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Éditorial

Un formidable gâchis

Éditorial | publié le : 01.04.2006 | Denis Boissard Directeur de la rédaction

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Un formidable gâchis

Crédit photo Denis Boissard Directeur de la rédaction

L'histoire bégaie. À peine plus de dix ans après les trois semaines d'insurrection sociale déclenchées par le plan Juppé sur l'assurance maladie et les retraites du secteur public, voilà Villepin qui nous rejoue la même tragicomédie avec son projet de contrat première embauche. L'analogie est confondante.

Premier acte : une réforme préparée par une poignée de technocrates dans le plus grand secret de Matignon ; des partenaires sociaux – patronat et syndicats – délibérément placés devant le fait accompli ; un Premier ministre sûr de son fait qui monte en première ligne pour défendre « sa » réforme, en laissant dans l'ombre les ministres concernés. Deuxième acte, devant l'ampleur de la mobilisation dans la rue : de vaines tentatives pour raccommoder les morceaux par des appels tardifs à la concertation ; un chef de gouvernement qui s'entête, « droit dans ses bottes », parce qu'il s'est trop engagé pour pouvoir reculer. Le dénouement est connu, quasi inéluctable : comme Alain Juppé avait dû retirer le volet retraite de son plan, Dominique de Villepin sera sans doute contraint de vider le CPE de l'essentiel de sa substance, à défaut de l'enterrer. Et, comme son aîné, il sortira politiquement affaibli du conflit.

Nos responsables politiques de premier plan sont d'indécrottables jacobins et de piètres démocrates. Beaucoup sont issus d'une école qui les a biberonnés au culte de l'État omnipotent. Tout en affichant – figure obligée – leur plus vif attachement au dialogue social, avec généralement beaucoup plus d'ardeur dans l'opposition qu'au pouvoir, la plupart pensent dans leur for intérieur que la concertation en matière sociale est un rituel « chronophage », fastidieux, inutile. D'où leur tentation récurrente de tenir ces acteurs à distance de prises de décisions qui les concernent pourtant au premier chef.

Grave erreur ! Dans un pays réticent au changement, la méthode utilisée est essentielle. En passant outre l'avis des partenaires sociaux, le Premier ministre s'est privé de leur expertise, de leur connaissance des réalités du terrain. S'il les avait consultés, peut-être aurait-il compris que si le CNE peut conduire les petites entreprises à être moins frileuses dans leurs recrutements, en leur permettant de rompre facilement le contrat en cas de retournement conjoncturel ou de difficultés imprévues, sa généralisation à tous les jeunes, avec ou sans diplôme, n'était pas forcément une bonne idée. En traitant les corps intermédiaires avec désinvolture, à l'inverse de Jean-Pierre Raffarin sur les retraites ou de Nicolas Sarkozy sur l'ouverture du capital d'EDF, il s'est en outre privé de relais au sein de la société civile, du soutien a minima nécessaire pour faire passer la réforme.

Le gâchis est patent. Notre pays vient de perdre une bonne occasion de débattre du fond, des fluidités souhaitables du marché du travail pour booster l'emploi, des avantages et inconvénients du contrat unique, des leçons à tirer de la « flexisécurité » à la danoise… Et toute velléité de réforme dans ce domaine risque d'être refroidie pour un bon moment.

Auteur

  • Denis Boissard Directeur de la rédaction