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Vie des entreprises

GPEC, GPSE ou GPCE ?

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.01.2006 | Jean-Emmanuel Ray

Un an après l'adoption de la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 qui a modifié pour la troisième fois en trois ans le droit du licenciement économique, coup de projecteur sur son article L. 320-2 du Code du travail instituant une obligation triennale de négocier des accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).

Les entreprises doivent s'efforcer de faire des prévisions de façon à établir les bases d'une politique de l'emploi. Lors qu'elles entreprennent des opérations de fusion, de concentration, elles doivent intégrer les incidences prévisibles en ce qui concerne l'emploi, notamment par un effort de formation facilitant les mutations internes. » L'accord interprofessionnel du 10 février 1969 montre que la GPEC n'est pas née avec la loi de janvier 2005, et la plupart des entreprises l'avaient pratiquée jusque dans les années 90. Qu'il s'agisse des attributions du CE ou de la négociation collective annuelle obligatoire, les articles du Code en ce sens s'étaient d'ailleurs multipliés depuis 1982. Mais, avec les restructurations, puis Framatome-Majorette, la GPEC s'est rapprochée d'une GPSE (gestion du futur plan de sauvegarde de l'emploi), dans une optique de saine GPCE (gestion prudente de la communication externe) dans notre société de la réputation. Car la GPEC tire son prestige du mystère qui l'entoure : elle est une auberge espagnole où le menu peut être très varié, plus ou moins consistant, et parfois survendu.

« GPEC et prévention des conséquences des mutations économiques »: qui peut être en désaccord avec le sous-titre de la loi du 18 janvier 2005 ? Vouloir anticiper des restructurations devenues permanentes ? Maintenir, sinon développer l'employabilité interne et donc externe en remontant le plus en amont possible dans le temps (d'où le rythme triennal), si possible à froid ?

Oui mais… Mais pour anticiper, il faut pouvoir se représenter l'avenir de façon un tant soit peu partagée. Mais prévoir exige de prendre de la hauteur pour voir loin, en ces temps de culte de l'urgence. Et la GPEC devient fusil à un coup si elle est remise en cause deux mois plus tard, même par une opération qui peut dépasser son décideur (OPE hostile, virage stratégique du siège à l'étranger).

1° POURQUOI SÉPARER MOBILITÉ (GPEC) ET RECLASSEMENT (PSE) ?

Liaisons dangereuses entre GPEC et PSE : si l'article L. 320-2 évoque in fine la possibilité de négocier en même temps le cadre d'un PSE futur, en termes de procédures, le pari est risqué sur le plan juridique, au-delà d'une éventuelle annulation judiciaire globale frappant donc l'ensemble.

D'abord car ce rapprochement risque de torpiller la GPEC, les salariés attendant souvent de connaître les conditions financières du PSE pour y entrer ou non.

Pour le salarié devant déménager de Lorient à Nancy, les contraintes sont les mêmes. Mais, pour l'entreprise, les procédures collectives (livres III et IV du Code du travail) et individuelles sont totalement différentes selon qu'il s'agit de mobilité-GPEC ou de reclassement-GPSE.

Avec son acceptation tacite dans un délai d'un mois, l'article L. 321-1-2 constitue une exception au principe « qui ne dit mot ne consent pas ». Exception peu appréciée par la chambre sociale puis par la loi de modernisations sociale de 2002 qui ont écarté son application s'agissant de l'obligation de reclassement. Or cette proposition par lettre recommandée avec AR est impérative pour toute modification ayant un motif économique, ce qui est souvent le cas d'une mobilité prévue par un accord de GPEC : « L'employeur qui n'a pas respecté ces formalités ne peut se prévaloir ni d'un refus ni d'une acceptation de la modification par le salarié. » (Cass. soc., 25 janvier 2005.) Ce délai d'un mois constitue par ailleurs « une période de réflexion destinée à permettre au salarié de prendre parti sur cette proposition en mesurant les conséquences de son choix. Son inobservation par l'employeur prive de cause réelle et sérieuse le licenciement fondé sur le refus du salarié » (Cass. soc., 10 décembre 2003). Bref, s'agissant de GPEC, il ne faut tirer aucune conséquence d'une trop rapide prise de position, l'intéressé bénéficiant d'un droit de repentir jusqu'au trentième jour.

« Le salarié menacé de licenciement économique est en droit de refuser les mesures de reclassement qui lui sont proposées par l'employeur »: le curieux arrêt du 29 janvier 2003 n'a pas précisé s'il visait une modification (le droit au refus est alors une évidence) ou un simple changement des conditions de travail. Entre mobilité-GPEC, où cette summa divisio fonctionne, et reclassement-PSE, où le salarié pourrait alors refuser d'aller travailler dans le même secteur géographique, la situation est, là encore, différente.

Quel reclassement offrir au collaborateur maintenant en voie de licenciement après avoir refusé de rejoindre Vesoul dans le cadre d'une GPEC ? Peut-on sérieusement lui reproposer Vesoul si le poste est encore vacant ? Doit-on le faire ? « La proposition de modification du contrat de travail, que le salarié peut refuser, ne dispense pas l'employeur de son obligation de reclassement »: l'arrêt du 20 avril 2005 a censuré de courtois juges du fond ayant estimé que l'employeur qui avait déjà proposé au salarié une mutation pouvait ensuite le licencier sans rechercher d'autres solutions de reclassement : mais la même ? Comme l'a enfin rappelé la chambre sociale le 12 octobre 2004, « le licenciement consécutif au refus d'un salarié d'accepter une modification de son contrat de travail a une nature économique lorsque cette modification a un motif économique, peu important les motifs du refus du salarié ». Reste la vieille question de la mise en œuvre collective pour motif économique de clauses de mobilité dans le cadre d'une GPEC, suivie de refus : a priori fautifs.

Mais accords collectifs de GPEC et de GPSE posent aussi des questions communes.

2° GPEC, GPSE ET DROIT DE LA MODIFICATION

Un accord de GPEC et/ou de GPSE majoritaire, voire unanime, peut-il s'imposer aux contrats individuels ? En contrepartie des avantages matériels ou financiers consentis par l'entreprise, une stipulation conventionnelle peut-elle transformer une modification en simple changement des conditions de travail ? Proche du terrain, sinon des futurs chômeurs, une cour d'appel avait décidé que « même si elle affecte un élément essentiel du contrat de travail, la nouvelle répartition de l'horaire résultant de la réduction du temps de travail opérée par voie d'accord collectif s'impose cependant au salarié dès lors que le maintien du repos un samedi sur trois reviendrait à remettre en cause la nouvelle organisation négociée et plus favorable du temps de travail ». Fidèle à sa jurisprudence constante, la chambre sociale casse le 12 juillet 2005 en ramenant le débat à l'article 1134 : « Le contrat de travail mentionnant expressément que Mme X disposait d'un samedi de repos sur trois, la fixation d'un repos un samedi sur six constituait une modification du contrat de travail qu'elle pouvait refuser. » Elle, c'est elle ; lui, c'est lui.

Clauses de mobilité. N'ayant pu – voulu ? – censurer les clauses de mobilité sur la base de L. 120-2 ou en raison de leur variabilité unilatérale, la chambre sociale en a depuis deux ans grandement limité la portée. Deux exemples :

a) Si les arrêts du 23 février 2003 ont légitimement rappelé la présomption de bonne foi (l'employeur la mettant en œuvre ne peut être présumé fautif, a fortiori en cas d'accord), tous les deux ont condamné l'entreprise pour manquement à cette fameuse loyauté.

b) « M. B. faisant valoir que l'importance de la division de Troyes était sans commune mesure avec celle dans laquelle il était muté, du point de vue tant du chiffre d'affaires que du nombre de contrats et des effectifs, sa mutation impliquait nécessairement la modification de sa rémunération qu'il était donc en droit de refuser. » L'arrêt du 18 mai 2005 a multiplié les hypothèses de refus légitime si l'entreprise ne peut garantir la neutralité salariale d'une telle mobilité.

Accord de groupe et mobilité au sein du groupe, enfin : « Le transfert du salarié d'une société à une autre constitue une modification du contrat de travail qui ne peut intervenir sans son accord, peu important que ces sociétés aient à leur tête le même dirigeant. » L'arrêt du 5 mai 2004 a dû rappeler que, en dehors de l'article L. 122-12, le changement de partenaire constitue, en droit du travail comme en droit du mariage, une modification ne pouvant qu'être proposée : à moins que la personne morale contractante initiale ne soit le groupe.

3° UNE ISSUE DE SECOURS : LE VOLONTARIAT ?

À la demande de syndicats dûment chapitrés par leur base, nombre d'accords font appel au volontariat, qui permet de contourner juridiquement, socialement et habilement beaucoup de ces difficiles questions, et même au-delà. Toutes ? L'arrêt du 8 novembre 2005 en rappelle la triple condition : « Constitue une résiliation amiable la rupture d'un contrat de travail pour motif économique résultant d'un départ volontaire, dans le cadre d'un accord collectif, mis en œuvre après consultation du comité d'entreprise. »

Il va de soi qu'en termes de GRH – ici l'essentiel, car on ne signe pas un accord seulement pour respecter l'article L. 320-2 – une telle résiliation amiable ne peut constituer une issue miracle : outre la délicate question des représentants du personnel, une GPSE constitue une belle aubaine pour les hauts potentiels ayant parfois déjà signé ailleurs, et un guichet ouvert à tous peut conduire à la saignée. D'où une sélection nécessaire, prévue dans l'accord, et très inhérente à la personne. Mais « le fait de licencier pour motif économique des salariés s'étant opposés à une modification de leur contrat après leur avoir refusé le bénéfice d'une mesure de départ volontaire prévue dans le plan social ne suffit pas à caractériser un manquement à la bonne foi de la part de l'employeur » (Cass. soc., 9 novembre 2005).

Si l'on en croit la passionnante enquête du Plan et de la Dares de décembre 2005 sur l'évolution des emplois à l'horizon 2015, il est urgent que l'État et les partenaires sociaux construisent une GPEC : sans doute mythe nécessaire dans les entreprises en difficulté, la gestion prévisionnelle des emplois reste une ardente obligation à l'échelle nationale.

FLASH
Faut-il négocier un accord de GPEC ?

Si l'absence d'accord n'est évidemment pas fautive (il s'agit d'une obligation de négocier, pas de signer), l'absence de toute négociation loyale dans les délais est fautive. Mais quelles en seraient les sanctions ?

Si le défaut de négociation collective annuelle obligatoire est sanctionné par un délit d'entrave au droit syndical (C. trav., art. L. 153-2), aucune sanction pénale n'a été prévue s'agissant de l'obligation triennale créée par l'article L. 320-2, et les règles strictes du droit pénal ne permettent pas d'étendre cette incrimination.

Mais, sur le plan civil, un TGI saisi par un syndicat pourrait voir dans cette passivité une faute, voire un trouble manifestement illicite permettant d'ordonner en référé la convocation.

La véritable sanction viendra plus probablement des conseils de prud'hommes, saisis quelque temps après par un salarié licencié invoquant d'évidentes possibilités de mobilité au sein de l'entreprise ou du groupe quand il était encore temps de sauver son poste (cf. tirage papier de l'intranet mobilité RH de l'époque) : au minimum, perte d'une chance, sans doute défaut de cause réelle et sérieuse si l'on se remémore la très contraignante politique de la chambre sociale en ce qui concerne le reclassement, qui doit prioritairement être évidemment interne.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray