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Enquête

Un système d'aiguillage en panne

Enquête | publié le : 01.03.2006 | Anne-Cécile Geoffroy

L'information sur les formations et les métiers abonde mais, d'évaluations faussées en erreurs d'orientation, le dispositif public en place peine à aider les jeunes. En attendant sa réforme, un marché privé se développe.

Sa première rencontre avec un conseiller d'orientation, Flor, 17 ans, s'en souviendra. « Je suis sortie détruite de l'entretien, raconte l'adolescente. J'étais en 1re S et je ne me sentais pas à ma place dans cette filière. J'ai pris rendez-vous avec le conseiller d'orientation du lycée pour clarifier mon projet. Je veux devenir architecte d'intérieur. Il a commencé par m'expliquer que ce métier n'existait pas. J'ai ensuite passé un test d'orientation dont les résultats révélaient que j'étais faite pour travailler dans le social. Je suis rentrée chez moi complètement désorientée avec pour seule réponse à mes questions la liste des établissements qui préparaient au bac sciences médico-sociales ! »

Perdu, Victor, 22 ans, l'a été pendant longtemps. « En troisième, mes profs et le conseiller d'orientation voulaient m'envoyer en BEP. J'ai préféré redoubler pour tenter une seconde générale et ne pas avoir à choisir un métier trop tôt. » Peine perdue. Ses résultats scolaires sont insuffisants, Victor se retrouve en seconde technologique pour préparer un bac de sciences et technologies industrielles. « J'ai perdu trois ans de ma vie, résume le jeune homme. Je ne voyais pas ce que j'allais faire au bout. J'ai abandonné sans même passer le bac. » Il se frotte alors au monde du travail, « un boulot d'ouvrier pas intéressant et mal payé », puis chôme pendant un an. « J'ai compris que, pour choisir un jour mon métier, il valait mieux continuer mes études. J'ai suivi des cours de remise à niveau et j'ai finalement décidé de préparer un bac littéraire, parce que j'aime l'histoire et la philo. »

Des refuzniks de l'orientation, le système éducatif français en fabrique par milliers. « Les ravages de l'orientation sont avant tout psychologiques, souligne Gilbert Longhi, proviseur du lycée Jean-Lurçat, qui récupère chaque année dans son établissement 250 élèves décrocheurs. On oublie trop souvent en quoi elle peut déprécier un étudiant. » Orientés uniquement sur la base de leurs résultats scolaires, les jeunes ont le sentiment de s'engager par défaut dans leurs études et se sentent seuls au moment de choisir leur voie. Résultat, beaucoup d'élèves finissent par jeter l'éponge. « Le sentiment d'échec est aux deux bouts de la chaîne. Les bons élèves n'y coupent pas, souligne Christine Guesdon, directrice de Solutions Orientation, un service du groupe l'Étudiant. On leur fait miroiter la prépa quand grosso modo il y a 35 000 places en première année pour 150 000 jeunes en terminale S, 90 000 en ES et 60 000 en L. » Mis en place il y a cinquante ans, le système d'orientation scolaire français se fissure de tous les côtés. En première ligne, les 5 000 conseillers d'orientation psychologues (copsys) chargés de l'information et de l'orientation des jeunes au collège et au lycée sont vilipendés par les élèves, les profs, les entreprises et leur propre tutelle, le ministère de l'Éducation nationale. Dans un rapport paru en octobre, les inspections générales du ministère pointaient l'« abandon progressif » et le « rejet institutionnel » des services d'orientation et prônaient une réforme en profondeur. Une crise de confiance qui avait éclaté au grand jour en 2003 lorsque le gouvernement avait souhaité transférer les services d'orientation aux régions. À l'époque, les copsys avaient violemment manifesté contre cette décision.

Depuis, la situation n'a fait qu'empirer : avec 1 conseiller pour 1 500 jeunes, les copsys disposent de moins de vingt-trois minutes par an et par élève pour les accompagner ! « Le ministère nous asphyxie, dénonce Danielle Pourtier, présidente de l'Acop France et directrice du CIO Médiacom à Paris. Cette année, 55 postes sont ouverts au concours alors que 300 copsys partent en retraite. » Au quotidien, les conseillers d'orientation travaillent tous sur trois établissements différents. Généralement un collège, un lycée et un CIO. Parfois l'université. « Je ne traite que l'urgence en me focalisant sur les collégiens de troisième et les élèves de seconde en difficulté », avoue une conseillère d'orientation en Seine-Saint-Denis. « Sans compter la multitude des missions dites prioritaires dont le ministère nous assomme pour orienter les flux d'élèves, ajoute Danielle Pourtier. Nous en avons recensé plus de 140 ! » De la promotion de l'enseignement technologique à l'égalité entre les sexes en passant par l'orientation des filles vers l'enseignement scientifique ou les formations du bâtiment, les circulaires s'empilent et ne s'annulent jamais. « Le ministère semble croire qu'il suffit d'informer pour remplir les filières désaffectées, constate une conseillère d'orientation de la Seine-Saint-Denis. Or les jeunes ne sont pas malléables à merci ! Je dois également prendre en compte la carte scolaire de l'académie et les souhaits des jeunes. »

L'université n'est pas épargnée par cette perte de confiance dans le système d'orientation. « Les étudiants se comportent de plus en plus en consommateurs d'université, note Monique Hirschhorn, vice-présidente du conseil des études et de la vie universitaire de Paris V. Pour les informer au mieux, nous avons revu l'ensemble du site Internet, créé un CD-ROM pour les nouveaux arrivants et identifié clairement pour chaque filière et formation les métiers auxquels elles préparent. » À côté des SCUIO, leurs services d'orientation, les facs ont commencé à développer des modules de formation autour du projet professionnel de l'étudiant. « Trente-cinq universités travaillent en réseau sur ce dispositif, explique Évelyne Jambart, chargée du projet à Paris V. Nous organisons des travaux dirigés qui amènent l'étudiant à réfléchir à son orientation, à son projet professionnel, au moyen des recherches documentaires autour d'un secteur d'activité puis d'un métier. »

Curieux paradoxe : alors que le système d'orientation va à vau-l'eau, les jeunes n'ont jamais disposé d'autant d'informations sur les formations et les métiers. « Avant la terminale, c'était le vide total ; cette année, les profs nous noient sous l'information, constate Élisabeth, 17 ans, en terminale littéraire. Entre les salons d'orientation et les journées portes ouvertes, difficile de faire le tri et de trouver la bonne info. »

À côté des CIDJ, CIO et autres Onisep, c'est tout un marché privé de l'information qui s'est développé. Le groupe l'Étudiant est un pionnier et propose une trentaine de salons par an, suivi par ses concurrents Studyrama ou encore Hobsons, plus spécialisé dans les 3e cycles. Outre leurs guides pratiques qui concurrencent ceux de l'Onisep ou du CIDJ, ces groupes ont affiné leur offre. Il y a deux ans, l'Étudiant a même monté son propre service d'information et d'orientation. « À l'aide de tests sur Internet et à raison de trois fois quarante-cinq minutes avec chaque élève au téléphone, on les aide à mieux se connaître. Nous sommes très proches des consultants qui pratiquent des bilans de compétences », explique Christine Guesdon, directrice de Solutions Orientation. Depuis deux ans, son service a orienté 4 000 jeunes pour une inscription qui s'élève à 179 euros. Sa clientèle ? Une majorité d'élèves de terminale S, des troisièmes, des secondes, voire des Sciences po désorientés. Après sa rencontre avec le COP de son lycée, Flor n'a pas longtemps hésité à aller voir un conseiller d'orientation privé. Coût de la séance : 200 euros. « J'ai beaucoup appris sur moi, un peu moins sur mon orientation scolaire », explique la jeune fille.

En attendant de répondre vraiment à l'attente des jeunes, le ministère cherche de nouvelles pistes pour réorganiser son système d'information et d'orientation. Les récentes expérimentations menées dans six académies (Strasbourg, Versailles, Amiens, Caen, Bordeaux et Nantes) ont pour objectif de dessiner les contours d'un schéma national organisant de façon plus cohérente les actions des différents acteurs (chambres consulaires, service public de l'emploi, Onisep en régions…). Dans le même esprit, un rapport de l'ANDCP sur l'insertion des jeunes, piloté par Henri Proglio, P-DG de Veolia Environnement, et remis au ministre délégué à l'Emploi, au Travail et à l'Insertion professionnelle des jeunes, Gérard Larcher, préconise un rapprochement avec le monde du travail, par exemple en nommant à l'université des salariés issus de l'entreprise pour piloter les SCUIO, qui auraient une obligation de résultat… Du côté de l'UIMM, Dominique de Calan va plus loin et prône des services d'orientation privatisés. « Plutôt que de ne pas savoir faire, autant faire faire le travail par des professionnels. »

Des voies de réforme qui inquiètent les copsys, soucieux de garder le contact avec les jeunes. « Je crains que toutes ces pistes de réflexion ne raient de la carte les petits CIO pour concentrer les moyens dans les grandes villes, s'inquiète Danielle Pourtier. Et ce sont encore les familles et les jeunes les plus modestes, donc les plus démunis face au système, qui en pâtiront. »

Avec chacun 1 500 jeunes à accompagner, les conseillers d'orientation disposent de moins de 23 minutes par an et par élève.

RAPPORT IGEN-IGAEN, OCTOBRE 2005.

55 000 élèves quittent le collège sans aucune qualification chaque année et 1 000 étudiants sortent de l'université après un échec en Deug.

RAPPORT THARIN SUR L'ORIENTATION.

Les cités des métiers, futures maisons de l'orientation ?

Nous nous inscrivons clairement dans un traitement de l'orientation tout au long de la vie, prévient d'emblée Olivier Las Vergnas, directeur de la cité des métiers de la Villette, à Paris, lorsqu'il accueille le visiteur.

Ici, on ne parle pas seulement d'orientation scolaire ou de formation initiale. » Pour preuve, cinq pôles de conseil proposent aux utilisateurs de changer de vie professionnelle, de trouver une formation, de choisir leur orientation, de créer une activité ou encore de trouver un emploi.

Une conception de l'orientation radicalement différente de ce qui se fait ailleurs et qui préfigure sans doute l'avenir. Depuis son ouverture en 1993, la cité des métiers a en effet réussi le tour de force de faire travailler ensemble 14 organismes qui, d'habitude, s'ignorent : ANPE, CIO, boutique de gestion, point relais conseil VAE… « Ici, les conseillers se parlent. Chacun apporte ses compétences, explique Olivier Las Vergnas. Un conseiller de l'ANPE peut très bien accompagner un demandeur d'emploi tenté par la création d'entreprise en lien avec le conseiller de la boutique de gestion. » Trente personnes travaillent à temps plein, 800 visiteurs franchissent chaque jour les portes de ce superservice d'information où les conseillers mènent chaque jour 120 entretiens.

Un concept qui a essaimé autour d'un label. À l'étranger, le Brésil, l'Italie, l'Espagne ont été séduits.

En France, les cités des métiers commencent seulement à se multiplier sous la pression d'élus locaux soucieux de répondre aux attentes de leurs concitoyens sur l'emploi. Neuf cités des métiers fonctionnent ou sont en passe d'ouvrir dans l'Hexagone.

« Cette nouvelle génération s'inscrit dans les maisons de l'emploi, constate Olivier Las Vergnas. À Nanterre, elle va intégrer la maison de l'emploi et de la formation. En Haute-Normandie, ce sont les élus chargés de l'emploi au sein du conseil régional qui s'emparent du sujet. A.-C.G.

Allemagne : le meilleur comme le pire

Connue pour son système d'apprentissage, l'Allemagne semble mieux intégrer ses jeunes. Selon le BIT, le chômage des moins de 25 ans n'y est « que » de 14,4 %. Pourtant, derrière les performances d'un système scolaire divisé par le fédéralisme et qui spécialise très tôt, on trouve le meilleur comme le pire : « Le simple fait qu'aujourd'hui 25 % des apprentis arrêtent avant d'avoir obtenu leur diplôme montre qu'il y a aussi un problème chez nous », estime Clemens Wieland, qui pilote un programme d'amélioration de la qualité de l'orientation professionnelle dans le secondaire à la fondation Bertelsmann.

À côté d'un réseau de centres d'information pour collégiens et lycéens – une structure gérée par l'Agence fédérale pour l'emploi (BA) –, le dispositif allemand d'orientation s'adapte à l'architecture de l'enseignement secondaire. « C'est un peu la logique du système. Dans les Realschule et Hauptschule, qui débouchent sur l'enseignement technique et professionnel, information et orientation professionnelles sont au programme. C'est une matière à part entière », explique Ullrich Waschki, de la BA. « Les élèves abordent les différents univers professionnels. Ils font un stage en entreprise de huit semaines. Il y a des cours sur le droit du travail, ils apprennent à faire un CV, à se présenter », souligne Hans-Jürgen Lindemann, de l'Institut régional des médias et des programmes scolaires de Berlin : « Tout l'enseignement est fondé sur le savoir agir et sur la participation. On emmène les élèves dans un supermarché et l'on y analyse le travail d'une caissière. À partir de là, on aborde la dimension comptable ou la gestion de données. En classe, les élèves vont reconstruire le fonctionnement d'une base de données. »

De leur côté, les lycéens allemands du Gymnasium (25 % des élèves du secondaire) dépendent de l'engagement du corps enseignant et ne disposent pas toujours de conseillers d'orientation. Seule obligation : faire un stage en entreprise de trois semaines en seconde : « Cela peut déclencher une vocation. Mais je doute de l'efficacité de ces stages », estime Andrea, prof à Berlin. « Deux jours d'information en dix ans de lycée, c'est le désert, juge Lutz, qui a passé son Abitur en Bavière en 2001. Et les gens chargés de l'orientation que nous avons rencontrés n'ont pas vraiment de contact avec le monde du travail. »

Dans les ministères de l'éducation des Länder mais aussi au sein des chambres consulaires, la réponse commence à s'organiser avec la mise en place de programmes de qualité pour les écoles. La fondation Bertelsmann a mis au point un label : « Des jurys régionaux composés de représentants de l'économie et de l'éducation attribuent ce label selon plusieurs critères : contacts avec le monde de l'entreprise, interventions professionnelles et qualité des intervenants, projets scolaires… », souligne Clemens Wieland. « Le problème de l'orientation professionnelle en Allemagne est qu'elle s'appuie avant tout sur l'initiative volontaire et personnelle. Il n'y a rien de systématique. Il faut changer cela. » Thomas Schnee, à Berlin

15 000 jeunes s'incrivent en Staps chaque année pour 400 postes ouverts au concours.

Privatisation à l'anglaise

Trois grands gaillards, la capuche rabattue sur la tête, inspectent les annonces d'emploi punaisées sur le mur au milieu d'affiches vantant des promesses de bourse et des métiers passionnants. Scène classique, à Westminster, d'une agence Connexions, le label du système d'orientation britannique privatisé depuis quinze ans et restructuré en 2001. Car cette mission, déléguée à des opérateurs privés, dédiée aux lycéens et financée par l'État (475 millions de livres cette année), laissait passer au travers du filet 35 % des jeunes, ceux qui ne continuent pas leurs études au-delà de 16 ans. Du coup, en Angleterre (le modèle est différent en Écosse, en Irlande du Nord et au pays de Galles), Connexions a recentré sa mission sur les populations à problème, les jeunes sortis de l'école sans diplôme, ni formation, ni emploi (les not in education, employement or training). Et a créé un réseau, soit 47 partenariats calqués sur la carte scolaire, rassemblant les collectivités territoriales chargées des écoles, les entreprises sous contrat et des associations à vocation sociale. Car il n'est plus seulement question de formation, mais aussi de drogue, de contraception, de santé, de logement, d'aides financières…

Le système fonctionne à deux niveaux : les conseillers sont toujours présents à l'école (publique), où les lycéens reçoivent des cours de sensibilisation à l'orientation et passent d'office, en classe de onzième (l'équivalent de la seconde), un entretien individualisé ; mais ils assurent aussi des permanences dans les nouvelles agences de ville, gratuites et confidentielles pour les ados de 13 à 19 ans. « Le rôle des conseillers a beaucoup évolué : ils peuvent aussi bien aider tel jeune à s'inscrire en université que placer tel autre chez un entrepreneur local. Ils ne guident pas seulement les jeunes vers les études, mais aussi vers l'emploi. Et, quand il le faut, vers les services sociaux », explique Liz Beecheno, conseillère d'orientation au lycée français de Londres. Avec cette nouvelle organisation, le nombre de jeunes « en perdition » a reculé de 10 %. Revers de la médaille : des conseillers se plaignent du traitement privilégié d'une minorité aux dépens de la majorité. « La moitié de notre budget est consacré à l'agence, mais on voit beaucoup moins de jeunes ici qu'à l'école », constate Fiona Barrett, responsable du centre de Westminster. « Les autres n'ont peut-être pas de problèmes de drogue, ils réussissent convenablement à l'école, mais ils sont devant de grandes décisions. Eux aussi ont besoin d'aide. »

Mais, passé 19 ans, c'est le vide, en dehors des universités qui possèdent leurs propres services d'orientation. La structure censée prendre le relais, Next Step, est réservée aux jeunes adultes qui n'ont pas de qualification, pas même le bac. Les autres doivent se débrouiller seuls. Ou se résoudre à payer. Seule consolation, en Angleterre beaucoup plus qu'en France, on peut se réorienter facilement : passer un bac pro et rejoindre l'université, obtenir une licence d'histoire et postuler comme expert-comptable en s'engageant à décrocher le diplôme dans un certain délai.

Léa Delpont, à Londres

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy