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Vie des entreprises

Le référendum, un traitement démocratique... aux effets indésirables

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.12.1999 | Bernard Gauriau

Le projet de loi Aubry II subordonne l'allégement de cotisations sociales à la signature de l'accord 35 heures par les syndicats majoritaires dans l'entreprise ou, à défaut, à son approbation par la majorité du personnel. Outre qu'il soulève un certain nombre de questions non réglées par le projet de loi, ce recours au référendum risque d'entraîner quelques effets fâcheux.

Comme la loi Aubry I, le projet de loi Aubry II veut notamment assurer le développement de la négociation sur la réduction du temps de travail. Mais, à la différence du premier nommé, le texte adopté par l'Assemblée nationale, en première lecture, subordonne le droit à un allégement de cotisations sociales au respect d'une logique majoritaire, dont le référendum est une manifestation.

La finalité du recours au référendum – qui n'est juridiquement qu'une simple faculté – est double, puisqu'il s'agit pour le personnel d'approuver un accord afin que l'entreprise obtienne un allégement de charges. Mais ce traitement du faible taux de syndicalisation des entreprises à coups d'injection démocratique n'entraînera-t-il pas quelques effets indésirables ?

A. – Les conditions d'une consultation référendaire

L'article 11 distingue quatre hypothèses de recours au référendum selon l'effectif de l'entreprise. Il consacre également quelques dispositions au scrutin lui-même.

1° Le recours au référendum

Le paragraphe III illustre le mieux la logique majoritaire introduite par le projet de loi. Il permet d'organiser une consultation référendaire pour approuver un accord qui n'aurait pas été signé par une ou plusieurs organisations syndicales majoritaires, mais conclu par des organisations minoritaires dans l'entreprise.

À l'inverse, le paragraphe IV vise les établissements ou entreprises dépourvus de délégué syndical (en droit ou en fait) ou de délégué du personnel désigné comme tel, dans lesquels un salarié a pu être mandaté pour conclure un accord. Cet acte juridique, signé par le salarié mandaté, doit être approuvé par référendum.

Le paragraphe V concerne plus particulièrement les entreprises de moins de 50 salariés dépourvues de délégué syndical. En l'absence d'une convention ou d'un accord de branche étendu et lorsque aucun salarié n'a été mandaté dans les conditions définies par le texte, les délégués du personnel peuvent négocier un accord collectif d'entreprise. Cet accord doit être approuvé par référendum puis validé par une commission paritaire nationale de branche ou par une commission locale.

Selon le paragraphe VI, enfin, les entreprises de moins de 11 salariés pourront, à compter du 1er janvier 2002, faire ratifier par référendum le « document » précisant les modalités selon lesquelles la durée du travail est fixée dans les limites de 35 heures hebdomadaires ou de 1 600 heures sur l'année, en l'absence de convention ou d'accord de branche étendu ou de « mandatement » syndical.

2° Le scrutin référendaire

Le projet de loi renvoie, autant que faire se peut, l'organisation du scrutin à l'accord des parties concernées. Une imprécision doit cependant être relevée au sein du dispositif sur l'accord susceptible d'en définir les modalités.

S'agit-il de l'accord collectif de passage aux 35 heures (comme l'indique le § II, 2°, 3e alinéa) ou bien de l'accord spécifique envisagé exclusivement dans les deux premières hypothèses de référendum ? Cet accord – qui doit « respecter les principes généraux du droit électoral » – rappelle fortement le protocole d'accord préélectoral nécessaire aux élections professionnelles. Mais pourquoi l'accord RTT devrait-il « prévoir le cas échéant les modalités de consultation du personnel », puisqu'il faudra les fixer dans le protocole préréférendaire ? Référence au droit des élections professionnelles oblige, les modalités sur lesquelles aucun accord (spécifique) n'a pu intervenir peuvent être fixées par une décision du juge d'instance statuant en dernier ressort en la forme des référés.

Le projet apporte quelques précisions sur le processus.

• L'initiative du scrutin n'est pas réservée aux seules organisations syndicales. Sans doute, dans le premier cas, le texte mentionne-t-il une « demande d'une ou plusieurs organisations syndicales signataires », exempte de toute ambiguïté. En revanche, dans le paragraphe IV, le texte ne dit pas qui, de l'employeur ou du salarié mandaté, peut prendre une telle initiative. L'absence de précision ne semble pas être le fruit d'une inadvertance, puisque le législateur a bien su le dire dans la première hypothèse. Il en est de même dans le troisième cas de figure, où l'employeur comme le délégué peuvent être à l'origine de la demande. Mais il n'est pas fait mention du simple salarié qui, en matière électorale, à la faculté d'inviter l'employeur à organiser la chose.

Précisément, qui doit organiser le scrutin référendaire ? Faut-il, là encore, s'inspirer des règles applicables en matière d'élections professionnelles et désigner l'employeur, ou convient-il d'investir les organisations syndicales d'une telle mission ? L'accord préréférendaire pourrait opportunément nous donner la réponse.

• Le projet de loi est également silencieux sur la campagne référendaire, sans doute parce qu'elle ne s'impose pas en toutes circonstances. On imagine mal un employeur, qui n'est pas tenu à une obligation de neutralité, saborder un accord qu'il s'apprête à signer ou qu'il aurait signé. Quant aux organisations syndicales signataires, qui peuvent prendre l'initiative du scrutin, on ne les voit pas non plus critiquer un accord qu'elles approuvent. Faut-il aller plus loin et accueillir dans la joute référendaire un syndicat non signataire, lui donnant ainsi le droit de s'opposer sans exercer un quelconque droit d'opposition ? L'analogie avec les élections professionnelles, à l'occasion desquelles un syndicat sans candidat peut participer à la propagande électorale, est sans doute contestable car inopportune.

• Reste la délicate question de savoir si le référendum doit se tenir avant ou après la conclusion de l'accord. Sur ce point, seul le paragraphe III retient précisément cette option. La version première du projet (« L'accord ouvre droit à l'allégement s'il est approuvé par les salariés. […] ») a été complétée par un amendement : « Il en est de même lorsque le texte définitif de l'accord, préalablement à sa conclusion, a été soumis à la consultation du personnel. […] » Dans l'esprit du législateur, la première phrase renvoie donc l'interprète à une consultation postérieure à la conclusion de l'accord, sans quoi l'amendement serait inutile. En conséquence, les autres cas de référendum, dont la formulation reprend la phrase initiale de l'alinéa, sont censés intervenir après la signature.

Mais, comme l'a souligné le rapporteur du projet, il est préférable que les syndicats disposés à signer un accord aient une indication de la volonté des salariés et, surtout, que ne soit pas remis en cause notre système de représentativité. De ce point de vue, il est à craindre que la consultation référendaire n'emporte quelques effets indésirables.

B. – Les effets d'une consultation référendaire

Même s'il incarne un processus démocratique (et) majoritaire, le référendum est peut-être l'exemple même de la fausse bonne idée. On pressent le risque couru par une organisation syndicale trop prompte à intervenir pour proposer un référendum, qui demain la désavouerait. C'est dire combien il faut prendre la mesure des effets, juridiques ou non, d'une pratique référendaire mal maîtrisée.

1° Les effets juridiques

• Le projet de loi semble tout d'abord instaurer une hiérarchie référendaire, de telle sorte que l'on peut classer les référendums en deux catégories.

Le référendum de « première catégorie » se suffit à lui-même pour approuver un accord. C'est le cas dans les deux premières hypothèses envisagées : l'intervention de syndicats présents dans l'entreprise, bien que minoritaires, ou le caractère syndical d'un « mandatement » faisant probablement figure de garanties suffisantes pour que l'on puisse donner toute sa force à l'opinion des salariés.

Le référendum de « seconde catégorie » est, si l'on peut dire, doté d'une voix qui porte peu. Il lui faut le renfort d'une commission nationale ou locale pour être efficace. Si le législateur redoute les tentations manipulatrices d'un petit patron, ou simplement son autorité naturelle sur les quelques compagnons de son entreprise, il est singulier de noter le peu de crédit qu'il accorde à un élu du personnel. La mise en œuvre de la démocratie indirecte dans l'entreprise, suivie par un véritable exercice de démocratie directe, est-elle si suspecte ?

Il est clair que le législateur ne saurait se voir prêter de si noirs desseins. Il a voulu ménager la « vocation naturelle » des syndicats représentatifs à négocier, pour reprendre l'expression du Conseil constitutionnel, ne serait-ce que symboliquement. Ce qui est un choix parfaitement défendable. Mais en reportant sine die la réflexion globale sur notre système de représentativité, le législateur s'est condamné à brider la technique référendaire qu'il introduit cependant dans notre système de relation professionnelle.

Cette stérilité relative du référendum a pourtant été évoquée lors des débats parlementaires. Et l'on peut s'interroger sur les conséquences d'un refus d'approbation de l'accord par le personnel consulté par référendum. S'il est certain que l'entreprise perd tout droit à l'allégement des cotisations sociales, l'accord lui-même n'est-il pas contesté dans sa substance même, c'est-à-dire dans sa validité ?

Lorsque le projet n'envisageait, dans la première hypothèse de référendum, qu'une consultation postérieure à la signature, le gouvernement pensait sanctionner l'accord non approuvé par la nullité. Mais cet amendement fut, en définitive, retiré, après qu'a été admise une consultation préalable à la signature. Le référendum a donc été perçu comme une condition de validité de l'accord. Si l'article 11 présente dans son premier paragraphe la finalité du dispositif – un allégement de cotisations sociales –, il oublie de revenir au refrain (« […] pour ouvrir droit à l'allégement […] ») entre chaque couplet (les paragraphes III à VI). Tant et si bien que seule la première hypothèse (paragraphe III) présente l'approbation référendaire comme une condition d'obtention de l'aide. Les autres paragraphes ne le précisant pas, un signataire pourrait en tirer argument pour faire du référendum une véritable condition de validité de l'accord collectif, en tant que tel. À défaut d'admettre une sanction si radicale, les signataires ont la faculté de stipuler une clause suspensive, dont la condition s'incarnerait dans un référendum majoritairement favorable à l'accord. Ce genre de clause, dite de « sécurité juridique », permet aux organisations syndicales d'éviter l'affront d'un désaveu. Le référendum se caractérise en effet, autant sinon davantage encore, par ses effets extrajuridiques.

2° Les effets extrajuridiques

À défaut d'être un acte de validation, le référendum est un acte de légitimation. C'est dire le poids d'un refus majoritairement exprimé par la collectivité du personnel de l'entreprise à l'encontre d'un accord déjà signé.

À ce titre, l'alternative d'une consultation antérieure ou postérieure à la conclusion de l'accord est assez théorique, ce que n'a pas manqué de relever Martine Aubry à l'occasion des débats parlementaires, s'appuyant sur la pratique suivie pour les accords pris au titre de la loi Aubry I. Enfin, on ne peut manquer de relever un mélange des genres. Un processus de négociation fait de débats, de discussions et d'éventuels amendements est associé à un système binaire en noir ou blanc, sans nuances. Le référendum est, comme le projet qui le supporte, un acte manqué.

Auteur

  • Bernard Gauriau