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Vie des entreprises

Denis Gruet rajeunit le management de Tupperware

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.03.2006 | Sylvia Di Pasquale

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Explosion des effectifs Pour accroître la diffusion de la marque, Tupperware veut disposer de 20 000 conseillères d'ici à 2010 contre 12 000 actuellement

Crédit photo Sylvia Di Pasquale

Produits tendance, encadrement renouvelé, force de vente remobilisée… Denis Gruet orchestre le renouveau de Tupperware tout en préservant le modèle qui a fait le succès de l'entreprise : réunions à domicile et vendeuses indépendantes.

La boîte en plastique n'a pas dit son dernier mot. Reine du frigodurantles Trente Glorieuses, « la » Tupperware fait un retour en force. Elle se transforme en cocotte passant au four, se pare de couleurs vives et succombe aux diktats du design. Et ça marche. La France est le deuxième marché européen de l'entreprise américaine, en progression chaque année. Mais Denis Gruet, P-DG de la division hexagonale depuis 2004, a poussé la réflexion plus loin. Si les produits prennent un coup de jeune, les ambassadrices de la marque doivent suivre. Alors Tupperware a bougé, sans changer fondamentalement son mode de distribution.

La bonne vieille « réunion Tupperware » est toujours d'actualité, sauf qu'elle ne se déroule plus au salon, mais dans la cuisine, et qu'elle est orchestrée par des démonstratrices plus jeunes. Un lifting qui touche l'ensemble de la force commerciale, mais aussi l'encadrement de l'usine française de Joué-lès-Tours qui abandonne petit à petit la promotion maison, en vigueur durant des décennies. La moitié des cadres embauchés depuis trois ans proviennent d'autres horizons. Le P-DG français reste néanmoins prudent et ne confond pas dépoussiérage et grand ménage. Il est décidé à faire entrer Tupperware dans les grandes villes, un terrain que la marque n'a jamais su conquérir, au moyen de petits points de vente. Mais toujours par l'intermédiaire de démonstrations sur place. Pas question d'exposer les boîtes en plastique en libre-service. Pas question non plus de les vendre sur Internet. La maison mère a bien fait une tentative, mais le réseau de conseillères américaines s'est désintégré, entraînant dans sa chute le chiffre d'affaires. À charge pour Denis Gruet de doper son organisation sans tuer le fameux modèle Tupperware.

1-Rajeunir la force de vente.

Tupperware n'a pas le choix : pour élargir sa clientèle vieillissante, il lui faut séduire les jeunes. Et, pour y parvenir, il faut donner un bon coup de pinceau sur les méthodes commerciales et les forces de vente. Ainsi, la légendaire réunion à domicile s'est muée en « atelier cuisine ». Tupperware surfe sur la vogue actuelle du loisir culinaire. « Les clientes préparent une recette sous l'œil de la conseillère. Ce n'est plus une simple démonstration statique des produits », s'enthousiasme Gisèle Rousset, directrice des ventes à l'échelle nationale. Exit les anciennes démonstratrices ! Place aux conseillères culinaires.

Selon la direction, 70 % des réunions se seraient déjà transformées en ateliers. Non sans résistances : « On propose des formules mixtes, sourit une vendeuse. Après la cuisine, on repasse au salon. C'est plus sympa. » Mais les as du marketing tiennent à leur révolution : « À chiffre d'affaires équivalent, l'atelier leur permet de décrocher plus facilement un nouveau rendez-vous. Promettre de monter la mayonnaise sans œuf ou de préparer un goûter d'anniversaire la fois d'après, ça accroche », note Laurent Lecœuvre, le directeur du marketing.

Avec une durée moyenne d'une heure et demie, le cheval de Troie de la réunion Tupperware est conçu pour pénétrer dans les appartements des jeunes urbains pressés. Pour les séduire, le roi du plastique a dérogé à une sacro-sainte règle en prenant pied dans certaines grandes surfaces. À l'intérieur de chaque « kiosque » Tupperware mis en place à Auchan ou au Drugstore Publicis, une vendeuse veille. « Des produits comme la cocotte Ultra Plus coûtent cher. Si je ne vous explique pas comment vous en servir, vous allez me dire que nous sommes fous de vendre un morceau de plastique 115 euros », justifie Denis Gruet. Pour le moment, ces kiosques contribuent au chiffre d'affaires à hauteur de 1,5 à 2 %. Mais la direction mise sur eux. « Elle touche la génération du plat industriel décongelé au micro-ondes, observe Laurent Lecœuvre. Aujourd'hui, la jeune femme moderne veut réapprendre à faire le bœuf bourguignon que même sa mère ne sait pas faire ! » Tupperware va lui donner des cours, tout en lui vendant des produits parfaitement adaptés au micro-ondes. Encore faut-il que les démonstratrices soient de la même génération que ces nouvelles clientes. Difficile, si la force de vente n'est pas renouvelée dans son entier, des vendeuses, au bas de la pyramide, jusqu'aux « concessionnaires », qui sont de véritables chefs d'entreprise. Place aux jeunes, donc, mais sans heurt, grâce aux départs naturels. « On a eu notre mamy-boom, précise le P-DG. Et beaucoup de départs après quarante ans d'ancienneté. Sur les 60 concessionnaires, 40 nouvelles ont été nommées depuis trois ans. » L'âge moyen des vendeuses a baissé de 45-55 ans à 39-40 ans. « Nous avons gagné cinq ans en trois ans et ça continue de baisser », se félicite Denis Gruet.

2-Enrôler en flux tendus.

Aujourd'hui, 12 000 conseillères organisent en moyenne 400 000 réunions par an. Mais, pour augmenter la diffusion de la marque en France, l'objectif de Tupperware est de disposer de 20 000 conseillères d'ici à 2010. Sans aucune embauche, car ces vendeuses sont indépendantes et possèdent un contrat de « vendeur à domicile indépendant » – permettant d'être intégralement rémunéré par des commissions, tout en étant rattaché au régime général de la Sécurité sociale – signé avec des concessions, elles-mêmes structurées en sociétés sous contrat d'exclusivité. Chaque vendeuse est donc libre de ses faits et gestes, et le turnover annuel atteint 80 %. D'où le recours permanent à de nouvelles têtes enrôlées sans petites annonces. Car tout se passe à domicile, pendant les réunions. Les vendeuses gagnent des cadeaux lorsqu'elles parviennent à convertir une cliente.

Quand une nouvelle recrue est prête à franchir le pas, elle est invitée à une réunion de concession du lundi matin. Un rituel au cours duquel une visite guidée est proposée. « Ça m'a rassurée, confie Florence Boyer, conseillère depuis dix mois. J'ai vu une vraie entreprise, avec un service comptable, des stocks. » Et une directrice de concession qui ne rechigne pas à prodiguer des messages de bienvenue : « Nos locaux ne sont pas clinquants, fait remarquer Sylvie Vullain à de futures vendeuses en visite à la concession de Tours, car tous nos bénéfices sont réinjectés dans les cadeaux offerts aux clientes comme aux vendeuses. Tout le monde y gagne. »

Difficile de savoir exactement comment s'opère la sélection des candidates. « Il nous faut des gens qui aiment les gens et qui aiment cuisiner », lance Gisèle Rousset. Il suffit de faire ses preuves. « La sélection s'opère naturellement entre celles qui veulent un job d'appoint, un job complet ou pas de job du tout », affirme Denis Gruet. Et les erreurs de casting ne coûtent rien à Tupperware en raison du statut des vendeuses. 80 % d'entre elles auraient un autre emploi, généralement salarié. Du coup, inutile de changer de méthode de recrutement, car refuser à une consommatrice de l'accueillir comme vendeuse, c'est la perdre en tant que cliente. « Nous perdons 10 000 à 12 000 conseillères chaque année, mais c'est autant de clientes fidélisées », estime le P-DG. Pour celles qui s'accrochent, la commission équivaut à 20 % du chiffre d'affaires. Auxquels s'ajoutent nombre de cadeaux, des produits de la marque, des voyages ou des frigos. Mais aussi des formations facultatives pour celles qui souhaitent passer monitrices.

3-Peaufiner l'image de marque de l'employeur.

Tupperware employeur féministe, respectueux et reconnaissant ? Cette image, l'entreprise l'a acquise auprès de ses vendeuses pour une raison simple : la ménagère au fond de sa cuisine n'intéresse pas les recruteurs, Tupperware si. « On se forme. On a un vrai métier dans les mains et on a la chance de rencontrer plein de gens », explique-t-on aux futures recrues. La liberté du travail indépendant est, elle aussi, invoquée et vantée dans la plaquette de l'entreprise : « Les conseillères et monitrices ont choisi de gérer leur temps à leur gré, de gagner de l'argent en restant libres pour leurs enfants, leur mari, leurs hobbies… » Sauf que, pour percevoir une rémunération décente, il faut être disponible et, de préférence, en même temps que les clientes : le soir après le travail, le mercredi, le samedi, voire le dimanche et les vacances scolaires. C'est justement pendant les vacances que les plus grosses primes sont accordées.

Le temps choisi devient très vite du temps contraint. Car, vu le chiffre d'affaires moyen de 390 euros réalisé par réunion, et à raison de deux réunions par semaine, auxquelles s'ajoutent la prospection, la préparation et les livraisons, une vendeuse ne perçoit que 620 euros par mois. Du coup, les efforts déployés par le groupe pour motiver ses troupes et leur offrir de la reconnaissance sont nécessaires. C'est même l'une des bases de son succès. Cadeaux et voyages y contribuent. Le journal interne regorge de sagas de vendeuses devenues monitrices puis concessionnaires. Dans chaque numéro, des photos rendent compte des cérémonies de remise des clés de voiture de fonction aux monitrices méritantes. « Je n'ai pas réussi à me couler dans cette culture infantilisante qui nous fait toutes championnes de quelque chose. Mais je comprends que ce soit gratifiant pour certaines femmes », confie Isabelle, qui a abandonné au bout d'un an.

4-Fabriquer en Europe ou en France.

Dans l'Hexagone, on vend des boîtes, et on en fabrique aussi depuis trente ans. 440 personnes travaillent à l'usine de Joué-lès-Tours, en Indre-et-Loire. Et Tupperware n'entend pas céder aux sirènes de la délocalisation. « N'importe quel ouvrier dans n'importe quel pays peut assembler un lecteur de DVD. Nous, on a la chance d'inventer le procédé pour fabriquer le produit », explique Loïc Guitton, délégué CGT de l'usine. À la différence des trois autres usines européennes qui sont de simples unités de production. Même si la R & D est en Belgique, l'usine française a deux bottes secrètes : « Nous sommes le centre de compétences mondial de la coloration et la référence européenne de la qualité », précise Philippe Schaer, le DRH de l'usine. Deux critères stratégiques, étant donné l'importance des matières et des couleurs. « C'est de nous que viennent les progrès sur la matière », se félicite Lionel Villain, directeur qualité pour l'Europe.

Afin de conforter cet atout, la direction a fini par délaisser la promotion interne. « On est passé de 28 cadres à 40 en trois ans, mais 50 % viennent de la promotion interne et 50 % de l'extérieur », souligne Philippe Schaer. Un équilibre que veut préserver Giovanni Isingrini, à la tête de l'usine depuis trente ans : « Nous avons recruté des ingénieurs diplômés qui n'ont pas tous démontré leur valeur ajoutée. » Si la direction ne manifeste pas d'inquiétude quant à l'avenir de l'usine de Joué, Loïc Guitton n'affiche pas la même assurance. La concurrence pourrait venir en interne du Portugal ou de Grèce, où la main-d'œuvre est moins chère et où la qualité de production progresse grâce aux techniciens français. Ou de l'unité belge, où la R & D a été renforcée. « Les gens sont peu mobilisés, regrette Loïc Guitton. Comme partout, ils ont peur de perdre leur emploi qu'ils estiment bien payé pour la région » : 15 % au-dessus du smic pour les ouvriers, 10 % au-dessus de la moyenne nationale pour les cadres. Ce qui explique pourquoi l'usine de Joué reste un havre de paix sociale.

Dates et faits…

Avec un chiffre d'affaires de 95 millions d'euros (en 2005), la filiale française de Tupperware est le deuxième plus gros vendeur mondial après l'Allemagne. Les 60 concessions emploient au total 1 200 monitrices salariées qui gèrent 12 000 vendeuses indépendantes.

Parmi les 14 usines employant 7 000 personnes dans le monde, quatre sont situées en Europe dont une emploie 440 salariés en France.

1946 Création de Tupperware par un ingénieur chimiste, Earl Tupper, à Orlando, en Floride (États-Unis).

1961 Dix ans après leur lancement aux États-Unis, premières réunions de vente à domicile en France.

1973 Création de l'usine de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire).

1993 Instauration du statut de vendeuse à domicile indépendante, adopté par les vendeuses Tupperware.

Auteur

  • Sylvia Di Pasquale