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Enquête

Le duel Thibault/Chérèque

Enquête | publié le : 01.04.2006 | Valérie Devillechabrolle, Stéphane Béchaux

Entre les deux leaders syndicaux qui, il y a quatre ans, incarnaient la relève, le divorce est total. À la veille de leurs congrès respectifs, aucun des deux n'est en position de force.

Entre François l'éducateur et Bernard le cheminot, l'histoire promettait d'être belle. Originaires de la France d'en bas, proches en âge, anciens dirigeants de grosses fédérations syndicales du public, les deux secrétaires généraux avaient suivi des parcours parallèles et parlaient donc le même langage. Leurs personnalités, aussi, se ressemblaient : contact facile, simplicité, volonté commune de ne pas sacrifier leur vie de famille sur l'autel du syndicalisme. Autant d'arguments qui laissaient présager, en 2002, une certaine complicité.

Grossière erreur ! Quatre ans plus tard, alors que CGT et CFDT s'apprêtent à réunir leurs congrès – à la fin du mois pour la première, en juin pour la seconde –, le fossé qui sépare les deux poids lourds du syndicalisme reste profond, malgré leur unité de façade sur le CPE. Étroitement contrôlée par ses militants du secteur public, la centrale de Montreuil fait du surplace, quand elle ne donne pas des coups de volant à gauche, sur l'Europe par exemple. Lancée à toute vitesse sur la voie du réformisme, la centrale de Belleville tire, elle, à droite, dans une valse à trois avec le gouvernement et le Medef, qui lui en font parfois voir de toutes les couleurs. Intermittents, SNCF, RTM, SNCM, recalculés, retraites… Au cours des dernières années, CGT et CFDT ont plus souvent eu l'occasion de s'écharper que de travailler de concert.

Même constat de rupture entre les deux leaders, dont la lune de miel n'a pas franchi le cap de la première année. L'objet du divorce ? Ce fameux 15 mai 2003 où, à l'issue d'un ultime round de négociation sans la CGT, François Chérèque décide d'entériner la réforme Fillon des retraites. Une trahison, aux yeux de Bernard Thibault, qui n'a toujours pas avalé la pilule. « Si je m'étais comporté de cette manière, la durée de mon mandat se serait limitée à vingt-quatre heures, le temps de faire mes cartons ! » explique-t-il dans Ma voix ouvrière, un livre-entretien sorti en 2005 chez Stock. À la CFDT, c'est l'immobilisme du leader cégétiste qui lasse. « Thibault, c'est Monsieur J'voudrais bien mais J'peux pas. Même avec Didier Le Reste, son successeur à la CGT Cheminots, il a des problèmes ! Comment voulez-vous, dans ces conditions, qu'on mène des actions avec lui ? » s'interroge-t-on à la commission exécutive cédétiste.

Campées sur leurs positions inconciliables, les deux confédérations font donc cavalier seul. Et jouent perdant-perdant. Car c'est peu dire que François Chérèque et Bernard Thibault abordent leurs congrès respectifs en position de faiblesse, même si le CPE leur a permis de resserrer opportunément les rangs. Le premier, sans projet identifiable, n'arrive pas à convaincre l'opinion du bien-fondé de son réformisme et perd des adhérents. Le second, certes plus habile dans les médias, reste l'otage des durs de sa centrale, condamné à dénoncer précarité et libéralisme sans esquisser la moindre alternative crédible. Bref, pour sortir leur organisation, et eux-mêmes, de l'ornière, les deux leaders ont plus que jamais besoin l'un de l'autre. Au risque, sinon, de faire perdre le syndicalisme tout entier.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle, Stéphane Béchaux