logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Actu

“Le discours dominant est de délégitimer les mouvements de grève”

Actu | Entretien | publié le : 01.02.2006 | Sandrine Foulon

Les journées d'action interprofessionnelles ne mobilisent plus. Aux syndicats de rebondir sur les grands thèmes de société, estime l'historien Stéphane Sirot.

Les derniers conflits ont montré une incapacité du secteur public à obtenir des résultats. Du côté du privé, la mobilisation ne prend pas. La grève vit-elle son chant du cygne ?

Depuis vingt, vingt-cinq ans, on constate une érosion de la pratique gréviste. Surtout si l'on prend en considération le nombre de jours de grève. En revanche, il faut nuancer la tendance si l'on comptabilise le nombre de conflits. Plus localisés et plus courts, ils n'ont pas disparu. Et les revendications ont évolué. Alors que la grève en France aux XIXe et XXe siècles a essentiellement contribué à augmenter les salaires, les revendications sont désormais plus défensives et portent sur l'emploi, les PSE…

Comment expliquer que les journées interprofessionnelles ne fassent plus recette ?

Depuis trois ans, la crise a créé un capitalisme de particularité, une atomisation du salariat qui empêchent les syndicats de formuler des revendications globalisantes. Mais on ne peut pas affirmer que la grève n'apporte plus rien. Sur les derniers conflits, certes la SNCM et EDF n'ont pas empêché l'ouverture du capital, la SNCF n'a mobilisé que 22 % de ses troupes en novembre, mais tous ont obtenu quelques concessions. Les syndicats freinent des évolutions plus qu'ils ne les empêchent.

Pourquoi la mobilisation ne suit-elle plus ?

Le système de relations sociales français s'est toujours appuyé sur le fait que chacun tenait son rôle. Les syndicats mobilisaient, les pouvoirs publics négociaient. Or, depuis trois ans, ce jeu de rôle ne fonctionne plus. Les organisations syndicales se heurtent à une fin de non-recevoir de l'État. Sur la RTM, par exemple, certes la CGT est l'héritière d'un contexte marseillais radical, mais les pouvoirs publics, à commencer par Jean-Claude Gaudin, ont tout fait pour que la négociation échoue, appelant à la réquisition en pleine médiation.

Ces conflits ont aussi montré une rupture avec l'opinion publique

Pour qu'un conflit trouve une issue favorable, il faut gagner la bataille de l'opinion. Or les médias, dans leur grande majorité, s'inscrivent de plus en plus dans la sphère du pouvoir plutôt que dans celle du contre-pouvoir. On l'a mesuré avec le référendum sur la Constitution européenne. Le discours dominant est de délégitimer la grève. On la traite par les problèmes rencontrés par l'usager, on emploie des mots forts comme « prise d'otages », défense des « acquis » et des « privilèges ». Jusqu'au terme « réforme », idéologiquement important. La droite s'en est emparée alors qu'historiquement c'est une notion marquée à gauche qui jouit d'un certain capital de sympathie. À tel point que le PS s'est senti obligé de revendiquer « un réformisme de gauche » et que les syndicats, la CGT, FO, SUD…, sont taxés d'« immobilisme ». Ils sont les empêcheurs de réformer comme il faudrait. C'est aussi une rhétorique efficace de toujours annuler une revendication en lui opposant une situation plus difficile : vous vous battez pour vos retraites mais il y a des précaires, des RMIstes… Mais on ne peut pas reprocher aux syndicats de jouer leur rôle naturel et de vouloir défendre les droits des salariés, les services publics, même si beaucoup d'entre eux ont capitulé, intériorisant le fait qu'ils ne pourront pas arrêter la lame de fond.

Est-ce la fin de la grève par procuration ?

En 1995, les syndicats ont réussi à faire passer le message que la défense des régimes spéciaux de retraite des services publics mettait en cause des enjeux plus globaux, comme la protection sociale de l'ensemble des salariés. Ils n'y parviennent plus. S'ils veulent mobiliser, ils vont devoir réfléchir aux grandes questions de société. La CFDT a eu l'avantage car elle s'est appuyée sur la sphère intellectuelle de gauche. La CGT a fait des progrès et planche sur la sécurité sociale professionnelle.

La CGT est-elle fragilisée par ses échecs à la SNCF, à EDF ou à la RTM ?

Le prochain congrès de la CGT, en avril, ne sera pas décisif. Bernard Thibault est protégé par le réflexe légaliste de la centrale. Après une année chargée en interne et en externe, la CGT a besoin d'une pause. Et les questions qui fâchent seront remises à plus tard, notamment le rapport du syndical au politique. Le syndicat doit-il se cantonner au champ social ou se prolonger plus largement vers les problèmes de société – la construction européenne, le partage des richesses…–, ce qui suppose une forme d'engagement politique ? Pour l'heure, la CGT n'est pas en mesure de se positionner clairement sur ce sujet.

STÉPHANE SIROT

Professeur d'histoire du XXe siècle à l'université de Cergy-Pontoise, spécialiste des mouvements sociaux et du syndicalisme.

NAISSANCE

Le 29 avril 1966 à Paris.

BIBLIOGRAPHIE

La Grève en France : une histoire sociale (XIX-XXe siècles). Éditions Odile Jacob, 2002.

Maurice Thorez, Presses de Sciences po, 2000.

Histoire sociale de l'Europe.

Industrialisation et société en Europe occidentale. Éditions Seli Arslan, 1998.

Auteur

  • Sandrine Foulon