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Idées

L'actionnariat salarié peut-il être une arme anti-OPA ?

Idées | Débat | publié le : 01.04.2006 |

Consolider le capital des entreprises françaises, tel est l'un des objectifs du projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié présenté par le gouvernement à la mi-mars. Les salariés actionnaires peuvent-ils faire barrage aux OPA hostiles ? Les réponses d'un parlementaire, d'un économiste et du porte-parole des associations d'actionnaires salariés.

Hervé Novelli Député UMP d'Indre-et-Loire

“Attention à ne pas dévoyer la participation en la transformant en arme anti-OPA”

Le débat sur les OPA est propice aux amalgames. Il est de bon ton de les diaboliser, surtout si elles sont conduites par des sociétés étrangères sur des entreprises françaises. Or les OPA ne sont pas toutes négatives. Aujourd'hui, tout le monde se réjouit des bons résultats de BNP Paribas, fruit de l'OPA de la BNP sur Paribas. Nul ne s'oppose à ce que Orange, Saint-Gobain, Pernod Ricard réussissent des OPA au-delà de nos frontières. Les OPA constituent un des moyens de restructuration des entreprises, de respiration du capital. Certains veulent les interdire ou les soumettre à une autorisation préalable de l'État. De telles mesures condamneraient de nombreuses entreprises au déclin et à la faillite. Bloquer les OPA, de manière artificielle ou par des mécanismes de protection, pourrait se retourner contre l'emploi en ralentissant la modernisation des entreprises et en les plaçant hors marché.

Ce qui peut être jugé préjudiciable au développement des entreprises, ce sont les OPA hostiles. À ce sujet, le Parlement vient d'adopter le projet de loi sur les OPA transposant une directive européenne. Ce texte accroît les obligations d'information des salariés et des actionnaires. En matière d'OPA, la France souffre de l'absence de fonds de pension, liée à l'abrogation de la loi Thomas par le gouvernement Jospin. À défaut, le développement de la participation permet aux salariés de profiter des résultats de leur travail et d'être associés aux bénéfices de leur entreprise. La consolidation d'un actionnariat stable et la confiance qu'il porte à l'entreprise sont la meilleure protection contre les OPA hostiles. C'est dans ce cadre que les salariés actionnaires doivent jouer un rôle dans les OPA car ils sont les premiers concernés, au nom de leur emploi et de leurs intérêts d'actionnaires. Mais attention à ne pas les transformer en otages d'une cause qui n'est pas nécessairement bonne et qui n'est pas obligatoirement la leur. Le chantage à l'emploi est trop facile pour ne l'utiliser qu'avec parcimonie. Attention à ne pas dévoyer la participation en la transformant en outil anti-OPA ; attention au mélange des genres qui ne rendrait service ni aux salariés, ni aux actionnaires, ni à l'entreprise. À chaque outil son objectif : la participation, l'intéressement visent à offrir des compléments de rémunération sous la forme d'une épargne investie en titres de l'entreprise. Si l'actionnariat salarié ne devenait qu'un outil anti-OPA, je crains que l'on ne connaisse des désillusions.

Jean-Claude Mothié Président de la Fédération des associations d'actionnaires salariés (FAS)

“Les salariés actionnaires peuvent agir par le jeu actionnarial, médiatique, et par des alliances”

L'actionnaire salarié est bien placé pour se prononcer en cas d'OPA, car il est concerné en tant qu'actionnaire recherchant la meilleure stratégie et en tant que salarié pensant à son avenir professionnel. Fort de cette double légitimité pour l'intérêt de l'entreprise, face à l'OPA, son choix peut différer de celui du conseil d'administration. Il peut agir de plusieurs façons.

En premier lieu, par le jeu actionnarial. Les actionnaires salariés possédant souvent une part importante du capital, parfois plus de 10 % et jusqu'à 30 % pour certaines sociétés de services, ils peuvent tenir un rôle d'actionnaires minoritaires. Dépasser 5 %, par exemple, empêche l'expropriation. Par le jeu des alliances, ensuite, surtout si la nouvelle loi permet aux fonds communs de placement d'entreprise (FCPE) de contracter des pactes d'actionnaires avec d'autres actionnaires minoritaires. Et, au-delà des rapports de force issus de la démocratie actionnariale, par l'influence médiatique ou politique exercée par des actionnaires salariés nombreux et s'inscrivant dans une forte démarche actionnariale. Un initiateur d'OPA se montrera certainement attentif aux réactions de ceux qui ont investi dans leur entreprise et produisent sa valeur, surtout s'il connaît la surperformance de l'indice de l'actionnariat salarié (IAS).

Que faire en cas d'OPA ? D'abord regrouper tous les actionnaires salariés dans une association et leurs actions dans des structures : FCPE ou conseils d'actionnaires salariés directs que notre association propose et qui doivent être indépendants. Puis, avant toute décision, examiner le projet industriel présenté par l'initiateur de l'OPA, celle-ci ayant pu être déclarée hostile pour des raisons non liées à ce projet. Ainsi, un entretien de l'association avec l'initiateur s'impose, et son refus peut être interprété comme un manque d'assurance et de consistance de son projet économique.

Bien entendu, même si la majorité de nos entreprises ne sont pas franco-françaises mais possèdent de nombreuses filiales à l'étranger, la notion de patriotisme économique, définie suivant plusieurs critères par Patrick Ollier, député UMP des Hauts-de-Seine et président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, ne sera pas étrangère au choix. Enfin, il faut communiquer largement la position des actionnaires salariés. Le renforcement de l'actionnariat salarié peut, ainsi, aider nos entreprises dans un choix pertinent.

Élie Cohen Économiste

“Oui, il permet d'introduire des grains de sable dans la mécanique des OPA hostiles”

L'actionnariat salarié remplit trois fonctions contradictoires. Instrument d'un alignement des intérêts des salariés sur celui des actionnaires, il est vécu comme une arme antisyndicale. Outil complémentaire de rémunération et de différenciation salariale, il est perçu comme un revenu différé, non chargé. Enfin, comme titre de propriété de l'entreprise détenu par les salariés, il est vécu comme arme ultime de défense de l'identité de l'entreprise en cas d'OPA hostile. Tenons-nous-en pourtant à la question posée : l'actionnariat salarié peut-il constituer une arme anti-OPA, un vecteur du patriotisme économique, un facteur de viscosité dans la détention du capital propre à favoriser les stratégies de long terme ?

Le constat sur l'état du capitalisme autochtone est bien connu : faible détention individuelle d'actions par les Français, absence de fonds de pension, orientation de l'assurance vie vers les produits obligataires et, au total, forte détention d'actions françaises par les fonds de pension ou les fonds mutuels étrangers. Plus de 40 % de la capitalisation boursière du CAC 40 est détenue par des investisseurs étrangers. En même temps, l'action s'est muée en un vecteur de placement comme un autre ; elle est souvent le collatéral d'un produit dérivé ; les fonds d'arbitrage sont devenus de gros opérateurs : le marché du contrôle des entreprises est de moins en moins gouverné par les fondamentaux économiques et de plus en plus par des paramètres strictement financiers.

Les évolutions tant du capitalisme global que de sa variété nationale conduisent donc à souhaiter à la fois que des grains de sable soient introduits dans la mécanique des OPA hostiles, ne serait-ce que pour favoriser l'explicitation des enjeux industriels des regroupements, et que des logiques autres que la création de valeur pour l'actionnaire puissent s'exprimer au sein des conseils d'administration.

L'actionnariat salarié permet de satisfaire cette double exigence. Encore faut-il que le taux de détention par les salariés soit au moins supérieur à 5 %, qu'un fonds recueille leurs titres et qu'il soit représenté en tant que tel au conseil d'administration. De nombreux exemples illustrent la vertu de ce modèle, notamment dans des entreprises où le capital humain est décisif. Il ne faut toutefois pas en ignorer le coût : une certaine décote financière car le titre est moins liquide, un arbitrage difficile au moment des départs à la retraite des actionnaires salariés et une pression continue des marchés.