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Éditorial

La révolte des baby-losers

Éditorial | publié le : 01.05.2006 | Denis Boissard Directeur de la rédaction

En moins de six mois, la France vient d'affronter deux crises majeures : une révolte des banlieues et une fronde étudiante. Deux événements qui n'ont a priori pas grand-chose en commun mais qui traduisent tous deux, par leur ampleur, la profonde angoisse d'une grande partie de notre jeunesse devant l'avenir qui l'attend. Au no future des exclus du système éducatif répond la crainte du déclassement des enfants des classes moyennes. Deux catégories de jeunes qui ont le sentiment diffus d'appartenir à une génération sacrifiée.

Comment leur donner tort ?

Pour la première fois peut-être en temps de paix, les jeunes se voient proposer des perspectives de carrière, de rémunération, de logement, voire de couverture sociale et de pression fiscale moins favorables que celles de leurs aînés. Leurs parents, les baby-boomers, n'ont eu en général aucun mal à décrocher un emploi stable, correspondant au niveau de diplôme qu'ils avaient obtenu. La plupart ont vu leur carrière suivre une courbe ascendante et leur salaire augmenter régulièrement. Ils n'ont pas connu de difficulté de logement et une grosse majorité d'entre eux a pu sans problème accéder à la propriété. Leur retraite – qui restera confortable – est assurée et beaucoup d'entre eux ont pu amasser un patrimoine honorable.

La situation actuelle et à venir de la génération suivante – les baby-losers ? – n'a en revanche plus rien d'un long fleuve tranquille. Hormis pour les bons élèves des grandes écoles, leur insertion dans l'entreprise est devenue chaotique : l'alternance de stages, contrats aidés, CDD et… de chômage est désormais un passage obligé pour démarrer dans la vie active. Il faut attendre trois ans pour que 70 % d'une génération décroche un CDI. Et le nombre d'emplois qualifiés ayant crû beaucoup moins vite que le nombre de diplômés, une part importante des jeunes n'accèdent plus aux emplois auxquels ils pouvaient prétendre : un gros tiers de la génération ayant quitté l'école en 1998 pâtit ainsi trois ans plus tard d'un déclassement professionnel.

Déclassement social et démarrage plus tardif de la carrière se traduisent aussi par des niveaux relatifs de salaire moindres que ceux de leurs aînés au même âge : en 2000, les quinquas gagnaient 40 % de plus que les trentenaires, contre 15 % seulement en 1977. Et le taux d'épargne des moins de 30 ans a fléchi de moitié entre 1995 et 2001. Conséquence inévitable, l'accès des jeunes au crédit, au logement et donc à l'indépendance à l'égard des parents devient de plus en plus tardif. Enfin, les enfants des baby-boomers vont hériter des conséquences du laxisme de leurs aînés : une dette publique qui s'est envolée à pratiquement 67 % du PIB ; une dette sociale que l'on planque sous le tapis de la Cades ; une réforme, partielle, des retraites qui a choisi de préserver les avantages des retraités en faisant peser l'essentiel des ajustements sur les actifs.

Faute de vraies réformes (du marché du travail, de l'État, de la protection sociale…), et de réformes plus équitables que celles auxquelles on a procédé jusqu'ici, il faut craindre que les poussées de fièvre ne se multiplient.

Auteur

  • Denis Boissard Directeur de la rédaction