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Politique sociale

Droit du travail : les avocats qui comptent

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.12.1999 | Françoise Champeaux, Sandrine Foulon

L'importance de la jurisprudence aidant, les avocats « travaillistes » sont devenus une pièce maîtresse dans l'évolution du droit. Souvent organisés en réseaux, les défenseurs des salariés concoctent de véritables stratégies judiciaires, en collaboration avec les syndicats. Plus défensifs, les avocats « patronaux » privilégient la négociation.

La première fois que Michel Henry a reçu Michel Boué dans son cabinet parisien, il n'imaginait pas une seconde que cette rencontre allait déboucher sur un des arrêts les plus retentissants de l'année 1998. Monté tout droit d'Auvergne pour le consulter, cet ingénieur a pourtant réussi à entraîner l'avocat proche de la CGT dans son aventure. Après trente ans dans la métallurgie, Michel Boué est licencié en 1994 par son entreprise en faillite. Comble de malchance, sa rémunération dépasse de 1 500 francs le minimum prévu par la convention collective. À l'époque, il est donc pris en charge au plafond minimal (plafond 4) par l'assurance de garantie des salaires (AGS) et n'est indemnisé qu'à hauteur de 180 000 francs. Alors qu'il aurait pu prétendre, juridiquement, au plafond 13 (le maximum, soit environ 730 000 francs). « Cela faisait déjà quelques années que cette jurisprudence, maintes fois réaffirmée par la Cour de cassation, m'agaçait profondément et je partageais son désarroi. Mais, de prud'hommes en cour d'appel jusqu'en Cour de cassation, je lui ai expliqué que le cheminement risquait d'être long et surtout que son entreprise me paraissait désespérée, se souvient Michel Henry. Il a semblé se résigner, mais quinze jours plus tard il est revenu à la charge, déterminé à aller jusqu'au bout. »

À la surprise générale, Michel Boué obtient gain de cause devant les juges prud'homaux de Clermont-Ferrand. Un jugement confirmé par la cour d'appel de Riom. Enfin, le 15 décembre 1998, la Cour de cassation opère le revirement de jurisprudence tant attendu. « Inutile de fabriquer de la mauvaise jurisprudence avec de mauvaises causes, ajoute l'avocat. Pour emporter la conviction des juges, il faut choisir une affaire irréprochable où les éléments factuels démontrent une injustice flagrante. »

Dans le désormais célèbre arrêt Samaritaine qui a conclu à la nullité des licenciements économiques née de l'insuffisance du plan social. Michel Henry possédait dans sa manche de solides atouts. « Il s'agissait de défendre deux salariées dans une situation professionnelle et personnelle dramatique. Je n'aurais probablement pas obtenu la réintégration de salariés ayant retrouvé un emploi. En outre, j'ai bénéficié de l'obstination de la direction à ne pas vouloir reconsidérer son plan social. »

Avocats militants

À l'instar de Michel Henry, la grande force des cabinets de défense des salariés est d'être à l'affût des affaires susceptibles d'entraîner des revirements. Le déclic s'est produit il y a environ trente ans. Depuis, les défenseurs des salariés n'ont cessé d'investir les tribunaux. Ils ont senti qu'il y avait là en germe des victoires possibles, que la grève n'était pas la seule réponse au pouvoir patronal. Ils ont également anticipé un phénomène prépondérant : l'indépendance croissante des juges. « Les employeurs sont complètement passés à côté de cette évolution, analyse un syndicaliste. Jusqu'alors, ils considéraient que les magistrats se trouvaient du bon côté de la barrière. Ils n'ont pas pris en compte leur fibre sociale. »

Sous l'impulsion de Jean-Paul Murcier, ancien responsable du service juridique de la CFDT, le syndicat s'est alors engouffré dans la brèche et a mis au point la théorie du conflit des logiques. Avec un objet précis : aboutir à une meilleure protection des droits des représentants du personnel, notamment en cas de licenciement. Pour la centrale syndicale, le procès judiciaire est devenu le théâtre d'une opposition entre les intérêts patronaux et ceux des travailleurs. L'idée a été de saisir le juge pénal, mieux disposé à l'égard des salariés, pour l'opposer au juge prud'homal, à l'époque plus réservé. Et d'obtenir en 1974 une avancée considérable. Les arrêts Perrier ont consolidé le statut des représentants du personnel.

« Le conflit des logiques en tant que méthode d'appréhension du droit du travail nous a fait sortir de la vulgate marxiste », insiste avec verve l'avocat de salariés et ex-soixante-huitard Tiennot Grumbach. « On recherche la logique patronale, sans diaboliser l'employeur. Le droit du travail n'est pas neutre. Ceux qui prétendent le contraire ne le font pas avancer. Le Code du travail recèle des logiques antagonistes. L'article L. 122-12, par exemple, sur le transfert d'entreprise, devait au départ protéger l'emploi, il permet aujourd'hui de l'extérioriser. »

Et l'avocat de citer son dernier combat judiciaire, l'affaire Yoplait, remporté en novembre par ses associés, maîtres Koskas et Brihi, devant le conseil de prud'hommes d'Amiens, « exemplaire du conflit des logiques ». Désormais, même si un plan social prévoit des mesures de reclassement satisfaisantes, il peut tout de même être annulé en l'absence de motif économique sérieux. Reste à savoir si la cour d'appel, saisie par la direction de Yoplait, confirmera ce jugement qui fait écho à des affaires de type Michelin…

Face à la pacification des rapports sociaux, Henri-José Legrand, avocat parisien défenseur de salariés, et notamment de la CFDT, nuance le propos : « Il n'y a plus une stratégie, mais des stratégies éclatées, voire un éventail de tactiques judiciaires moins cohérentes et moins lisibles qu'au temps de Jean-Paul Murcier. D'autant qu'aujourd'hui de nouveaux contentieux se développent, tels que sur l'exécution même des plans sociaux, sur les conditions de consultation du comité d'entreprise et de la négociation collective. Entre le syndicat et ses avocats, l'influence paraît plus réciproque que par le passé. Sur certains sujets, comme les licenciements collectifs, les avocats ont pu, en raison de leur situation d'observateurs privilégiés, apporter des éléments d'analyse qui ont nourri la réflexion des syndicats. »

Éclatés dans des petites structures de quelques associés, les avocats qui ont fait le choix de défendre les salariés restent avant tout des militants, attachés à une éthique, soucieux de faire progresser le droit du travail. Le plus souvent en cheville avec un syndicat, ils ne font pas mystère de leur cause commune.

Au service de l'entreprise

Rien de tel chez les défenseurs des directions d'entreprise, pour lesquels il n'est pas question d'épouser une quelconque idéologie patronale, et encore moins de rouler pour le Medef ou ses succursales. « Nous ne sommes pas des avocats proemployeurs, mais des avocats de l'entreprise », distingue Chantal Giraud Van Gaver, associée du cabinet Coblence, spécialiste du contentieux à risque et plus spécifiquement encore des transactions avec les cadres dirigeants. « Je ne milite pas pour le Medef, j'assiste des employeurs », renchérit Hubert Flichy, l'avocat de la Société générale et de Pechiney, transfuge de chez Gide, qui a monté il y a moins d'un an avec trois associés et huit collaborateurs son propre cabinet à Paris, entièrement consacré au social.

« Notre stratégie est d'essayer de fournir la meilleure qualité possible », lance l'avocat Gilles Briens, expert de la protection sociale complémentaire. « On ne se sert pas d'une entreprise pour réussir des coups », renchérit son associé Yves Fromont, tous deux anciens du cabinet Barthélémy partis s'installer à leur compte en 1989 et dont le cabinet compte à ce jour 30 avocats à Lyon et à Paris. Exclusivement en défense, les avocats d'employeurs parent au coup. Ils résistent. Difficile, voire impossible, dans ce cadre, de monter des stratégies.

« Je ne me sens pas dans l'obligation de faire avancer le droit, mais je dois défendre au mieux les intérêts de mon client », concède Hubert Flichy. « Si une affaire semble mal engagée, nous conseillons à nos clients d'éviter à tout prix le contentieux », affirme Yves Fromont. « Le judiciaire est un ratage. C'est la preuve que notre activité de conseil a échoué, résume Chantal Giraud Van Gaver. Le temps joue pour les avocats de syndicats contre des entreprises contraintes de réagir vite. Les comités d'entreprise ont parfois tout intérêt à laisser traîner la situation et à laisser se développer une stratégie bloquante afin d'amener l'entreprise à la table des négociations. »

De surcroît, précise Gilles Briens, « certaines questions, en matière de protection sociale, sont trop sensibles pour être plaidées ». « Les délais de justice sont trop longs, et l'aléa judiciaire trop important. Il faut trouver une solution par la négociation pour que l'entreprise fonctionne à court terme. Et intégrer le risque systémique dans le conseil que l'on donne au client, surtout si l'affaire porte sur des contrats d'assurance vendus à des milliers d'exemplaires. » Toutefois, nuance l'avocat-conseil Gilles Bélier, pour certains dossiers, « le judiciaire est la seule voie de passage possible pour débloquer l'affaire ». « Depuis quelques années, on assiste à une véritable instrumentalisation juge. Le judiciaire devient un moment du processus de conseil, mais ce n'est pas une fin en soi. La moitié des assignations se situe sur le terrain du débat juridique. L'autre moitié correspond clairement à des pressions pour faire fléchir l'employeur. »

Urgenciers, les avocats d'employeurs n'ont pas cherché à nouer des alliances entre eux. En face, les avocats prosalariés, moins nombreux, souvent qualifiés d'artisans du social, jouent mieux le jeu de la démarche collective. « On ne vit pas la concurrence de la même manière, souligne Florence Lyon-Caen, l'avocate qui s'est notamment orientée vers la défense des hôtesses et stewards. Lorsqu'il m'arrive de faire une formation pour le comité d'entreprise d'Axa avec Tiennot Grumbach, il en ressort une complémentarité et un enrichissement mutuel. » Ces avocats ont surtout su créer des réseaux et des lieux de réflexion où les échanges sont multiples.

Machines de guerre

À commencer par l'Association française du droit du travail (AFDT), une société savante présidée par le professeur de droit du travail Antoine Lyon-Caen. Tous les mois ou presque, dans les locaux du Palais de justice de Paris, voire lors de colloques en province, universitaires, étudiants, magistrats et avocats travaillistes se croisent et débattent de grands sujets de droit social, comme la vie professionnelle et la vie privée, thème de la prochaine rencontre. « C'est une famille, explique un inspecteur du travail. Tout le monde se connaît. On y retrouve immanquablement le doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation, Philippe Waquet, les professeurs Couturier et Pélissier… » Une institution étiquetée à gauche, peu fréquentée par les avocats d'employeurs. Il y a encore dix ans, les juristes de l'UIMM y croisaient le fer avec les avocats syndicaux. Aujourd'hui, l'AFDT ne compte plus guère de défenseurs des employeurs. Même si elle entend renouer avec son ancienne tradition d'échanges contradictoires. À l'image des pages de jurisprudence sociale éditées par le barreau de Lyon où des Chantal Jullien, Pierre Masanovic, Michel Lenoir, avocats proches de la CGT, défendent leur point de vue face à des Philippe Chassany, Philippe Clément ou Joseph Aguerra, défenseurs d'employeurs.

Même coloration progressiste à la commission sociale du Syndicat des avocats de France (SAF), pilotée par Paul Bouaziz, défenseur entre autres des salariés de la Société générale. Nombreux sont d'ailleurs les avocats travaillistes membres de l'AFDT à militer au SAF. « L'objectif est de réfléchir collectivement aux attitudes à adopter face à un nouveau texte », explique Paul Bouaziz. « Cette instance est une véritable machine de guerre, commente un avocat d'employeurs. Chacun échange ses recettes de cuisine pour contrer l'adversaire. » Au menu du prochain colloque : comment utiliser le droit communautaire pour mieux défendre les salariés ?

Enfin, les avocats d'employeurs n'ont pas constitué de réseau, à l'image de celui de la CFDT. Baptisé Avec, il regroupe 80 cabinets parmi lesquels ceux d'Henri-José Legrand, d'Hélène Masse Dessen, de Tiennot Grumbach (à Saint-Quentin-en-Yvelines), de Franceline Lepany, de Michel Touzet (à Bordeaux), de Myriam Plet (à Lyon)… un autre lieu de doctrine dont le fonctionnement est parfois décrié. « Étrangement, alors qu'à la CGT il n'existe aucune organisation de la sorte – chaque fédération préférant s'adjoindre les services d'un avocat de son choix (Paul Bouaziz pour les banques, Michel Jouet pour la Fédération du commerce, Jacques Grinsnir pour la Métallurgie, Christophe Baumgarten pour la Chimie…) –, la CFDT opère selon un mode centraliste démocratique stalinien », constate un avocat de salariés. Le réseau Avec n'obéit à aucune règle écrite d'exclusivité mais à une charte. Si les avocats du réseau ne s'interdisent pas de travailler pour d'autres clients, ils ne peuvent « soutenir les adversaires de la CFDT ni les affaires contre nature ». Une règle pour le syndicat confédéral, qui continue de financer un millier de procès collectifs par an.

Peser sur la doctrine

Foncièrement individualistes, les avocats d'employeurs freinent des quatre fers devant les tentatives de fédération. En témoigne le déclin annoncé du club Baretto (du nom d'un café de la rue Balzac à Paris) créé il y a plus d'un an à l'initiative d'Anne-Marie Dupuy, avocate notamment de l'UIMM. L'objectif : réunir des avocats de défense des employeurs pour tenter d'enrichir la réflexion sur le droit du travail. Il a même été question de créer un site Internet pour commenter certains jugements. Mais la mayonnaise n'a pas pris. Rebutés par l'aspect militant patronal du Medef, certains avocats ont préféré déserter.

Les cabinets d'avocats d'employeurs ont choisi de développer leur propre sphère d'influence. Chacun avec ses armes. Depuis sa création en 1964, la volonté affichée du cabinet Jacques Barthélémy est de produire de la doctrine. « Nous ne sommes pas des diseurs de droit mais des juristes organisateurs, explique Pascal Lagoutte, l'un des 30 associés du cabinet. Chacun d'entre nous exerce une activité enseignante ou de formation et rédige articles et ouvrages. Il ne s'agit pas de faire du lobbying souterrain mais de produire des effets sur les magistrats et les politiques. Depuis des années nous soutenons par exemple les horaires d'équivalences par accords d'entreprise. » Sans être officiellement estampillé Medef, Jacques Barthélémy (voir encadré) est écouté de manière in formelle par certains de ses membres. Appuyé par un conseil scientifique composé d'universitaires (Paul-Henri Antonmattei, Bernard Teyssié, Michel Morand…), le cabinet a mis en place une cellule d'études techniques. Les associés s'investissent également dans des journées techniques de réflexion où DRH et avocats peuvent disserter sur le travail précaire ou la durée du temps de travail. Sans oublier leur participation à des colloques.

Cercles restreints

Moins omniprésents, les autres cabinets d'employeurs ne sont pourtant pas en reste et développent aussi une activité éditoriale. Et n'hésitent pas, sous réserve de conserver leur indépendance, à fréquenter des cercles restreints pour échanger leurs idées. Tous les deux mois, la quinzaine d'avocats du club Edgar (Gilles Bélier, Chantal Giraud Van Gaver, Christine Lagarde, aujourd'hui présidente de Baker & McKenzie, Antonio Sardinha Marques, François Vergne, Emmanuel Barbara, Jean-Michel Mir ou encore Hubert Flichy…), présidé par Sylvain Niel, du cabinet Fidal, se retrouve autour d'une table du restaurant Ledoyen à Paris. « Ces réunions ont un caractère informel, précise Sylvain Niel. Nous échangeons des propos sur la dernière actualité judiciaire. Nous avons par exemple constaté que les arrêts des cours d'appel sur le licenciement abusif ont monté d'un cran dans la sévérité. Les sanctions prononcées vont jusqu'à deux à trois ans de salaire. » Mais, surtout, les entreprises ouvrent de plus en plus leurs cercles aux avocats travaillistes. « Nous commençons à être invités dans les cercles de DRH », souligne Hubert Flichy, dont l'associée Pascale Lagesse va plancher sur les 35 heures et le droit international pour le club Magellan, qui regroupe quelque 80 DRH. Des employeurs qui commencent à se mobiliser pour influencer le législateur. Encore à l'initiative de Sylvain Niel, de Fidal, un cercle d'une quinzaine de DRH (Danone, Usinor, Sodexho, Eurovia, Renault, Yoplait…) a été créé cette année pour ne pas rater le train des 35 heures. « L'objectif étant de suggérer au législateur, dès que nous avons connaissance d'un projet de loi, des adaptations rédactionnelles afin d'éviter les difficultés d'interprétation de la loi », souligne l'avocat.

Pour continuer à peser sur la scène et damer le pion aux consultants et autres cabinets anglo-saxons qualifiés d'usines à droit, les avocats travaillistes, d'employeurs et de salariés, revendiquent une activité de haute couture. En contrepartie, ils deviennent exigeants, refusent les affaires « indéfendables ». Gilles Bélier l'avoue volontiers : face au plan social d'un groupe prospère mais avec un vrai problème industriel, il s'assure au préalable d'obtenir l'engagement des dirigeants sur la qualité des mesures contenues dans le plan.

Même son de cloche côté salariés. Spécialiste du harcèlement moral, Philippe Ravisy a été submergé par un flot de demandes de travailleurs prétendument harcelés. « Pour rester crédible devant le conseil de prud'hommes, nous avons établi un questionnaire afin de vérifier si la personne est réellement victime d'un processus de harcèlement. » Autre évolution nouvelle, la propension des avocats de syndicats à négocier. « On plaide de moins en moins, surtout pour les cadres », souligne Florence Lyon-Caen. « La tradition des anciens conseils (devenus avocats depuis la fusion des professions judiciaires, NDLR) comme Gilles Bélier ou encore Alain Sutra a beaucoup pesé sur le retour à des solutions négociées », relève Michel Henry. Quand ils le peuvent, les avocats travaillistes négocient tous azimuts. Un gain de temps considérable.

Conseils, négociateurs, éminences grises, plaideurs, les avocats travaillistes continuent à étendre leur sphère d'influence. Aidés par la complexité du droit social qui amène politiques, entreprises et syndicats à s'en remettre à leur savoir-faire. Les avocats proemployeurs poussent plus loin leur relation de conseil et commencent à intervenir très en amont, quitte à marcher sur les plates-bandes des juristes d'entreprise. Côté syndicats, l'avocat devient un pivot. Même si « le premier de cordée doit toujours être le syndicaliste », affirme Tiennot Grumbach. Pas question de se substituer aux représentants du personnel, qui doivent tracer le chemin. « L'avocat est un sherpa. »

Un club très fermé

« Ce que nous vendons, c'est un savoir-faire, un tour de main », lance Chantal Giraud Van Gaver. Peu d'avocats font du social à plein temps. C'est un luxe réservé à une minorité qui entend bien le rester. « On voit toujours les mêmes », se plaint un magistrat. Côté salariés, le métier est difficile. Les salariés licenciés ne sont pas nécessairement solvables. L'aide juridictionnelle ne permet pas de faire tourner un cabinet. Difficile d'exister quand on ne compte pas parmi sa clientèle syndicats ou comités d'entreprise. Les syndicats ont déjà leur avocat attitré, en situation de quasi-monopole. Et un avocat de se souvenir d'avoir été débarqué d'une affaire parce qu'il n'avait pas le label CFDT.

Comment percer dans ces conditions ?

« Il y a des cabinets bénéficiant d'un monopole de fait pour les dossiers de droit collectif et ceux qui suivent principalement des dossiers individuels », analyse l'avocat Philippe Ravisy, qui a créé la Boutique du droit, en face du conseil de prud'hommes de Paris.

« C'est la répétition de cas semblables qui m'a fait prendre conscience, bien avant la médiatisation du sujet, de processus intolérables de harcèlement professionnel. Je me suis donc spécialisé dans ce créneau. »

Conscient du dramatique problème de l'amiante, Jean-Paul Teissonnière plaide sur ce thème depuis plus de quatre ans.

Au début dans l'indifférence générale, aujourd'hui avec succès. D'autres obtiennent des décisions retentissantes. Ainsi, Basile Yakovlev a fait condamner l'État à 40 000 francs de dommages-intérêts pour dysfonctionnement du service de la justice.

Sa cliente ayant dû attendre trois ans et quatre mois avant d'aller devant la cour d'appel. Michel Jouet, avocat de salariés à Bagnolet, a obtenu pour la première fois l'application de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme sur la présomption d'innocence en matière sociale. Une autre façon de faire avancer le droit.

Les avocats ont l'oreille des politiques

Éminences grises ou initiateurs de lois, les avocats travaillistes pèsent dans le débat public. Proche de Martine Aubry, deloriste depuis toujours, Gilles Bélier a beaucoup contribué en 1982 à la rédaction des lois Auroux. Et la ministre actuelle de l'Emploi n'hésite pas à le consulter sur les 35 heures. « On ne peut rester sur des modèles fondés sur la conflictualité. Nous nous inscrivons davantage dans une logique de démocratie industrielle modernisée privilégiant la négociation au conflit », explique cet avocat atypique, défenseur des entreprises.

La droite prend aussi le pouls des avocats en droit du travail. Invité cette année des journées parlementaires de l'UDF. Jacques Barthélémy a été successivement associé aux travaux de Jacques Barrot, ancien ministre du Travail, et d'Alain Madelin, à l'époque ministre des Entreprises et du Développement économique, pour lequel il a été l'un des inspirateurs principaux de la loi sur le travail indépendant en 1994. « Pour les pouvoirs publics, un cabinet de notre dimension peut être un vecteur intéressant, une source d'informations et d'idées précieuses », confirme Pascal Lagoutte, associé chez Barthélémy.

Mais c'est curieusement au parti communiste que les avocats ont le vent en poupe. Deux propositions de loi ont été élaborées avec la caution scientifique d'avocats. La proposition de loi sur le licenciement économique a associé maîtres Teissonnière et Baumgarten, avec les renforts du professeur Gérard Lyon-Caen et de l'ancien directeur de la « Revue pratique de droit social », Maurice Cohen. Le PC réfléchit aujourd'hui sur le harcèlement moral avec les avocats Philippe Ravisy, Rachel Saada et Marie-Laure Dufresnes Castets. Des avocats sensibilisés aux thèmes abordés, sans être nécessairement communistes.

Auteur

  • Françoise Champeaux, Sandrine Foulon