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Repères

Rénover le paritarisme, pas l'enterrer

Repères | publié le : 01.12.1999 | Denis Boissard

Coup tactique ou démarche stratégique ? La question se pose après l'invitation faite par le Medef à ses interlocuteurs syndicaux de redéfinir en commun leurs responsabilités dans les domaines des relations du travail, de la protection sociale, ainsi que leurs rapports avec l'État. Vaste programme… Et manœuvre habile.

Ce faisant, le patronat – qui a déjà fait reculer Martine Aubry sur le financement des 35 heures – conserve la main dans la partie de poker qui l'oppose au gouvernement. Son initiative lui permet de maintenir un front commun avec les syndicats les plus hostiles à l'interventionnisme de l'État, tout en entretenant le suspense sur son maintien ou son retrait des organismes paritaires. Elle lui permet aussi de masquer, momentanément du moins, les divergences en son sein entre les tenants d'un paritarisme rénové et ceux désireux d'en finir avec la cogestion au sommet de la protection sociale.

Mais ce serait une erreur de ne voir dans la proposition de l'organisation patronale qu'un acte opportuniste. Cela fait en effet un moment que l'idée d'un lifting approfondi de notre modèle de relations sociales trotte dans la tête de ses nouveaux dirigeants. Ernest-Antoine Seillière annonçait la couleur il y a un peu plus d'un an, lors de la convention fondatrice du Medef à Strasbourg : « Nous entamerons avec les partenaires sociaux une consultation pour établir le nouveau partage des responsabilités dans les différents domaines de la protection sociale. » En traitant patronat et syndicats avec une grande désinvolture, la ministre de l'Emploi a involontairement tendu au Medef une perche pour concrétiser sa proposition.

Que la cogestion de la protection sociale nécessite un sérieux ravaudage, c'est une évidence. Le pseudo-paritarisme de la Sécu est bien mal en point. Faute d'avoir eu – par le passé – le courage de proposer les mesures de redressement nécessaires, les conseils d'administration des caisses ont laissé la place à une tutelle de l'État omniprésente. Chacun y trouvait son compte : les pouvoirs publics, qui pouvaient se targuer de l'immobilisme des partenaires sociaux pour les court-circuiter ; syndicats et patronat, qui laissaient le gouvernement essuyer les plâtres de l'impopularité. Et pendant que se déroulait ce jeu de mistigri, les réformes de fond sur la maîtrise des dépenses de santé ou l'avenir des retraites sont peu ou prou restées lettre morte. L'arrivée à la tête de la Cnam d'une majorité de gestion CFDT/Medef, soucieuse de prendre ses responsabilités dans l'équilibre financier de la branche, n'y a rien changé ou presque, Martine Aubry se montrant extrêmement jalouse de ses prérogatives.

À l'inverse, à l'Unedic et dans les régimes de retraite complémentaire, où ils sont plus libres de leurs mouvements, patronat et syndicats peuvent s'enorgueillir d'avoir su procéder aux ajustements parfois douloureux rendus nécessaires par l'envolée du chômage ou les contraintes démographiques. Même si certains arbitrages peuvent, avec le recul, paraître contestables.

Le psychodrame des 35 heures montre également l'urgence d'une réflexion sur l'avenir du dialogue social. Y a-t-il place pour une politique contractuelle digne de ce nom dans un pays fortement imprégné de culture étatiste et jacobine et privilégiant la loi sur le contrat ? Ceci supposerait que les rôles respectifs de la loi, de la négociation et de ses différents niveaux (interprofession, branche, entreprise) soient clairement définis, que chacun des acteurs assume ses responsabilités propres… et qu'il respecte le territoire dévolu aux autres. On est loin du compte.

Le Medef pose donc les bonnes questions. Mais quelles réponses entend-il y apporter ? Inspirée par Denis Kessler, sa frange la plus libérale ne cache guère son intention de mettre à bas le modèle de relations sociales hérité de l'après-guerre. Sa conviction est que, avec la mondialisation, notre système social entre en concurrence avec celui des autres pays pour la localisation des entreprises. Partant de là, il faut revenir sur la « socialisation » de notre protection sociale, décentraliser celle-ci au maximum – ainsi que le dialogue social – vers l'entreprise, introduire des mécanismes de marché et des interlocuteurs privés dans sa gestion. L'inspiration vient d'outre-Atlantique. Le risque est que, à l'arrivée, les Français se retrouvent avec un socle obligatoire réduit à la portion congrue et une couverture complémentaire au bon vouloir de l'entreprise. Bref, une protection sociale à plusieurs vitesses.

Mais il existe aussi au Medef une composante « sociale », partisane d'un paritarisme libéré de la tutelle étatique et soucieuse de voir le patronat remplir sa partition dans le jeu social. Pour les syndicats, refuser la négociation que propose le Medef, ou y aller à reculons, signifierait la victoire des « libéraux » et la mort du paritarisme à brève échéance. Ils n'ont d'autre choix que d'y aller avec la volonté d'aboutir. Quoi qu'il en soit, notre système social ne peut rester en l'état.

Auteur

  • Denis Boissard