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“L'exposition au chômage des jeunes a plutôt décru au fil des générations”

Actu | Entretien | publié le : 01.05.2006 | Sandrine Foulon

Comparer hâtivement les jeunes d'aujourd'hui à ceux d'hier alimente les discours défaitistes sur l'emploi et l'école, explique l'auteur du Ghetto français.

Du référendum au CPE, les Français rejettent les réformes. Comment expliquer ce malaise ?

Sur le plan politique, la crise provoquée par le CPE comme par le référendum illustre un divorce croissant entre les élites et les classes moyennes. Ces dernières ont porté le non à la Constitution et leurs enfants le non au CPE. Les franges supérieures de l'administration continuent bien souvent de penser qu'un petit corps d'élus peut diriger le pays à coups de réformes tombées du ciel. Il se heurte à une société où le sentiment antilibéral est d'autant plus virulent que les réformes sont imposées sans concertation ni diagnostic partagés. Le contrat unique avec période d'essai d'un an est-il préférable au dispositif actuel, où le CDD joue le rôle d'une période d'essai relativement sanctuarisée ? C'est loin d'être évident. Plus fondamentalement, le problème du chômage en France relève-t-il d'un déficit de flexibilité ? Pas évident, là non plus. Notre marché du travail est loin d'être sclérosé. Que l'on considère les flux de création/destruction d'emplois ou les mouvements de main-d'œuvre, ils sont ici tout aussi intenses que dans des pays comme les États-Unis, pourtant réputés autrement flexibles.

D'où vient alors ce pessimisme ?

En France, nous nous organisons davantage autour d'inégalités de statuts dans l'emploi qu'autour d'inégalités de salaires. Les salariés les moins formés et les moins expérimentés sont prisonniers des statuts les moins protégés. Notre économie s'est adaptée aux chocs macroéconomiques et technologiques non pas en accroissant la disparité des salaires, comme beaucoup de nos voisins, mais en augmentant la disparité des statuts dans l'emploi. Un tel partage des risques entre générations pose des problèmes, notamment en termes de réforme. On ne peut jamais faire du donnant-donnant, ceux à qui l'on prend n'étant pas les mêmes que ceux à qui l'on donne. À chaque période, la génération insérée a déjà payé son coût de la précarité et renâcle légitimement à régler deux fois l'addition.

Les jeunes ont le sentiment que leur situation s'est dégradée par rapport à leurs aînés.

Pour chaque génération, il faut bien distinguer la phase de départ de l'école entre 16 et 27 ans, puis celle de stabilisation de la relation d'emploi, entre 28 et 32 ans. Contrairement à une idée reçue, l'exposition au chômage a plutôt décru au fil des générations au sein de chacune de ces deux grandes phases de l'insertion professionnelle. C'est surtout très net pour les jeunes femmes et pour les générations ayant le plus bénéficié de l'expansion du système éducatif. Il faut éviter de raisonner sur des classes d'âge trop étroites (les 20-25 ans, par exemple), dont la composition a changé très vite au fil du temps. Les diagnostics les plus noirs sur la jeunesse relèvent souvent d'une illusion d'optique, où l'on compare des populations d'âge similaire, mais très différentes par ailleurs.

Faut-il remettre en cause l'allongement des études et l'inflation des diplômes ?

Une partie du discours défaitiste sur la démocratisation de l'école est inexacte. Affirmer que le niveau a baissé et que les politiques d'expansion du système scolaire sont un échec est erroné. Les collèges et les lycées accueillent une population plus hétérogène que naguère. Les enfants d'ouvriers et de paysans sont venus se mêler à ceux des classes privilégiées. La vraie question n'est pas de savoir si ces enfants d'origine modeste réussissent mieux ou moins bien que les quelques privilégiés d'autrefois, mais s'ils réussissent mieux ou moins bien que si on leur avait gardé fermées les portes de l'enseignement secondaire. Or, du point de vue des carrières salariales au moins, la réponse est oui. Les écarts de salaires entre enfants d'origine modeste et enfants d'origine privilégiée sont clairement plus faibles pour les générations d'enfants modestes ayant bénéficié de la démocratisation de l'école.

Dans le Ghetto français, vous avez pourtant dépeint un ascenseur social en panne.

D'une part, rattrapage des salaires ne signifie pas redistribution des statuts sociaux, lesquels sont sans doute un enjeu plus sensible encore que les salaires dans le contexte français. D'autre part, la démocratisation de l'école elle-même est en panne. Depuis dix ans, le niveau de formation ne progresse plus dans le pays, ce qui fait de la France une exception. En Grande-Bretagne, c'est tout l'inverse. Les Britanniques ont une politique volontariste, subventionnent les familles modestes pour pousser leurs enfants à poursuivre leurs études. Ils ont compris que les problèmes de chômage étaient liés au manque de qualification de la population.

ÉRIC MAURIN

Directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (Ehess).

NAISSANCE

Le 4 décembre 1962.

PARCOURS

Polytechnicien, diplômé de l'École nationale de la statistique, cet économiste, ancien administrateur de l'Insee, est spécialiste de l'emploi et des politiques sociales. Il a notamment publié l'Égalité des possibles (2002) et le Ghetto français (2004), tous deux parus au Seuil, dans la collection « La République des idées ».

Auteur

  • Sandrine Foulon