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Des boîtes qui fourmillent d'idées

Dossier | publié le : 01.02.2006 | S. D.

Accords d'entreprise, partenariats avec le monde associatif, nomination de Monsieurs Diversité… à chaque entreprise ses propres méthodes pour lutter contre les discriminations.

SERVIA, UNE PME AUX COULEURS DE LA FRANCE

Le délit de faciès, Sitou Gayibor l'a souvent ressenti. Directeur général de Servia Informatique, une SSII qui emploie 32 salariés à Villeneuve-d'Ascq et Amiens, ce Togolais qui a quitté son pays natal en 1983 pour poursuivre ses études dans l'Hexagone a effectué un véritable parcours du combattant pour entrer dans la vie active : « Plusieurs fois j'ai changé de prénom sur mon CV pour décrocher plus facilement un entretien. Mais, en découvrant que j'étais noir, le recruteur me répondait que le poste était pourvu. » Titulaire d'un DESS en gestion de projet, il a finalement réussi à forcer les portes de son entreprise actuelle en suivant un stage au Cesi. Recruté comme ingénieur commercial en 1988, il a conscience d'avoir eu à en faire « plus qu'un Français de souche » pour être reconnu. « Je réalisais 1,5 à 2,3 millions d'euros de chiffre d'affaires alors que le second commercial devait tourner à 0,6. »

À la tête de Seria depuis quatre ans, il milite pour une entreprise « aux couleurs de la France ». Récemment, la SSII a embauché deux ingénieurs d'origines pakistanaise et camerounaise. Il faut dire que c'est l'une des rares PME signataires de la charte pour la diversité lancée par l'Institut Montaigne. « Les PME ne peuvent pas se priver des talents issus des minorités », estime cet adhérent du Centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD). Si l'informatique est un secteur assez métissé, Sitou Gayibor a le sentiment que « la progression au sein d'une entreprise est moins rapide pour un Français d'origine immigrée.La fonction commerciale, notamment, lui est moins accessible. Alors, pour éviter que les candidats de couleur s'autocensurent, je stipule dans les offres d'emploi déposées à l'ANPE que je suis signataire de la charte Bébéar. Je sensibilise aussi mes collaborateurs au phénomène de rejet et aux différences culturelles ». En partenariat avec des associations comme Alliance ou la Fondation agir contre l'exclusion et des écoles d'ingénieurs, Servia Informatique accueille 3 ou 4 stagiaires par an, diplômés bac + 2 à bac + 4, issus des quartiers défavorisés ou de l'immigration. « Mais la diversité ne s'exerce pas seulement à travers l'origine : les jeunes, les seniors et les femmes sont aussi laissés-pour-compte », rappelle Sitou Gayibor.

CASINO ENQUÊTE SUR LES PATRONYMES

Si les Monsieurs Diversité surgissent dans l'organigramme de quelques grandes entreprises, Mansour Zoberi, sociologue de formation, est l'un des seuls directeurs de la « politique de la ville ».Nommé en 1997, il est rattaché à la DRH de Casino. Un poste qui symbolise l'engagement du groupe de distribution dans la revitalisation des quartiers en difficulté. Pour mesurer les éventuelles discriminations liées aux origines et au sexe et établir un plan d'action, Casino a mené une enquête patronymique auprès de 608 employés d'hypermarché, de supermarché et d'entrepôt. Cette expérience, rendue publique en juin 2005, a été lancée à l'initiative de la CFDT et de la CGT rhônalpines dans le cadre du projet européen Lucidité (Lutte contre l'ignorance et les discriminations dans le travail et l'entreprise).

Pour obtenir l'aval de la Cnil, le distributeur stéphanois a pris un luxe de précautions. « Nous avons opté pour un classement des patronymes en deux groupes d'employés d'origines européenne et extraeuropéenne afin de garantir l'anonymat des résultats », rappelle Mansour Zoberi. Un comité de recherche, constitué de la direction générale, des syndicats, de l'ANPE, de la délégation aux droits des femmes et du cabinet ISM Corum, s'est fixé un code de déontologie pour assurer le suivi de l'enquête dans les trois établissements.

Globalement, celle-ci dresse un bilan nuancé. Les progressions de carrière des salariés sont similaires, quelle que soit leur origine. En revanche, les personnes d'origine réelle ou supposée extraeuropéenne paraissent défavorisées dans l'accès à la première embauche et le maintien dans l'emploi au-delà du premier contrat. Dans l'hypermarché, « l'augmentation des embauches de salarié(e)s d'origine réelle ou supposée extraeuropéenne entre 2000 et 2003 s'est accompagnée d'une précarisation plus fréquente de ces personnes, puisqu'elles ont été recrutées principalement par intérim en 2003, alors que, dans le même temps, les personnes d'origine réelle ou supposée européenne étaient embauchées majoritairement en CDD ou en CDI »

Cette photographie a permis non seulement de renforcer la culture de lutte contre les discriminations, mais aussi d'aboutir en octobre dernier à un accord sur la promotion de l'égalité des chances. Casino s'engage ainsi à recruter des jeunes diplômés issus des « minorités visibles » et à accueillir près de 500 étudiants par an venant des zones urbaines sensibles dans le cadre du dispositif « Un stage pour tous » lancé par le ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances, Azouz Begag. Le groupe veut aussi généraliser la formation des cadres et des représentants du personnel à la lutte contre les discriminations. Un comité paritaire a été mis en place pour donner du corps à la diversité.

MESSIER-BUGATTI RECRUTE DANS LE 9.3

Messier-Bugatti est un véritable melting-pot. Implanté dans les anciens docks d'Aubervilliers, le spécialiste de l'aéronautique, cédé depuis peu au groupe Zodiac, emploie 126 salariés de sept nationalités différentes. Un métissage à l'image du département de Seine-Saint-Denis où cohabitent une multitude de Français venus d'ailleurs. « Nous essayons de recruter des employés le plus proche géographiquement », explique Pierre Beaujean, responsable des ressources humaines du site. L'entreprise s'est engagée auprès du Medef Nord francilien en novembre dernier, dans le cadre de l'opération « Nos quartiers ont des talents ». Un projet qui lui a permis de diversifier ses canaux de recrutement et de rencontrer de jeunes ingénieurs. L'occasion aussi pour Pierre Beaujean de prendre conscience de la richesse du département. « Nos métiers exigent des compétences très pointues, difficiles à trouver. Alors pourquoi ne pas profiter de ce formidable vivier, y recruter des jeunes et les former à nos métiers ? »

L'entreprise s'apprête d'ailleurs à embaucher deux jeunes ingénieurs résidant à proximité. « Si l'entreprise n'affiche pas de politique volontariste, aucun blocage ne freine l'embauche de salariés d'origine ou de nationalité étrangère, note Éric Delavaquerie, délégué syndical CGT. En revanche, plus on grimpe les échelons dans la hiérarchie, plus les visages blanchissent. À l'inverse, les postes les moins qualifiés et parfois sous-traités, comme la logistique, s'ethnicisent. » Mais la lutte contre les discriminations raciales ou ethniques n'est pas le seul combat qui mobilise les partenaires sociaux, dont l'autre priorité, dans ce domaine, est de promouvoir la place des femmes dans un univers industriel majoritairement masculin.

Auteur

  • S. D.