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Politique sociale

Les préfets VRP de l'emploi

Politique sociale | publié le : 01.02.2006 | Frédéric Rey

S'ils doivent d'abord veiller sur la sécurité des citoyens, ces représentants de l'Etat sont aussi en première ligne dans la lutte contre le chômage. Fait nouveau, sur les contrats aidés, au cœur du plan de cohésion sociale, ils ont des comptes à rendre, objectifs chiffrés et reportings à l'appui…

C'est un exercice obligé. Toutes les semaines, les nouveaux contrats sont comptabilisés et comparés avec les chiffres prévisionnels. Une vraie séance de reporting ! Mais, autour de la table, pas de P-DG ni de directeur financier. Cette réunion hebdomadaire se tient sous les ors de la République, dans chaque préfecture. Aux côtés du préfet, le directeur départemental du travail, le responsable de l'ANPE, le directeur des affaires sanitaires et sociales, le représentant du conseil général analysent les résultats et fourbissent leurs arguments. Et, Rue de Grenelle, Jean-François Carenco, directeur de cabinet de Jean-Louis Borloo, examine de très près ces tableaux de bord. « Tous les mois, ils doivent me rendre compte des résultats obtenus », souligne cet ancien préfet à poigne.

Ce n'est pas la première fois que les serviteurs de l'État se retrouvent en première ligne dans la bataille contre le chômage. En son temps, Lionel Jospin leur avait demandé de booster les emplois jeunes et de faire la promotion des 35 heures auprès des chefs d'entreprise. Si la réduction du temps de travail n'est plus au goût du jour, le gouvernement Villepin a renoué avec les contrats aidés, qui constituent un des piliers du plan de cohésion sociale lancé en 2004 par Jean-Louis Borloo. « Pour la première fois, les préfets ont une feuille de route bien précise qu'ils doivent respecter », affirme Jean-François Carenco. Les objectifs nationaux ont été déclinés dans chaque région, puis à l'échelle départementale. Avec un taux de chômage à 12 % et près de 100 000 RMIstes, le préfet du Nord-Pas-de-Calais, Jean Aribaud, veut tendre chaque année vers 53 000 emplois aidés dans le secteur non marchand.

Régulièrement, Jean-François Carenco envoie aux représentants de l'État un récapitulatif global et les chiffres atteints département par département. Les préfets ont ainsi tout loisir de comparer leurs scores. « Tous les jours, poursuit le directeur de cabinet, j'en appelle quelques-uns au téléphone et, chaque trimestre, nous réunissons les 22 préfets de région au ministère en présence de Jean-Louis pour faire un point. Il paraît que je terrorise les jeunes préfets, mais c'est absurde, je ne fais que manager ! » Ceux qui sont en retard sur leurs objectifs ont intérêt à avoir des arguments : « Je n'hésite pas à décrocher mon téléphone pour passer un savon à un directeur du travail dont les résultats ne sont pas bons. Certains s'en souviennent encore… »

En ce début d'année, les services publics de l'emploi sont appelés à intensifier leur mobilisation. Le bilan de 2005 est plutôt mitigé. L'objectif national de 210 000 contrats aidés non marchands a été rempli à hauteur de 71,5 %. Plus décevant, le taux de réalisation des contrats d'avenir, destinés aux RMIstes, est seulement de 23 %. Localement, les préfets sont priés d'amplifier le mouvement. « Directeurs d'hôpital, d'office HLM, responsables associatifs, inspecteurs d'académie… nous mobilisons tous les services de l'État ou les organismes parapublics qui peuvent contribuer à la création d'emplois, explique Jean-François Cordet, préfet de Seine-Saint-Denis, nous avons même contacté les comités d'entreprise. » En Bretagne, la préfète Bernadette Malgorne, qui a quadrillé sa région en 21 pays en demandant autant de plans locaux pour l'emploi, maintient un contact permanent avec les représentants locaux des différents organismes. « On fonctionne beaucoup avec la messagerie électronique, assure-t-elle, et nous organisons souvent des réunions par visioconférence. »

Le préfet de Rhône-Alpes, Jean-Pierre Lacroix, adepte du benchmarking, compare les résultats d'un département à l'autre. « Dans l'Ain, nous avons eu des résultats bien meilleurs que dans le Rhône. Il faut en tirer les enseignements et diffuser les bonnes pratiques », explique-t-il.

Outre le plan de cohésion sociale, les préfets sont incités par le gouvernement à créer les conditions maximales pour doper la création d'activités et soutenir les chefs d'entreprise. « J'essaie de les connaître personnellement, précise Rémi Caron, préfet de la Haute-Savoie. Je leur explique que mon rôle est de leur faciliter la tâche, notamment au regard d'une réglementation souvent complexe. » Pour aider l'implantation de la société Quechua près de Sallanches, ce haut fonctionnaire est directement intervenu sur le plan d'occupation des sols.

À Yssingeaux, en Haute-Loire, le sous-préfet a créé un centre d'appels où les entreprises en difficulté peuvent se manifester. En Haute-Savoie, les services préfectoraux observent de près les effets de la mondialisation sur le tissu industriel de la vallée de l'Arve, fief de la métallurgie savoyarde. « Depuis quelques années, explique Rémi Caron, ces entreprises familiales sont rachetées par des capitaux étrangers. D'autres mettent la clé sous la porte. L'emploi industriel recule. Nous avons donc amorcé une réflexion avec les acteurs syndicaux, patronaux, la Banque de France, la trésorerie générale, ainsi qu'avec les élus. La Haute-Savoie a toujours été sûre d'elle, il faut aujourd'hui être vigilant. » D'autant plus qu'en décembre une mauvaise nouvelle est tombée : le fabricant de skis Salomon a annoncé la suppression de 378 emplois. Un dossier suivi de très près par le préfet qui doit approuver le plan de sauvegarde de l'emploi. « Nous allons imposer à Salomon une action dynamique qui se traduira par des moyens supplémentaires », affirme Rémi Caron. En Bretagne, ce sont les conséquences de la réforme de la PAC sur la filière agroalimentaire qui inquiètent Bernadette Malgorne. « Nous sommes en état de veille permanente sur l'évolution du secteur, souligne la préfète ; régulièrement nous passons en revue les risques de restructuration. » Et Mme Malgorne n'hésite pas à intervenir, comme pour cette laiterie de Fougères en liquidation judiciaire. « Nous nous sommes rapidement emparés de ce dossier, ce qui a permis de trouver un repreneur. »

Il incombe aussi aux préfets de traquer les discriminations à l'embauche. « Dans le Rhône, nous avons, en 2004, expérimenté le CV anonyme avec l'ANPE et organisé des speed networkings, qui permettent un contact direct entre candidats et recruteurs », indique Pascal Otheguy, sous-préfet. « Certains jeunes ont réussi à décrocher des rendez-vous alors qu'ils n'auraient certainement jamais été reçus autrement », assure Jean-Pierre Lacroix, préfet de la région Rhône-Alpes, initialement sceptique. En Seine-Saint-Denis, Jean-François Cordet en a fait son cheval de bataille. « Je plaide auprès des chefs d'entreprise pour une meilleure intégration des personnes issues de l'immigration afin de restituer un sentiment de confiance chez les jeunes. » Après le meurtre, à l'été 2005, d'un jeune de 11 ans à La Courneuve et la vague de violence qui s'est ensuivie, la préfecture a piloté un dispositif d'insertion individualisé des jeunes de la cité des 4 000 dans les entreprises avoisinantes. « Il fallait faire émerger une synergie entre les acteurs de la cohésion sociale, de l'éducation et de l'emploi », souligne Jean-François Cordet.

Mais c'est aussi à La Courneuve que Nicolas Sarkozy, en visite après ce tragique événement, avait appelé à « nettoyer la cité ». Un groupement local de traitement de la délinquance a été mis sur pied. Et la préfecture affiche une baisse de 37 % de la délinquance. Car, si la cohésion sociale est une de leurs priorités, les préfets restent aussi évalués sur leurs résultats en matière de sécurité.

Un pouvoir de réquisition en cas de menace

Les préfets sont très attentifs aux mouvements sociaux dans leurs départements. Ils disposent de prérogatives importantes en la matière, notamment celle de réquisitionner les grévistes en les obligeant à reprendre le travail. Il faut pour cela qu'une menace soit exercée sur une partie du territoire, un secteur de la vie nationale ou une fraction de la population. Ainsi, pour prévenir le risque terroriste, Jean-François Cordet, préfet de Seine-Saint-Denis, a ordonné aux salariés de Connecting Bag Services, en grève pour une amélioration de leurs conditions de travail à l'automne 2005, de retourner s'occuper des bagages.

Dans le secteur médical, le motif invoqué est celui de la santé publique et de la permanence des soins.

En Isère, par exemple, les médecins libéraux travaillant pour le centre 15 revendiquent une amélioration de leur rémunération pour les nuits et les dimanches et font la grève des permanences. « La police vient jusque dans nos cabinets pour nous notifier l'ordre de réquisition, explique le docteur Enrione-Thorrand, responsable de l'association des médecins régulateurs libéraux de l'Isère. Le seul moyen d'échapper à cet enrôlement de force, c'est d'être absent au moment où la police débarque. » Les salariés de la RTM à Marseille ont eu plus de chance. Le maire de la cité phocéenne a eu beau demander la réquisition des traminots grévistes, Christian Frémont, le préfet des Bouches-du-Rhône, n'a pas utilisé l'arme fatale, optant pour la voie du dialogue en nommant un médiateur.

Auteur

  • Frédéric Rey