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Politique sociale

La pseudo-réforme des régimes spéciaux de retraite

Politique sociale | publié le : 01.01.2006 | Valérie Devillechabrolle

Les agents d'EDF, de GDF ou de la RATP ont été sciemment épargnés par la réforme des retraites. Pour équilibrer ces régimes particuliers, on fait souvent appel à la générosité du… contribuable.

En ce vendredi après-midi de novembre, Josette Théophile, la DRH de la RATP, peut jubiler. Dix ans après la vaine tentative d'Alain Juppé de réformer les régimes dits spéciaux de retraite déclenchant trois semaines de blocage total dans les transports publics, la réforme du financement du régime de la RATP vient en effet de passer comme une lettre à la poste au conseil d'administration : « Sur huit organisations syndicales, nous avons obtenu le vote favorable de six d'entre elles, représentant plus de 52 % des voix », se félicite Josette Théophile. Et pour cause ! La nouvelle Caisse de retraite autonome de la RATP, créée au 1er janvier et adossée au régime général et aux caisses complémentaires obligatoires (Agirc-Arrco), garantit l'intégralité des droits passés et futurs aux 44 000 agents, « dans la limite de 45 000 emplois statutaires », moyennant le paiement d'une soulte de 700 millions d'euros par l'État. « Le gouvernement a considéré que, ne disposant pas de la maîtrise de nos tarifs, nous n'avions pas la possibilité de répercuter sur nos clients le coût de nos retraites », justifie Josette Théophile. Reste à savoir si le prix payé par les contribuables pour garantir la paix sociale dans le métro et le RER sera du goût de la Commission de Bruxelles…

Si la RATP a, tout comme EDF, GDF et les autres industries électriques et gazières (IEG) un an plus tôt, bénéficié d'un traitement de faveur, elle est loin d'être la seule à se préoccuper de consolider l'équilibre financier de son régime de retraite, malmené par l'allongement de la durée de la vie et les départs massifs des baby-boomers. Outre la RATP, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP) et la Banque de France bouclent la réforme de leur propre régime. A La Poste, les grandes manœuvres autour du financement des pensions des 200 000 fonctionnaires de la maison ont commencé, comme en témoigne la contribution de 2 milliards d'euros imposée à La Poste par Bercy au titre de la future réforme de son régime. Épinglé cet automne par la Cour des comptes, le régime des exploitants agricoles cherche par tous les moyens à combler un trou de plus de 3 milliards d'euros qui résulte de la disparition de divers produits de taxes et de subventions agricoles. Et, comme si tous ces chantiers ne suffisaient pas, le gouvernement aurait bien voulu réduire le rendement de deux régimes complémentaires jugés trop généreux : l'Ircantec, qui concerne les agents contractuels des administrations et des hôpitaux, et celui dit des « allocations supplémentaires de vieillesse », dont bénéficient certaines professions médicales (voir encadré page 32).

Deux ans après la loi Fillon qui s'était attaquée aux pensions des fonctionnaires, la vague réformatrice est donc loin d'être retombée. « La mécanique est enclenchée et ira à son terme, même si cela doit prendre dix ans », pronostique Alain Petitjean, secrétaire confédéral de la CFDT chargé des retraites. Toute la question est de savoir qui va supporter le coût de ces réformes, sachant que les affiliés de ces régimes bénéficient souvent d'avantages substantiellement supérieurs à ceux des salariés du privé, comme vient de le montrer l'étude publiée l'automne dernier par Jacques Bichot, professeur d'économie à l'université Lyon III.

En tout cas, les argentiers du régime général n'ont pas l'intention de régler la facture du rapprochement des régimes de la RATP et de la CCIP avec la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) et l'Agirc-Arrco. « Le montage financier ne doit pas pénaliser les salariés du privé », martèle Danièle Karniewicz, la présidente (CFE-CGC) de la Cnav, qui exige le respect du principe de neutralité financière, gravé dans le marbre de la loi. « Vu l'évolution prévisible de nos régimes, nous ne pouvons pas nous permettre de faire de cadeaux », renchérit Bernard Devy, vice-président (FO) de l'Arrco. Depuis l'adossement des industries électriques et gazières en 2004, les gestionnaires du régime général et complémentaire n'ont eu de cesse de durcir les règles d'accueil. Ainsi, l'intégration de la CCIP n'aurait été assujettie à aucune soulte en 2002, alors que la note s'est progressivement élevée à 8 millions d'euros après la réforme des IEG et maintenant à 28, voire 30 millions d'euros après celle de la RATP. La CCIP en a d'ailleurs appelé à l'arbitrage du ministère des Affaires sociales pour obtenir un rabais.

Désormais, les actuaires du régime général et complémentaire calculent le ticket d'entrée à partir d'« une pesée des droits sur vingt-cinq ans, actualisée en vertu du taux le plus faible possible pour nous prémunir contre tout risque de long terme », explique Jean-Charles Willard, directeur technique de l'Agirc-Arrco. À cela s'ajoutent un « abattement de précaution de 10 % » et une clause de revoyure à dix ans. Si, pour la CGT, « ces précautions bâties sur des hypothèses volontairement pessimistes tendent à accroître exagérément la charge supportée par les régimes intégrés », elles apparaissent amplement justifiées aux yeux de Jacques Bichot, qui note que « le régime général va devoir prendre à sa charge les conditions de la détérioration accélérée du ratio démographique de ces régimes sous l'effet des gains de productivité ». Mais « quelle est la fiabilité des perspectives d'effectifs de la RATP au vu de son projet d'automatisation ? » s'interroge Alain Petitjean, de la CFDT.

« Le régime général a ainsi l'assurance d'avoir un dispositif comprenant la ceinture, les bretelles et le parachute », estime Carole Couvert, la présidente (CFE-CGC) de la nouvelle Caisse nationale de retraite des IEG. Cela n'a toutefois pas empêché les avantages familiaux des électriciens et des gaziers de passer entre les mailles du filet : pris en charge par le Fonds de solidarité vieillesse, mais sans que leur montant soit intégré dans la soulte, ils coûtent aujourd'hui à la Cnav la bagatelle de 50 millions d'euros d'agios par an en raison des avances de trésorerie nécessaires.

La solidarité nationale ne joue pas uniquement dans les cas d'adossement de régimes particuliers. Ainsi, le régime des exploitants agricoles, qui bénéficiait déjà de plus de 4 milliards d'euros au titre de la compensation démographique, demande aujourd'hui une modification des règles de calcul afin d'augmenter son pécule. « Alors que les règles de compensation ne retiennent que le ratio des effectifs cotisants sur les bénéficiaires, il serait aussi nécessaire de prendre en compte les durées de carrière », avance Marie-Christine Chambe, directrice de la protection sociale à la Mutualité sociale agricole.

Aux yeux du président de la Cour des comptes, cet effort financier supplémentaire se justifierait si l'effort contributif des agriculteurs se situait « à parité » avec celui des cotisants des autres régimes. Or « ce n'est pas le cas », relevait cet automne Philippe Séguin, en observant que « de plus en plus d'agriculteurs choisissent de transformer leurs exploitations en sociétés, ce qui leur permet d'être exonérés d'une partie de leurs cotisations sociales ». Un manque à gagner estimé en 2000 à 16 % des recettes du régime.

De la même façon, l'association Sauvegarde Retraites, qui vient de publier une étude sur le sujet, juge « totalement illégitime de voir le très généreux régime spécial de la Banque de France s'inviter à la table de la compensation pour boucler impunément son budget », à hauteur de 4 millions d'euros en 2003, au motif que ce régime par capitalisation « ne devrait pas relever des mécanismes inhérents aux régimes par répartition ». Autant dire que les partenaires sociaux regarderont à la loupe le rapport visant à clarifier les règles de compensation que l'inspecteur général des affaires sociales, Jean-François Chadelat, vient de se voir confier…

Autre enseignement de ces réformes, les salariés des régimes concernés sont loin de fournir les mêmes efforts que leurs homologues du privé pour consolider leur régime de retraite. C'est le cas des agents des entreprises publiques, EDF, Gaz de France et RATP en tête. Si leur taux de cotisation a été aligné sur celui du privé, ces relèvements ont jusqu'à présent été intégralement compensés par leur entreprise. Et, dans l'avenir, il ne sera pas facile de leur faire supporter d'autres modifications : « S'il n'y a pas de règle automatique de compensation, nous sommes tributaires de l'adoption d'un arrêté, pour l'ajustement des cotisations des employeurs, et d'un décret, pour celles des salariés », observe Régis Boigegrain, délégué général de l'Union française de l'électricité, le syndicat patronal des IEG.

À défaut d'être totalement épargnés, les agents de la Banque de France et ceux de la CCIP devraient également tirer leur épingle du jeu. Même si Patrick Macaire, du cabinet de la conseillère générale élue du personnel de la Banque de France, juge la réforme « choquante dans la mesure où elle tend à abolir un capital social remontant à 1808 », les salariés devraient continuer à bénéficier d'un mode de calcul favorable. Leur pension sera évaluée sur les six derniers mois de traitement contre les vingt-cinqmeilleures années dans le secteur privé. Quant aux compléments de retraite, qui aujourd'hui arrondissent les pensions des agents de l'ordre de 12 à 14 %, ils devraient se transformer en un véritable régime sur complémentaire de type Perco, au prix d'une perte de pouvoir d'achat évaluée à… 2,5 %.

De la même façon, les salariés de la CCIP, professeurs d'école supérieure en tête, devraient limiter la casse. La hausse de cotisation serait appliquée seulement aux futures recrues de la Chambre, tandis que le régime chapeau prenant en charge le différentiel des droits acquis devrait être réévalué en fonction de l'augmentation du point d'indice et qu'un troisième niveau de retraite par capitalisation serait, là aussi, créé afin de « compenser partiellement l'impact de la réforme pour les plus jeunes », précise Olivier de Cambry, représentant CFDT de la commission paritaire de surveillance du régime spécial de la CCIP. Reste maintenant à savoir si la CCIP, qui a déjà prévu de puiser 115 millions d'euros dans ses réserves et de faire des économies en restructurant ses sièges administratifs, aura les moyens de tenir ses engagements.

En fait, l'essentiel des efforts demandés aux agents réside dans la suppression de certaines possibilités de départ anticipé très avantageuses. « C'est un point très conflictuel de la réforme et un changement radical de nos habitudes », reconnaît Olivier de Cambry. « À quinze jours près, certains vont pouvoir partir avec cinq années de bonification de retraite quand les autres devront attendre trois ans de plus pour s'arrêter. C'est révoltant », s'indigne Patrick Macaire, qui a soutenu la grève – massivement suivie – lancée à l'appel, le 1er décembre, de l'ensemble des syndicats de la Banque de France.

Au sein du gouvernement, on ne souhaite visiblement pas déclencher un conflit. À peine le ministère de la Fonction publique envisageait-il de diviser par deux, en quatre ans, le rendement du régime des contractuels de l'Ircantec que le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, faisait machine arrière en assurant les praticiens hospitaliers potentiellement concernés que cette réforme « ne se traduira pas par une baisse de 40 % sur leurs droits futurs ». « Nous ne souhaitons pas passer en force sur un sujet de cette nature », renchérit-on au cabinet de Christian Jacob, le ministre de la Fonction publique.

Reste que le train des réformes est lancé. N'en déplaise à Bernard Devy, le président FO de l'Arrco, qui, tout en regrettant cette « harmonisation par le bas », s'inquiète de voir ces enclaves protégées se transformer « en réserves d'Indiens ». Mais Alain Petitjean, le secrétaire national de la CFDT chargé des retraites, veut y discerner un aiguillon supplémentaire : « Le jour où la SNCF sera le dernier régime spécial non réformé, elle sera bien obligée d'y passer. » Mais, d'ici là, il faudra se montrer patient.

RATP
21,6 milliards d'euros d'engagements

L'État, qui versait à la RATP une contribution forfaitaire annuelle de 450 millions d'euros pour les retraites, ne va en payer que 180 au titre des droits spécifiques. La différence est comblée par 90 millions d'euros de cotisations supplémentaires et 180 millions d'euros versés par la Cnav. Côté Agirc-Arrco, la RATP a opté pour une reprise minimale des droits, moyennant le paiement de 150 millions d'euros de ticket d'entrée.

LA POSTE
70 milliards d'euros d'engagements

Jusqu'à présent, La Poste remboursait à l'État le coût des pensions versées à ses 200 000 fonctionnaires.

La nécessité de provisionner la totalité de ses engagements la contraint, elle aussi, à réformer son système d'ici à 2007. Toutefois, cette réforme ne devrait pas prendre l'aspect d'un adossement au régime général des salariés, car cela entraînerait une remise en cause du statut des fonctionnaires. Il faut aussi que la réforme soit « bruxello-compatible ».

MSA
3 milliards d'euros de déficit à combler

En 2005, les cotisations des agriculteurs n'ont rapporté que 849 millions d'euros et la compensation démographique 4,2 milliards, alors que les prestations à verser s'élevaient à 8 milliards d'euros. Pour combler un déficit de 3 milliards d'euros, en augmentation de 1,7 milliard d'euros par an, le régime, qui lorgnait sur la manne de la contribution sociale de solidarité des sociétés, vient de se voir in extremis attribuer une subvention de 2,5 milliards d'euros.

BANQUE DE FRANCE
9 milliards d'euros d'engagements

Jusqu'à présent, les retraites de la Banque de France n'étaient financées qu'à hauteur de 40 % par les intérêts d'emprunt de la caisse de retraite de la banque, dont les avoirs s'élèvent à 2,8 milliards d'euros.

Les 60 % restants provenaient d'une contribution de l'employeur.

EDF-GDF
90 milliards d'euros d'engagements de retraite à provisionner

Grâce à la réforme qui a entraîné la création d'une caisse de retraite adossée au régime général et complémentaire, les entreprises n'ont eu que 15 milliards d'euros à provisionner sur les 90 milliards qu'elles auraient dû passer dans leurs comptes du fait de la mise en œuvre des nouvelles normes comptables internationales. À droits constants, les retraites coûtent toujours aussi cher aux entreprises : 2,9 milliards d'euros en 2005, 4 milliards en 2020.

Questions à Yannick Moreau
présidente du Conseil d'orientation des retraites

La réforme des régimes spéciaux est-elle engagée ?

Si l'importance des réformes en cours n'est pas négligeable, leur contenu et leur impact sur les personnels sont très différents. On ne peut donc pas parler d'une réforme d'ensemble, mais d'évolutions significatives.

Les adossements de ces régimes sont-ils vraiment neutres pour le régime général ?

Ce dispositif se limite à la part de prestations identiques à celles versées par le régime général et complémentaire. Il ne s'étend donc pas aux avantages propres aux régimes spéciaux. La soulte versée par ces régimes spéciaux pour tenir compte de l'augmentation plus rapide de leurs retraités comparée à celle de leurs cotisants est en effet destinée à assurer la neutralité financière vis-à-vis du régime général.

Le Parlement va enfin pouvoir vérifier l'absence de charges indues grâce à des bilans réguliers.

Le maintien d'avantages spécifiques est-il durable ?

Ces régimes concernent un nombre limité de personnes faisant des métiers très divers, certains exerçant dans des conditions difficiles, à l'instar des marins ou des mineurs. D'autres régimes spéciaux s'expliquent historiquement par des missions de service public soumises à des sujétions particulières, comme le travail en continu dans les transports collectifs.

On n'y trouvera pas, donc, de trésor caché qui permettrait de résoudre le problème du financement des régimes de retraite par répartition.

Mais, à titre personnel, il me semble qu'on ne peut écarter l'idée qu'au moment du prochain rendez-vous fixé par la loi, en 2008, l'opinion publique pose des questions pour savoir si les différences d'âge de départ et de durée de cotisation entre les salariés sont réellement liées à la particularité des métiers. Il faudra raisonner entreprise par entreprise pour bien comprendre les situations réelles. Mais il n'y a pas de sujet tabou.

Professions médicales : la fuite en avant continue

Les retraites généreuses de certaines professions médicales sont dans le collimateur de la Cour des comptes et du Parlement. Car ces régimes, qui concernent entre autres les médecins, les chirurgiens-dentistes ou les pharmaciens, sont, selon Philippe Séguin, « en situation de banqueroute virtuelle », avec un déficit cumulé pouvant avoisiner les 25 milliards d'euros d'ici à 2030, selon le rapporteur du PLFSS 2006. Un déficit principalement à la charge des assurés de l'assurance maladie.

Destinés à compenser le blocage des honoraires décidé dans le cadre des conventions liant la Cnam et les médecins, ces régimes se sont progressivement transformés en jackpots. D'un côté, les cotisations sont calculées non pas en fonction des pensions à servir, mais sur la base des tarifs de remboursement des soins. De l'autre, les taux de rendement de ces régimes à prestations définies ont été progressivement relevés, grâce à la générosité des gouvernements passés, pour atteindre des taux exorbitants de 50 à 70 %, à comparer aux 12 et 7 % accordés respectivement par l'Agirc et l'Arrco. Si Gérard Maudrux, le président de la caisse de retraite des médecins, plaide en faveur de la fermeture de « ce régime malsain qui empoisonne les médecins, les caisses et les assurés », moyennant toutefois « le versement des droits acquis », le gouvernement fait le gros dos. Et la fuite en avant continue…

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle