Paradoxalement, le titre du livre de Gérard Mermet est à la fois une menace et un souhait. Si la préférence des Français pour le statu quo se confirme dans les prochaines années, avertit le sociologue spécialiste des sondages, nous ne sommes pas à l'abri d'une révolution « dure », opposant ceux que l'auteur appelle les Mutants (les modernistes) et les Mutins (les rebelles). Car c'est bien d'une profonde remise en question de « nos » modèles que le pays a aujourd'hui un urgent besoin, comme l'ouvrage s'attache à le montrer. Souvent avec perspicacité, plus rarement avec la volonté d'aller au fond des choses.

Il faut dire que le diagnostic de l'auteur embrasse large. Il dépeint une France frappée d'anomie sociale et économique. Une société dominée par la tyrannie de l'émotion, où le « résonnement » médiatique l'emporte sur le raisonnement. Un système démocratique déformé, dont la mission « n'est pas de donner de la société une représentation exacte mais d'intéresser le public, de le faire venir et de le retenir ». Un corps social ébranlé par une accumulation de bouleversements liés à la crise économique et à la mondialisation, qui ne croit plus à l'inéluctabilité du progrès. Une identité nationale bâtie sur des modèles inadaptés aux nouveaux défis sociaux ou économiques. Le désir d'uniformité constitue une denos plus vivaces exceptions nationales, et un des freins les plus puissants aux évolutions nécessaires. Démonstration fondée sur un démontage assez juste des dysfonctionnements croissants des quatre « S » constitutifs du modèle français : social, scolaire, sanitaire et sécuritaire.

L'image est frappante : un Français qui se serait endormi vers le milieu des années 70, note Mermet, serait surpris de découvrir, en se réveillant, le TGV, le téléphone portable, Internet, les lecteurs MP3, les navigateurs par satellite, l'écran plasma et autres outils technologiques qui ont révolutionné la vie quotidienne. À l'inverse, « son étonnement serait beaucoup moins grand lorsqu'il prendrait connaissance des sujets de débat de ses compatriotes » : chômage, prélèvements sociaux et déficits publics, service minimum, simplification administrative, mais aussi acteurs de la vie politique inchangés et système de relations sociales figé… Le livre de Gérard Mermet rend bien compte de l'ampleur du problème posé par ce décalage. Il reste, comme beaucoup d'autres, un peu démuni quand il s'agit de dégager les moyens d'y remédier.