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Vie des entreprises

Tereos et Cristal Union restructurent à tout-va

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.02.2006 | Anne-Cécile Geoffroy

Fusions et rachats rythment le quotidien de Tereos et de Cristal Union. Si les deux sucriers soignent l'accompagnement des réorganisations, ils peinent à bâtir une politique RH et une culture de groupe.

A Origny-Sainte-Benoîte, dans l'Aisne, le ballet incessant des camions venus décharger leur cargaison de betteraves s'est enfin arrêté. De septembre à décembre, lorsque la campagne bat son plein en France, 20 000 tonnes de sucre sortent chaque jour de la sucrerie. Pour Éric, c'est le moment de souffler. « Jusqu'à Noël, les conditions de travail sont éprouvantes, raconte cet automaticien. En moins de quatre mois, j'ai travaillé près de neuf cents heures. Les équipes se relaient jour et nuit, six jours sur sept. » Producteurs de betteraves et fabricants de sucre ont quelques mois pour récolter les précieux tubercules et les transformer en or blanc.

Origny-Sainte-Benoîte est l'une des plus grosses entités de Tereos, premier fabricant de sucre français et numéro deux mondial. Créée en 2003 par les betteraviers d'Union SDA, la coopérative s'est vite imposée comme le poids lourd de l'industrie sucrière. Une ascension fulgurante, menée par Philippe Duval, directeur général de la coopérative. « Dans la profession, c'est un homme respecté mais pas toujours apprécié, note un spécialiste du secteur. Il a eu le culot de racheter Béghin-Say pour construire Tereos et d'endetter ses planteurs pour plusieurs années. Cela ne l'a pas empêché de fusionner en début d'année avec les Sucreries et distilleries des hauts de France (SDHF). » Le géant du sucre réalise près de 34 % du quota français, regroupe 15 200 planteurs, emploie 2 000 salariés et gère 12 sucreries et distilleries implantées dans la Somme, le Nord, le Pas-de-Calais et l'Aisne. La coopérative détient également une raffinerie à Nantes et trois usines au Brésil.

En face, Cristal Union, sous la houlette de Daniel Collard et d'Alain Commissaire, les deux dirigeants de cette coopérative de Champagne-Ardenne, a bien tenté de bloquer la fusion entre Tereos et les SDHF en faisant une contre-proposition aux planteurs, mais ces derniers ont décliné l'offre. Né en 2000 du rapprochement de plusieurs coopératives et du rachat d'anciens sites Béghin-Say à Tereos, Cristal Union produit un peu moins de 20 % du quota français avec 5 350 planteurs, 1 155 salariés répartis sur six sites, essentiellement dans la Marne et l'Aube.

Entre les deux champions, c'est à qui s'installera, à coups de rachats et de regroupements, sur les terres où les rendements avoisinent les 13 tonnes de sucre à l'hectare. Une compétition d'autant plus vive que le marché sucrier européen connaît une profonde mutation.

Depuis quarante ans, les betteraviers profitaient d'un système de quotas de production par pays et par sucrerie, de prix garantis (trois fois plus élevés que les cours mondiaux) et de barrières douanières infranchissables qui leur assuraient des revenus très confortables. Sous la pression de grands pays producteurs comme le Brésil, cette organisation vient de voler en éclats. La Commission européenne a revu l'ensemble des règles du jeu. Bruxelles a notamment imposé une réduction de 36 % des prix du sucre dès juin prochain pour s'aligner en deux ans sur les prix des pays concurrents.

Anticipant cette réforme, les industriels du sucre ont restructuré à marche forcée leur outil de production ces dix dernières années en multipliant les plans sociaux. « La moyenne d'âge est de 48 ans. Les salariés les plus âgés sont désabusés et préfèrent négocier des départs en retraite plutôt que de se reclasser. Résultat, nous assistons à une vraie destruction de l'emploi », affirme Jean-Jacques Cazaumayou, secrétaire fédéral FGTA-FO. Le secteur, qui employait encore 8 000 salariés durant les années 90, n'en compte plus que 6 500 dans l'Hexagone. Deux sucreries ferment en moyenne chaque année. « Nous arrivons au bout des restructurations, assure Régis Degouy, secrétaire fédéral FGA-CFDT. Il ne reste quasiment plus de petites sucreries indépendantes en France. L'apogée de cette période a été le rachat de Béghin-Say par Tereos. »

Pour digérer l'acquisition de l'ex-géant du sucre, Tereos n'en finit pas d'optimiser son outil de production. Après avoir fermé la sucrerie de Villenoy (Seine-et-Marne) en 2003, puis les services centraux de BS à Neuilly-sur-Seine l'année suivante, le groupe boucle un plan social à Thumeries, près de Douai, pour fermer l'atelier de conditionnement. Cette décision a fait l'effet d'une bombe dans cette petite commune qui est le berceau de la famille Béghin. « Le site existe depuis 1821. Jusqu'en 2003, 400 personnes y travaillaient, rappelle Jean-François Lejeune, délégué syndical central FO. M. Duval nous a expliqué que nous avions un an pour remonter la pente, puis que l'atelier de conditionnement n'était plus rentable car les machines étaient trop vétustes. Elles ont été envoyées en République tchèque où le groupe possède des usines. Et, pour finir, les salariés ont eu droit à un plan social. »

Dans la Somme, fief des SDHF, le récent rapprochement avec Tereos ne manque pas non plus d'inquiéter les salariés. « Il suffit de regarder une carte pour se rendre compte que M. Duval va avoir tôt fait de fermer un ou plusieurs sites, même si, pour le moment, il nous assure du contraire, explique Régis Patte, secrétaire du comité d'entreprise et du CHSCT. Dans ces affaires de fusion, ce sont toujours les usines rachetées ou celles dont les capacités de production sont trop faibles qui ferment. »

Chez Cristal Union, les opérations de fusion et d'acquisition ont abouti au même scénario. Entre 2003 et 2004, le groupe a fermé trois sites. Après la sucrerie et la distillerie de Bray-sur-Seine, en Seine-et-Marne, celle d'Éclaron, en Haute-Marne, la coopérative n'a pas hésité à fermer l'usine de Châlons-en-Champagne, qui appartenait à Béghin-Say. « Nous n'avions pas le choix. BS n'avait pas investi pendant des années dans cette usine, justifie André Castelli, DRH de Cristal Union. Notre stratégie est désormais de nous implanter sur les terres les plus fertiles en y installant des usines dotées de capacités de production qui avoisinent les 20 000 tonnes de sucre par jour. Nous avons concentré nos investissements sur les sites d'Arcis-sur-Aube et de Bazancourt. »

L'entreprise en a profité au passage pour se débarrasser d'un bastion de la CGT. « La fermeture de Châlons a été très violente, souligne Pascal Pfluger, délégué central FO à Bazancourt. Le dialogue social y était totalement rompu. Sans le dire explicitement, les dirigeants n'avaient aucune intention de garder un site qui, à chaque ouverture de campagne, se mettait en grève pour exiger une prime. » Pour les délégués syndicaux, la prochaine fermeture sera probablement celle de l'atelier de conditionnement de Sermaize-les-Bains, dans la Marne, où une soixantaine de salariés travaillent encore. « Cristal Union investit beaucoup sur le site de Bazancourt qui abrite aussi un atelier de conditionnement. L'avenir de Sermaize nous semble incertain », avance Pascal Pfluger.

Départs en préretraite à taux plein, antenne mobilité, prime de reprise à l'emploi, indemnités de déménagement, aide au reclassement du conjoint : les deux coopératives mettent en œuvre des plans sociaux jugés exemplaires par les représentants des salariés. « Les antennes mobilité ne sont pas des coquilles vides, reconnaît Jean-Paul Garnier, délégué CFDT à la sucrerie d'Arcis-sur-Aube. Lorsque Cristal Union a fermé l'usine de Bray, 80 salariés étaient concernés. Aujourd'hui, seulement deux d'entre eux n'ont pas retrouvé d'emploi. Tous les autres ont été reclassés en interne ou en ont profité pour se lancer dans la création d'entreprise. »

À Thumeries, le groupe Tereos a également mis en place une antenne emploi animée par le cabinet Right Garon Bonvalot. « Elle restera ouverte jusqu'en 2007. Sur les 188 personnes concernées par le PSE, sept sont encore accompagnées, comptabilise Jean-François Lejeune. Nous avons négocié un PSE qui permet à chacun de trouver une solution de reclassement en interne, notamment pour les plus jeunes. » Éric, un ancien de Thumeries, en fait partie. Il a accepté de travailler à la sucrerie d'Origny. « J'ai pu visiter le site avec mon épouse avant d'opter pour le reclassement, explique-t-il. Les conditions de travail y sont plus difficiles qu'à Thumeries mais le salaire est plus élevé. J'ai deux heures de trajet par jour mais l'entreprise prend en charge mes frais de déplacement, ce qui représente 200 euros par mois pendant cinq ans. »

Pour les deux coopératives sucrières, l'autre façon d'anticiper la réforme du marché européen est de se diversifier dans la production d'éthanol. Le gouvernement a en effet décidé d'avancer à 2008 l'échéance à laquelle l'essence devra incorporer plus de 5 % d'alcool carburant au lieu de 1 % actuellement. Du coup, Cristal Union et le groupe Champagne Céréales viennent d'investir 200 millions d'euros pour financer le projet Cristanol. Les partenaires sont en train de construire une raffinerie dédiée à cette nouvelle activité à Bazancourt. Cristal Union vient aussi de racheter une entreprise de stockage près de marseille et de ses grandes raffineries de pétrole. « Dès 2007, nous produirons cet alcool carburant à partir des betteraves. Nous venons de recevoir l'agrément pour en fabriquer 80 000 tonnes par an », explique André Castelli.

Tereos, de son côté, a racheté l'ancienne cimenterie d'Origny-Sainte-Benoîte pour la convertir en unité de production d'éthanol. Mais le géant sucrier a surtout investi au Brésil où plus de 1 million de voitures roulent déjà au biocarburant.

Cette diversification de la filière sucre ne rassure en rien les salariés des entreprises qui ne croient pas à la création d'emplois autour de cette nouvelle activité. « Ces diversifications peuvent sauvegarder de l'emploi, mais pas en créer, analyse Jean-Jacques Cazaumayou, secrétaire fédéral FGTA-FO. Les petites sucreries sont toujours sur la sellette et d'autres fermetures d'usines vont avoir lieu. »

Chez Cristal Union comme chez Tereos, ces mutations à marche forcée déboussolent les salariés. « Depuis deux ans, nous n'arrêtons pas de fusionner. Nous sommes des ex-Béghin revendus aux SDHF par Tereos, qui aujourd'hui se rapprochent, résume avec ironie Henri Goussard, DSC CFDT aux SDHF. À chaque fusion, les accords d'entreprises sont dénoncés et nous devons renégocier. » Intéressement, participation, complémentaire santé… Tout reste à construire. « Nous avons commencé à le faire, assure André Castelli. Depuis la création du groupe, nous avons beaucoup travaillé sur la culture d'entreprise. Les salariés issus de Béghin-Say ou des coopératives ont appris à travailler ensemble. Nous avons également créé un comité central d'établissement, qui n'existait pas. Aujourd'hui dans chaque établissement, les salariés ont un responsable RH pour interlocuteur. »

Pour les salariés de Bazancourt, Sillery et Arcis-sur-Aube, l'urgence est plutôt d'harmoniser les salaires. « C'est notre cheval de bataille. Quand les salariés de Châlons sont arrivés à Bazancourt, ils ont gardé salaires et avantages. À Arcis, les rémunérations de nos collègues sont 25 % supérieures à celles pratiquées sur les autres sites », assure Pascal Pfluger. Une harmonisation qui n'est pas à l'ordre du jour chez les deux concurrents. Sans doute parce que les restructurations ne sont pas achevées. Dans certaines sucreries, on évoque même un rapprochement entre Tereos et Cristal Union.

Tereos

Chiffre d'affaires : 1,7 million d'euros

Sites en France : 12

Salariés : 2 000

Cristal Union

Chiffre d'affaires : 1 milliard d'euros

Sites en France : 6

Salariés : 1 155

Erstein dope la formation

Petite sucrerie indépendante fondée en 1893 en Alsace, Erstein entend bien le rester en dépit des dégâts provoqués par la réforme du règlement sucrier. « Avec la baisse des prix de 36 %, nous devons par tous les moyens améliorer notre productivité », explique André Jacob, le DRH. Pour absorber le choc, Erstein a parié sur le développement des compétences de ses 200 salariés. Baptisé Dicos (développement individuel par les compétences et le savoir), le dispositif mis en place depuis deux ans repose sur le volontariat. Soixante-dix salariés y participent dont une quarantaine d'ouvriers. Un succès pour le DRH qui espérait rallier 30 % des salariés et en aura convaincu près de 50 % d'ici à la fin 2006. « Nous avons commencé par définir les besoins de chacun à travers des entretiens et des tests de connaissances générales. Ensuite, chaque salarié s'est vu proposer un parcours de formation individualisé », explique le DRH.

Les volontaires disposent de cent vingt heures de formation au français, aux mathématiques, à la bureautique… Ceux qui le demandaient ont également pu effectuer un bilan de compétences. Coût de l'opération : 200 000 euros, dont la moitié est prise en charge par le fonds d'aide à la formation de la branche.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy