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Débat

Avenir du paritarisme et des relations sociales : que veut le Medef ?

Débat | publié le : 01.12.1999 |

Changement de sigle et d'hommes, disparition de la commission sociale, durcissement du discours, bras de fer avec le gouvernement sur les 35 heures, menace de quitter les organismes paritaires, volonté de refonder le système social français… Depuis un peu plus d'un an, le patronat français fait feu de tout bois. Mais où le Medef veut-il vraiment aller ? La réponse de trois experts du monde patronal.

« En finir avec des pratiques qu'il juge incompatibles avec les exigences de la mondialisation. »

HUBERT LANDIER

Directeur de la revue « Management et Conjoncture sociale ».

Les organisations professionnelles patronales avaient pour les dirigeants d'entreprise, voici quelques dizaines d'années, une utilité reconnue.

Premièrement, elles négociaient les augmentations de prix des produits industriels avec les pouvoirs publics.

Deuxièmement, elles étaient le lieu où se négociaient des ententes plus ou moins informelles sur les prix et la répartition des marchés. Troisièmement, elles assuraient la défense des entreprises face à un syndicalisme majoritairement agressif dans un contexte de guerre froide : telle était la raison d'être de la politique contractuelle et de leur participation à l'administration des organismes paritaires de protection sociale.

Le contrôle des prix a disparu. Les ententes ont été sévèrement sanctionnées par le traité de Rome. Restaient le paritarisme et la politique contractuelle. Or l'un et l'autre se trouvent à leur tour remis en question, au moins au niveau national.

La politique contractuelle s'expliquait par la nécessité de faire face à un échiquier syndical dominé par des organisations qui se recommandaient alors d'une stratégie de rupture avec le système capitaliste. Les patrons comptaient sur leurs organisations professionnelles et sur le CNPF pour négocier les termes d'un modus vivendi. Le paritarisme visait en outre à limiter les velléités d'intervention d'un État jugé encombrant. Or le contexte a profondément changé.

D'une part, les syndicats, qui se sont considérablement affaiblis depuis le milieu des années 70, ont cessé de faire peur. En outre, les entreprises ont mis en place des politiques sociales plus étoffées, qu'elles négocient désormais directement avec leurs interlocuteurs. Les accords de branche constituent, au mieux, des accords-cadres ou des « accords-balais ». Quant aux grandes négociations nationales interprofessionnelles, elles appartiennent désormais au passé.

Le paritarisme lui-même a perdu, aux yeux du patronat, au moins une partie de sa raison d'être. D'une part, les problèmes récurrents de financement de la Sécurité sociale ont conduit l'État à s'introduire dans le débat, si bien que les représentants patronaux peuvent avoir le sentiment de faire figure de potiches. D'autre part, il est difficile, pour les représentants des centrales syndicales, de cautionner certaines décisions de gestion justifiées, mais qui se traduiraient par des conséquences désagréables pour le personnel ; d'où une grande inertie du système.

Cela explique les deux points de vue qui s'affrontent désormais au sein du Medef. Le premier consiste à s'inscrire dans la continuité de la politique menée par les prédécesseurs d'Ernest-Antoine Seillière : elle consiste à valoriser le rôle des partenaires sociaux face à un État envahissant. Plus récent, le second vise à refuser de négocier sous la pression du gouvernement et à dénoncer le faux-semblant auquel a conduit un paritarisme qui oblige en fait le patronat à cautionner des décisions qu'imposent en dernière instance les pouvoirs publics. Ce point de vue semble actuellement l'emporter au Medef. Il s'agirait ainsi de mettre fin à des pratiques devenues incompatibles avec les exigences de l'environnement international des affaires. Quand ? Et à quelle occasion ? Ce ne serait plus qu'une question d'opportunité.

« Faire pièce à l'interventionnisme de l'État, moderniser l'économie et la société. »

HENRI WEBER

Sénateur de la Seine-Maritime, auteur de « Le Parti des patrons » (Éd. du Seuil, 1991).

Vingt années d'alternance nous l'ont appris : confronté à une victoire électorale de la gauche, le patronat français – CNPF hier, Medef aujourd'hui – n'adopte pas une stratégie de heurt frontal avec le nouveau pouvoir politique, mais, plus subtilement, une stratégie d'usure et d'infléchissement, visant à atténuer, différer, modifier « dans un sens plus favorable aux entreprises » les projets du gouvernement, tout en travaillant au rétablissement d'un rapport des forces qui permette non plus d'infléchir ces réformes mais de les abolir. Cette stratégie n'exclut pas les affrontements, même vifs. Mais elle vise au compromis plutôt qu'à la victoire ou à la défaite totale de l'un ou l'autre des protagonistes.

Les mâles accents et les terribles clameurs qui s'élèvent périodiquement du 31, avenue Pierre-Ier-de-Serbie ne doivent pas faire illusion. Le Medef n'a pas troqué sa stratégie d'usure traditionnelle pour une stratégie d'assaut. Sacontre-offensive sur les 35 heures visait à refaire l'unité des chefs d'entreprise sur le terrain, ô combien consensuel, de la liberté de gestion, en vue d'obtenir les modalités les plus favorables et le maximum de compensations dans la mise en œuvre de la réduction du temps de travail : hausse des seuils à 50 salariés, report de délais, gratuité ou faible taxation des heures supplémentaires, flexibilité à l'anglo-saxonne…

Ces objectifs n'ont pas été atteints, mais l'impératif de compétitivité des entreprises a été pris en compte par les syndicats et le gouvernement. 112 accords de branche ont été signés en un an, dont 104 ont été validés, et la seconde loi, quoi qu'en dise M. Seillière, s'inspire fondamentalement de ces contrats.

La proposition d'Ernest-Antoine Seillière, faite aux syndicats, de concevoir ensemble « une nouvelle constitution sociale » de la France, assortie d'un nouveau report de son ultimatum sur la Sécurité sociale, s'inscrit dans la même démarche.

Le regain des négociations collectives en 1998-1999, induit par la première loi sur les 35 heures, a renforcé, au sein du Medef, le poids de ceux qui pensent que le développement d'un paritarisme rénové est le seul moyen de faire pièce à l'interventionnisme étatique et de moderniser l'économie et la société.

Déjà la CFDT et FO ont répondu chiche ! La CGT et les autres confédérations devraient leur emboîter le pas. Il faudrait de sérieux prétextes au Medef pour se rétracter et se confiner dans une attitude purement protestataire. Son désengagement des négociations collectives nationales et des institutions paritaires, préconisé par son aile ultralibérale depuis quatre ans, et la transformation, en conséquence, du Medef en simple lobby économico-politique, seraient payés au prix fort.

Les conditions politiques, idéologiques, économiques d'une modernisation des relations professionnelles dans notre pays sont, peu à peu, en train de se constituer. Les partenaires sociaux et l'État sauront-ils s'en saisir pour promouvoir cette « démocratie sociale » que M. Seillière prétend – bien imprudemment ! – appeler de ses vœux ?

« Sortir du corporatisme, constituer un parti de l'entreprise, pour agir sur la société globale. »

JEAN DUBOIS

Sociologue, conseiller à Entreprise et Personnel.

Les réticences du Medef à l'égard du paritarisme n'étonneront que ceux qui n'avaient pas compris que l'organisation patronale, en changeant de nom, voulait bel et bien changer de nature. Alors que le CNPF était une « institution », son successeur est un « mouvement ». Ce renoncement au rôle institutionnel suffit à rendre définitivement obsolète la vieille appellation de « partenaire social ».

Celle-ci perd son sens dès lors qu'il n'est plus question de s'inscrire dans un jeu où des organisations représentatives et responsables s'entendraient pour élaborer des règles communes. L'émoi des syndicats et du gouvernement est compréhensible : avec qui gérer la protection sociale ? Avec qui signer des conventions collectives ? La disparition d'un partenaire enlève toute raison d'être aux autres puisqu'elle empêche le jeu de se poursuivre. C'en est fini du « ménage à trois » qui, en dépit de crises périodiques, assumait jusqu'ici la régulation sociale de la France.

En se transformant en mouvement, le Medef opère une autre rupture radicale. Il refuse d'être, à l'instar d'un quelconque syndicat, le représentant des intérêts particuliers de ses mandats. Aux antipodes d'une vocation dénoncée comme corporatiste, il se donne pour mission d'agir sur la société globale et affiche, sans ambages, sa volonté de promouvoir « un projet pour la France ».

Il a beau jeu de récuser les soupçons de se mettre ainsi dans la dépendance des partis politiques. La raison simple en est qu'il est en passe de donner corps au vieux rêve de constituer un « parti de l'entreprise » autonome. Les récents débats sur les 35 heures ont bien montré que, face à la déliquescence des partis de droite, il était le plus apte à assumer le leadership de l'opposition. Aussi ne veut-il pas s'enfermer dans les murs de l'entreprise, se cantonner aux questions professionnelles, mais « exercer un leadership d'influence » aussi bien en matière de politique économique, budgétaire ou fiscale que d'éducation ou d'aménagement du territoire.

Dans cette perspective, la question de la représentativité du Medef est accessoire et il lui importe peu de n'être pas suivi par un certain nombre d'entreprises. En tant que mouvement, il cherche d'abord à mobiliser des militants.

Ceux-ci ne seront ni des entreprises ni même des « patrons », mais avant tout des « entrepreneurs » individuels.

C'est sur eux qu'il compte pour déclencher de puissants mouvements d'opinion et, si besoin, descendre dans la rue. Son souci de s'adresser directement à la base patronale prend ici tout son sens.

Le pari du Medef n'est pas gagné d'avance. De même que les salariés ont délaissé des syndicats politisés sacrifiant tout à leur idéologie, les patrons, utilitaires et pragmatiques, pourront reprocher à leur organisation de ne pas accepter des compromis leur assurant des avantages immédiats. Au moment où la CGT constate que son opposition systématique n'a abouti qu'à la marginaliser, il est paradoxal que le Medef adopte cette stratégie.

Toujours est-il que l'État et les syndicats doivent désormais, plutôt que d'espérer en revenir à une situation révolue, prendre en compte avec réalisme cette nouvelle donne pour redéfinir leur propre stratégie.