logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

L'Hexagone résiste à la capitalisation

Dossier | publié le : 01.12.1999 | Dominique Strauss-Kahn

Depuis le vote sans suite de la loi Thomas il y a deux ans et demi, le dossier des compléments de retraite par capitalisation n'a pas bougé d'un iota. Alors que le retournement démographique se profile à l'horizon, partisans et adversaires de la capitalisation continuent de se renvoyer la balle.

Le moins qu'on puisse dire est que la démission fracassante de Dominique Strauss-Kahn ne sert pas la cause des fonds de pension en France. Car même si son successeur à Bercy, Christian Sautter, s'est déclaré déterminé à poursuivre la politique de DSK, les partisans de la capitalisation perdent un avocat de poids. Quant à Martine Aubry, chargée par Lionel Jospin de mener la concertation préalable à toute réforme, elle a clairement indiqué qu'elle n'était pas favorable aux fonds de pension, en raison des inégalités qui en découleraient pour les retraités. Paradoxalement, un certain nombre d'indices donnent tout de même à penser que le concept de retraite complémentaire par capitalisation fait peu à peu son chemin. Même si le gouvernement a brouillé les pistes, en décidant de reporter au début de l'année prochaine l'abrogation, maintes fois annoncée, de la loi Thomas de mars 1997 créant des plans d'épargne retraite, plusieurs avancées récentes peuvent être relevées. D'abord, et quel que soit le jugement que l'on peut porter sur les propositions contenues dans le rapport sur l'avenir des retraites – remis à Lionel Jospin par la commission présidée par le commissaire général au Plan, Jean-Michel Charpin –, plus personne ne conteste la réalité d'un colossal besoin de financement des pensions, à échéance de dix à quinze ans. Tout le monde est ensuite à peu près d'accord pour reconnaître qu'une fois les régimes par répartition consolidés, la mise en place de suppléments par capitalisation peut, et même doit, s'envisager. Enfin, un certain consensus existe pour admettre que les partenaires sociaux doivent avoir un rôle à jouer sinon dans la gestion du futur système, du moins pour ce qui est de sa surveillance.

Pour autant, les adversaires des fonds de pension continuent à faire de la résistance. Il y a tout d'abord ceux qui agitent le spectre du modèle anglo-saxon. Il faut également compter avec tous ceux qui estiment qu'il n'y a pas péril en la demeure. Ils rappellent que des fonds de pension ont déjà été mis en place pour les catégories les plus exposées. C'est le cas des agriculteurs avec Coreva, des élus locaux avec Fonpel, des commerçants et artisans avec les fonds Madelin. C'est encore le cas des hauts fonctionnaires, dont les cotisations de retraite sont assises sur le traitement mais pas sur les primes, et pour lesquels la Préfon a été créée il y a trente ans. Selon les plus optimistes, tous ceux qui ne bénéficient pas d'une couverture de base satisfaisante (voir tableau) sont déjà pourvus d'un régime de capitalisation. En outre, le haut niveau de pension assuré par les régimes de base et complémentaires existants constituerait, dans l'immédiat, un handicap sérieux au développement d'un troisième étage.

Pour d'autres experts, le recours aux fonds de pension ne serait pas la solution appropriée. C'est, ainsi, le sentiment de Patrick Artus, directeur des études économiques à la Caisse des dépôts. Un calcul rapide démontre, selon lui, que pour faire face à un besoin de financement annoncé de 450 milliards de francs en 2025 il faudrait accumuler d'ici là un capital de 9 000 milliards de francs. Les 25 à 30 milliards par an que procureraient des plans d'épargne retraite ne seraient donc pas à la mesure du problème. Et puis il y a tous ceux (et ils sont nombreux aujourd'hui) qui voient l'influence néfaste des fonds de pension américains partout. Que le cours d'une société comme Alcatel chute, que Michelin annonce un plan de réduction d'effectifs, et la faute en revient, selon ces oiseaux de mauvais augure, aux Calpers, Tiaa-Crefet autres mastodontes yankees qui possèdent plus de 40 % du capital des sociétés françaises du CAC 40. De leur côté, les chefs d'entreprise ne sont pas fâchés de trouver des boucs émissaires, même s'il n'est pas prouvé que les fonds américains n'ont d'autre objectif qu'une rentabilité immédiate passant par des réductions de coûts, donc d'effectif.

Dernière catégorie de sceptiques, ceux qui s'interrogent de bonne foi sur l'opportunité de développer des instruments faisant appel à l'épargne. En font partie ceux qui ont gardé en mémoire les déboires des retraites ouvrières et paysannes de l'entre-deux-guerres. D'autres redoutent les effets d'un accroissement du taux d'épargne sur la consommation et la croissance. Certains, enfin, ne voient pas comment dégager une épargne supplémentaire dans un pays où le taux d'accumulation des ménages se situe à un niveau record. Ainsi, par exemple, aussi longtemps que l'assurance vie drainera quelque 500 milliards de francs par an – plus de 3 600 milliards d'actifs aujourd'hui, dont un bon tiers dédié à la retraite –, il ne restera pas beaucoup de place pour un nouveau produit d'épargne à long terme. Sauf à accepter une réduction des avantages fiscaux sur l'assurance vie, condition sine qua non pour favoriser les transferts d'épargne.

Après le baby-boom, la papy-krach

Mais si le concept de fonds de pension a du mal à s'imposer, c'est également pour des raisons propres à la France. Depuis l'après-guerre, les régimes de retraite sont gérés par les partenaires sociaux avec des résultats globalement satisfaisants. Il n'est donc pas facile de les en déposséder. De surcroît, les systèmes de capitalisation fonctionnent à coups d'avantages fiscaux. Dans un pays où un ménage sur deux ne paie pas l'impôt sur le revenu, le principe des exonérations fiscales apparaît fatalement comme facteur d'inégalités. Autre effet de telles incitations : il est difficile d'affirmer qu'on consolide la répartition quand, pour assurer le succès de la capitalisation, on applique aux sommes épargnées un régime d'exonération de charges sociales qui plombe les recettes des régimes existants. Mais, à supposer que les pouvoirs publics parviennent à surmonter ces difficultés, d'autres arguments plus fondamentaux sont avancés pour empêcher les fonds de pension de se développer. Leurs détracteurs les plus virulents jugent qu'il y a incompatibilité totale entre la recherche de rentabilité immédiate d'un placement en actions et l'exigence de sécurité propre à un régime de pension. Pis encore, il y aurait antagonisme entre l'attente des actionnaires et celle des salariés. Enfin, un phénomène de désépargne serait à redouter quand, pour survivre, la génération du baby-boom liquidera ses portefeuilles. Bref, après le baby-boom, le papy-krach !

Cette guerre picrocholine, qui dure depuis une bonne quinzaine d'années, n'empêche pas les gouvernements, de gauche comme de droite, de chercher des issues. Une proposition de loi cosignée par l'ancien ministre Jean Arthuis et le sénateur RPR de l'Isère, Charles Descours, devrait prochainement être discutée dans le cadre de la fenêtre parlementaire ouverte à l'opposition. Mais un projet s'inspirant aussi directement de la loi Thomas de 1997 (prévoyant notamment la mise en place dans un cadre collectif d'un produit individuel et facultatif, avec sortie principalement en rente) n'a pratiquement aucune chance d'aboutir. Auditionnés par les sénateurs en septembre dernier, les syndicats ont, pour l'essentiel, repris les arguments qu'ils ont développés au moment du vote de la loi Thomas : les « fonds de retraite » proposés ne constituent en aucune façon une réponse au problème de la retraite désormais clairement identifié. Surtout, ils ont rappelé qu'ils jugent difficilement conciliable la création d'un complément de retraite pour tous et le caractère facultatif du dispositif, à la fois pour l'employeur et pour les salariés.

Introduire de la capitalisation dans la répartition

De son côté, la majorité cherche une solution autour de l'épargne salariale. Dès la fin de 1997, Laurent Fabius a formulé l'idée de « fonds partenariaux de retraite ». Dans une note au gouvernement datée de juillet 1998, Jérôme Cahuzac, député du Lot-et-Garonne, chargé d'une mission sur le sujet, a repris l'idée à son compte. Toutefois la priorité donnée par Lionel Jospin à la consolidation de la répartition renvoie le débat autour des fonds de pension à plus tard. D'autant qu'au Conseil d'analyse économique, le think tank créé à l'initiative de Lionel Jospin pour alimenter sa réflexion, a émergé une autre idée : introduire de la capitalisation dans la répartition, via un « fonds de réserve » conçu sur le modèle canadien, autrement dit alimenté, pour partie, par un supplément de cotisation. Mis en place par la loi de financement de la Sécurité sociale de 1999, au profit de la seule assurance vieillesse, ce fonds devrait être doté d'une bonne vingtaine de milliards en 2001. Mais si l'on instaure une surcotisation temporaire, comme le préconise l'inventeur du fonds de réserve, Olivier Davannes, restera-t-il encore une place pour des prélèvements qui alimenteraient des fonds de pension ?

Face à la puissance des fonds de pension américains, le gouvernement de Lionel Jospin est toujours en quête d'une riposte, dans le cadre d'un développement de l'actionnariat salarié et, de façon plus générale, de l'épargne salariale. L'ancien commissaire au Plan, Jean-Baptiste de Foucauld, a été chargé de remettre des propositions sur le sujet au printemps 2000. D'ores et déjà, un certain nombre d'entreprises, comme Usinor, Total, Rhône-Poulenc ou Saint-Gobain, lassées d'attendre d'hypothétiques fonds de pension, ont choisi de mettre en place des plans d'épargne d'entreprise, aménagés en plans d'épargne retraite à long terme, pour assurer à leur personnel un supplément de pension en capitalisation. Les avantages sont nombreux. Ils sont créés par des accords collectifs. Ils sont alimentés par les primes d'intéressement et de participation, l'abondement obligatoire de l'employeur et les versements volontaires des salariés. Et ils débouchent sur des placements dans des fonds communs de placement. La sortie s'effectue, au choix, en rente ou en capital.

Dernier avantage de ces plans d'épargne d'entreprise, ils comportent des avantages fiscaux à l'entrée dans le dispositif. Un bémol, pourtant : comme les plans imaginés par la défunte loi Thomas, ils affectent les recettes des régimes de répartition, puisque ni les primes ni l'abondement ne supportent de charges sociales. Mais les difficultés ne s'arrêtent pas là. Si l'actionnariat salarié continue de se développer et si les stock-options finissent par se généraliser, quel sera l'impact sur les autres formes de salaire différé, comme les plans d'épargne retraite ? Et, dans ce cas de figure, quel lien s'établira avec les fonds de pension ? Le débat, sur ce point, ne fait que commencer. Il devrait arriver au Parlement l'année prochaine, lorsque le gouvernement présentera son projet de loi sur l'épargne salariale. Un texte qu'avait promis, avant son départ.

Pour les catégories disposant des plus faibles retraites, des fonds de pension existent déjà. Il s'agit de Coreva pour les agriculteurs, ou des fonds Madelin, créés à l'intention des commerçants et des artisans. D'autres systèmes ont également été mis en place, comme la Préfon, qui procure un complément de retraite aux fonctionnaires.

Auteur

  • Dominique Strauss-Kahn