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Un casse-tête pour nos voisins aussi

Dossier | publié le : 01.04.2006 | Olivier Truc

Tandis que le fameux modèle allemand s'essouffle, les Britanniques comptent sur l'apprentissage pour améliorer les compétences et les Suédois cherchent à freiner la désaffection pour les filières professionnelles.

ALLEMAGNE : LE SYSTEME DUAL EST TOUJOURS GRIPPÉ

Cette année encore, Daniel n'a pas eu de chance. À 18 ans, il aimerait devenir cuisinier. Mais, depuis sa sortie d'une Hauptschule de Berlin-Ouest (niveau troisième), il y a deux ans, il cherche en vain un contrat d'apprentissage : « Je n'avais pas un bon diplôme. J'ai d'abord fait un stage de formation de six mois payé par l'Agence pour l'emploi dans une cantine. Mais ils ne pouvaient pas me prendre en apprentissage. J'ai alors trouvé un autre stage qui aurait pu déboucher sur un contrat d'apprentissage. Mais là, le restaurant a fait faillite. Je continue donc à chercher. »

Le cas de Daniel n'est pas une exception. Selon les chiffres de l'Institut fédéral pour la formation professionnelle (Bibb), plus de 100 000 jeunes sortis du secondaire ne trouvent pas de place d'apprentissage, bénéficiant, au mieux, de stages en entreprises financés par l'État, dits « stages de qualification à la vie professionnelle ». Pendant ce temps, le nombre de contrats d'apprentissage continue à diminuer. En 2005, 550 200 nouveaux contrats ont été signés contre 573 000 en 2004. À la fin du mois de janvier 2006, 11 500 jeunes cherchaient toujours une place, contre 9 500 en 2004.

Lors du bilan 2005 sur le système d'apprentissage, fin janvier dernier, Michael Glos, ministre de l'Économie, considérait pourtant que « le pacte national pour l'apprentissage est un succès ». Signé en 2003 et pour trois ans par le patronat, les syndicats et le ministre de l'Économie, le pacte a en effet largement dépassé ses objectifs en 2005. Les entreprises s'étaient engagées à offrir 30 000 places d'apprentissage supplémentaires et 25 000 stages de qualification. Elles en ont offert respectivement 63 400 et 42 000.

Si les syndicats ont accepté que le pacte soit reconduit jusqu'en 2010, ils estiment néanmoins qu'il n'apporte pas de réponses suffisantes à la crise du système dual. En effet, le nombre des suppressions de places d'apprentissage reste largement supérieur à celui des créations. Pour Ingrid Sehrbrock, membre de la direction de la Confédération des syndicats allemands (DGB), « le pacte pour l'emploi est un échec. De plus en plus de jeunes sont placés en attente ou sur des voies de garage pour qu'ils n'apparaissent pas dans les statistiques. De plus, le développement des stages équivaut à faire supporter les coûts de la formation aux contribuables. On ne peut pas continuer avec 77 % des entreprises qui ne forment pas et s'en tirent à bon compte. Nous avons besoin d'une taxe d'apprentissage ».

Thomas Schnee, à Berlin

GRANDE-BRETAGNE : CHERCHE APPRENTIS D'URGENCE

Un quart des patrons britanniques se plaignent du bas niveau de compétences de leurs employés, qui leur ferait perdre des commandes et des clients. Ernst & Young estime que l'insuffisance de productivité représente une perte annuelle de 10 milliards de livres (14,5 milliards d'euros). Le rendement horaire est jusqu'à 30 % moins élevé qu'en France et en Allemagne. Pour remédier à cette faiblesse endémique de l'économie britannique, le gouvernement Blair s'en remet à l'apprentissage. En 2001, il a créé le Learning and Skills Council, qui finance ce mode de formation par alternance. En 2003, il a instauré une task force, avec pour mission d'enrôler de nouveaux employeurs (130 000 actuellement). Et il a presque doublé son budget entre 2002 et 2005, passé de 467 à 748 millions de livres (1 milliard d'euros). Plus de 1 million de jeunes de 16 à 25 ans ont entrepris un apprentissage depuis 1994. Ils étaient 75 000 en 1997, 255 000 en 2005. Mais seulement 39 % des candidats achèvent leur formation. C'est mieux qu'en 2001 (24 %), mais encore loin du taux allemand (75 %).

Contrairement à la France, « le but n'est pas de réduire le chômage chez les jeunes mais d'assurer la formation de la main-d'œuvre », explique Anne Nichols, de l'Agence gouvernementale pour l'amélioration des compétences. Pourtant, le chômage des jeunes est aussi bien supérieur à la moyenne nationale : 25 % chez les 16-17 ans et 11,8 % chez les 18-25 ans, contre 5,1 % globalement. Motif ? Un quart des élèves quittent le système scolaire à 16 ans. Beaucoup d'entre eux, les « NEET » (not in education, employment, nor training), se retrouvent rapidement à la dérive. L'objectif du ministère de l'Éducation est de garder ces jeunes dans le système scolaire, en développant et revalorisant la filière professionnelle.

Une des principales mesures consiste à rémunérer les élèves (295 000 actuellement) en fonction de leur assiduité et de leurs progrès (de 15 à 45 euros par semaine). En 2004, l'apprentissage à 14 ans a également été autorisé, avec la promesse d'un apprentissage plus poussé au-delà de 16 ans. Aux deux dernières rentrées scolaires, 3 000 adolescents ont choisi cette voie. Le gouvernement s'est engagé à trouver une place en apprentissage à tout jeune de 16 et 17 ans qui possède un GCSE (diplôme de fin d'études du collège). Et il teste la suppression de la limite d'âge fixée à 25 ans. Car, au ministère de l'Éducation, on estime que l'apprentissage est « la meilleure façon de mettre à un jeune le pied à l'étrier ».

Léa Delpont, à Londres

SUÈDE : RÉFORME AU PROGRAMME

Branle-bas de combat en Suède. Début mars, Skolverket, l'agence nationale de l'éducation, a remis au gouvernement social-démocrate un projet de réforme de l'apprentissage destiné à stopper les départs de nombreux élèves qui abandonnent les filières professionnelles avant la fin de leurs études. La Suède est l'un des rares pays d'Europe où l'apprentissage se fait dans le cadre scolaire. Près de 99 % des jeunes Suédois qui terminent le cursus scolaire obligatoire jusqu'à 15 ans fréquentent ensuite le lycée. Sur les 17 programmes de trois ans proposés au niveau du lycée, la plupart sont spécialisés, qu'il s'agisse de la filière bâtiment et travaux publics ou commerce et tourisme. Certains sont même axés sur les secteurs d'activité les plus représentés au niveau local.

Actuellement, 13 de ces 17 programmes doivent obligatoirement contenir au moins quinze semaines de stages en milieu professionnel, soit environ 15 % du temps d'étude. Les esprits critiques estiment que la partie théorique est trop importante pour les élèves qui n'ont pas un profil académique. Mais l'objectif du gouvernement suédois est que la plus grande partie d'une classe d'âge – y compris pour les filières professionnelles – puissent suivre ensuite des études supérieures. Reste qu'environ la moitié des élèves décrochent avant la fin de leur cursus.

C'est contre ce taux d'échec que la réforme, qui devrait entrer en vigueur à partir de l'été 2007, entend lutter en doublant le temps passé en entreprise. L'auteur du projet de réforme, Björn Schéele, note également que le fossé est trop important entre les entreprises et le système scolaire. Afin d'y remédier, les entreprises seront désormais associées à l'élaboration des programmes afin que ceux-ci répondent mieux à leurs besoins. Syndicats et patronat ont bien accueilli cette proposition en émettant toutefois des réserves. Le patronat souhaite que les entreprises soient indemnisées pour la formation qu'elles dispensent dans leurs murs, ce qui pourrait éventuellement être mis en place, selon Björn Schéele, pour les entreprises de moins de cinq employés. Quant à LO, la Confédération des syndicats d'ouvriers, elle préconise que les apprentis soient confiés à des salariés ayant reçu une formation spécifique. Et que seules les entreprises signataires des accords collectifs puissent recevoir des apprentis.

Auteur

  • Olivier Truc