueillies par l'ANPE étaient à durée indéterminée. Un taux quasi constant depuis des années. Des chiffres corroborés par le Centre d'études et de recherches sur les qualifications. Selon sa dernière en quête, sur la génération 2001, trois ans après leur sortie du système scolaire, à peine plus de la moitié des jeunes avaient obtenu un CDI.

À moins de sortir d'une grande école de commerce ou d'ingénieurs, ou d'une formation très professionnalisante sur un créneau porteur, impossible désormais de décrocher la timbale du CDI sans passer par les cases stages, contrats aidés, CDD ou intérim. Sans oublier l'ANPE. Avec plus de 22 % des moins de 25 ans en recherche d'emploi, la France figure parmi les cancres européens de l'emploi des jeunes. Pour les non qualifiés, les chiffres sont encore pires. À l'image de Mahana, 23 ans, qui, sans diplôme, enchaîne depuis cinq ans les petits boulots dans l'animation – vacataire, auxiliaire de vie scolaire, garde d'enfants… –, leur entrée dans la vie active ne se conçoit plus sans précarité à rallonge. Seule bouée de sauvetage : les entreprises des secteurs peu attractifs qui ne peuvent se permettre de faire la fine bouche. « On utilise la méthode par simulation de l'ANPE. Ça nous permet d'embaucher des jeunes non pas sur leurs diplômes, mais en fonction de ce qu'ils sont capables de faire, explique par exemple Patrick Deshais, le DRH de Kentucky Fried Chicken. Notre problématique consiste non pas à faire partir nos salariés, mais à les garder. »

Hors des secteurs en mal de main-d'œuvre, le contrat à durée indéterminée devient une exception en début de carrière. Même pour les plus diplômés. « On reconnaît ma formation théorique, mais il me manque une ou deux années d'expérience, de mise en œuvre de projets. Les recruteurs recherchent la génération d'avant, avec la formation d'aujourd'hui », observe Valentine qui, avec son master Direction de projet culturel de l'IEP de Grenoble, alterne CDD et chômage depuis dix mois. « Quand un mec quitte son poste, on recherche systématiquement son clone pour le remplacer. Les recruteurs sont frileux, et pas très imaginatifs. Dans le système anglo-saxon, tu peux te faire larguer plus facilement. Mais on te laisse aussi ta chance pour faire tes preuves », observe Thomas, 28 ans, ancien commercial chez TNT. Trop souvent perçu par les employeurs comme une sorte de contrat à vie, le CDI finit par les inciter à une extrême prudence dans leurs embauches.

Et gare aux accidents de parcours ! Passé la quarantaine, trouver un boulot stable devient mission quasi impossible. « Quand il y a pénurie, les employeurs deviennent idiots, incapables de prendre le moindre risque. Voilà trois ans que je cherche à me reconvertir comme maquettiste. Personne ne me donne ma chance. Je me retrouve en concurrence avec des jeunes, qu'on sous-paie. Même les stagiaires me font de l'ombre ! » s'indigne Sophie, 43 ans, ancienne cadre chez Warner Music. Même galère pour Valérie, 38 ans, une décoratrice-scénographe qui, depuis dix-huit ans, erre de missions en petits boulots. « J'ai été serveuse, vendeuse, décoratrice. Les employeurs n'embauchent que des gens venus de boîtes concurrentes ou sortis des mêmes écoles. Ça les rassure. Résultat, quand on commence précaire, on continue précaire. Mais pourquoi se méfie-t-on autant des chômeurs ? De quoi a-t-on peur ? »

« Des juges ! » répondent en chœur les DRH.« Les patrons de PME ont une peur viscérale des prud'hommes. La perspective de pouvoir se faire traîner devant un tribunal leur est insupportable, assure Gérard Perroud, directeur de la production et des RH de l'usine Bonduelle Traiteur de Rosporden (Finistère). C'est pour cette raison que le contrat nouvelles embauches (CNE) est une bonne mesure. Il permet de faire sauter le verrou psychologique à l'embauche. »

15 et 25 % des ruptures finissent devant les tribunaux. De quoi donner des sueurs froides aux petits patrons mal outillés pour justifier la cause réelle et sérieuse d'un licenciement

Si l'on en croit les statistiques du ministère de la Justice, leurs craintes sont plutôt fondées. En 2003, les conseils de prud'hommes ont été saisis de quelque 196 000 demandes liées à des ruptures de contrat de travail, dont près de 139 000 portant sur la contestation du motif du licenciement. Au total, entre 15 et 25 % des ruptures finissent devant les tribunaux. De quoi donner quelques sueurs froides à des petits patrons, mal outillés pour justifier la cause réelle et sérieuse d'un licenciement. Résultat : ils préfèrent parfois perdre une commande que de recruter. Problématique, dans un pays où les gisements d'emploi se trouvent justement au sein des PME !

Dans les entreprises de taille supérieure, le frein psychologique est nettement moins puissant. Mais la charge de la preuve ne va pas non plus de soi. « À Conforama, on est dans une culture orale, peu formalisée. En cas de contentieux, on a du mal à réunir les éléments matériels », explique Philippe Achalme, le DRH. « On n'est pas suffisamment procédurier. Comme on ne monte pas des dossiers sur chacun de nos salariés, on arrive souvent devant le juge avec peu de preuves », renchérit Philippe Salle, le patron de Vedior. Christian Leroy, le DRH de Flunch, est plus nuancé : « Si vous faites des entretiens d'évaluation réguliers, il n'est pas très compliqué de licencier quelqu'un. Et si celui-ci conteste les faits, c'est quand même la moindre des choses que de devoir les prouver. Sinon, c'est le règne des petits chefs ! »

L'autre sempiternel grief des dirigeants porte sur la complexité du licenciement économique. « Si vous fermez tout, ou si les pertes sont énormes, ça va. Sinon, impossible d'y avoir recours. En France, les juges et l'opinion n'admettent pas qu'on puisse licencier tout en gagnant de l'argent », note André Radière, DRH d'Ina Roulements. Soumis à de fortes variations d'activité, les industriels n'ont donc d'autre choix que de jouer sur l'intérim et les CDD pour adapter leurs effectifs à leur carnet de commandes. Résultat, la nécessaire flexibilité des entreprises ne repose que sur les épaules de quelques-uns, condamnés à jouer les variables d'ajustement pour préserver la stabilité des autres. D'où, parfois, des réactions de colère. « Plus les salariés manifestent dans la rue pour défendre le droit du travail et leurs privilèges, moins les précaires ont de chances d'obtenir un CDI. C'est à double tranchant », analyse Valérie. Une dualité du marché du travail à laquelle il va bien falloir s'attaquer un jour…

Les nombreux obstacles au licenciement imaginés par les législateurs – gestion prévisionnelle des emplois, plan de sauvegarde, réduction préalable du temps de travail… –, sont autant de freins aux embauches en CDI. Et d'incitations à contourner les plans sociaux. Les ficelles sont nombreuses : saucissonnage par paquets de neuf, transactions, licenciements sous des prétextes bidon…

Des astuces qui se retrouvent aujourd'hui dans les études macro économiques. Entre début 2001 et fin 2003, les licenciements pour motif personnel ont augmenté de 40 %, une hausse que les statisticiens du ministère de l'Emploi attribuent notamment à « un effet de substitution » avec les licenciements économiques. « Pour encourager les entrées sur le marché du travail, il faut débloquer les sorties. Un patron hésite moins à s'aventurer dans un nouveau marché s'il sait qu'en cas d'échec il peut replier les voiles plus facilement », plaide Philippe Salle.

Un discours difficile à faire passer auprès des salariés français. À juste titre. Car l'Hexagone se singularise au moins autant par la durée de son chômage que par son ampleur. Actuellement, plus de 30 % des demandeurs d'emploi de catégorie 1 sont inscrits à l'ANPE depuis plus d'un an, dont quelque 130 000 depuis plus de trois ans ! De quoi rendre la perspective du chômage plus traumatisante encore dans l'Hexagone que chez ses voisins… Sans compter les lacunes du service public de l'emploi, dont l'accompagnement des chômeurs reste médiocre. « En dix-huit ans de précarité, l'ANPE ne m'a jamais trouvé le moindre boulot », assure ainsi Valérie. Du coup, les chômeurs non indemnisés, jeunes en tête, font souvent le choix de se passer de ses services, à l'instar de Valentine : « Ça ne me servirait à rien. Dans le secteur culturel, tout marche par réseau. » Guère étonnant, dans ces conditions, que les salariés en CDI rejettent toute forme de flexibilité, assimilée à de la précarité. Sauf que le marché du travail ne pourra indéfiniment fonctionner sur ce mode, avec une forte protection des salariés en poste et un faible accompagnement de ceux qui rêvent d'y entrer. En dépit ou en raison du sabordage du CPE, il faut souhaiter que les candidats à la prochaine présidentielle ne fassent pas l'économie d'une réflexion sur l'articulation nécessaire entre flexibilité des emplois et sécurité des individus.

Avec 30 % de chômeurs inscrits à l'ANPE depuis plus d'un an, la perspective de perdre son emploi est plus traumatisante en France que chez nos voisins
CNE : la crainte des licenciements sauvages

Après cinq ans dans une société de télécoms, Julien, 43 ans, s'est fait licencier en 2005 de façon pour le moins curieuse.

Début septembre, après un arrêt maladie, il reçoit une convocation à un entretien préalable pour le… 13 août. « À cette date-là, j'étais en maladie et, en plus, cela tombait un samedi ! » dit-il. En octobre, un mail de sa direction s'étonne qu'il ne se soit pas rendu à cet entretien et lui signifie son licenciement pour absence injustifiée. Fin octobre, alors qu'il est parti en congé avec l'accord de l'entreprise, il reçoit une attestation Assedic, son contrat de travail, son solde de tout compte, mais pas de paiement de préavis ni de lettre de licenciement. « Entre juin et octobre, au moins six autres personnes ont été licenciées de cette manière. D'habitude, c'étaient les jeunes qui étaient visés. Leurs superviseurs leur disaient le soir qu'ils n'avaient plus besoin d'eux et qu'ils ne devaient pas revenir le lendemain, explique-t-il. Mais là, cela concerne des personnes plus âgées, avec des années d'ancienneté. »

Ce type de licenciement se rencontre, selon les syndicats, dans le BTP, le gardiennage, la sécurité et le nettoyage. « Un chef de chantier dit à un ouvrier de partir car il n'a plus besoin de lui. L'intéressé s'exécute puis l'entreprise l'accuse d'abandon de poste et le licencie. Sur les dossiers que je vois passer, cela représente, en gros, un cas sur cinq, et la tendance est à la hausse », note Jacques Girod, secrétaire général adjoint de l'Union départementale FO, à Paris.

D'autres secteurs ne sont pas épargnés, à l'instar du commerce. Comme pour cette employée d'un magasin de vêtements qui s'est fait embaucher et licencier trois fois de suite par la même patronne, sans indemnité ni respect de la procédure légale. Ou encore Sophie, virée « en un quart d'heure » alors qu'elle travaillait depuis près de trois ans pour une société audiovisuelle : « Mon chef m'a annoncé qu'il voulait transformer mon plein-temps en mi-temps. Devant mon refus, il m'a dit que j'avais dix minutes pour rassembler mes affaires. J'ai dû envoyer une lettre recommandée lui demandant de me licencier en bonne et due forme. »

Des cas toutefois assez rares. « Les employeurs savent que s'ils ne respectent pas le Code du travail ils risquent gros », remarque Diven Casarini, secrétaire général à l'Union CGT du 2e arrondissement de Paris. Sofinco, filiale du Crédit agricole, a été condamné le 24 mai 2002 par le conseil de prud'hommes d'Évry pour avoir annoncé par mail le licenciement d'un comptable à l'ensemble de la direction financière… dont l'intéressé. Une décision qui a fait jurisprudence. « Nous sommes le seul pays à avoir encore un socle juridique important, mais avec le CNE il risque d'être mis à mal, remarque Rémi Picaud, de l'Union CGT commerces de Paris. Les employeurs vont en profiter pour licencier à tout-va, surtout dans le commerce où les besoins sont fluctuants. »

Le CNE compte déjà des victimes d'abus. Comme cette jeune femme, dont le contrat conclu le 14 décembre a été rompu au bout d'un mois car elle était arrivée dix minutes en retard. Ou cette autre, embauchée pour fabriquer des bijoux pour Noël et qui, le 15 décembre, s'est fait licencier. Ou cette femme qui a perdu son emploi après avoir révélé sa grossesse… « Il est difficile de convaincre les salariés en CNE d'aller aux prud'hommes. Ils ont tellement entendu dire qu'ils n'avaient aucun droit qu'ils n'osent pas », souligne Michèle Aribaud, conseiller prud'homme CFDT. Ils n'ont pas entièrement tort.

Avec le CNE, c'est désormais au salarié de démontrer que l'employeur a agi par légèreté. À partir du moment où le motif du licenciement n'est pas justifié, cela rend les choses plus difficiles. « Ça va inévitablement décourager les salariés et diminuer le contentieux, mais pas les licenciements irréguliers », estime l'avocate Nadine Poncin. Avec le CNE, la France revient à la situation d'avant la loi de juillet 1973 qui a imposé que tout licenciement respecte une procédure et ait un motif réel et sérieux.

Caroline Montaigne

Auteur

  • Stéphane Béchaux