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Politique sociale

Comment nos voisins luttent contre les discriminations raciales au travail

Politique sociale | publié le : 01.01.2006 | Isabelle Moreau

Avec 150 plaintes environ déposées pour des difficultés d'emploi liées à l'origine ethnique sur les quelque 900 enregistrées depuis sa création en mars 2005, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité montre, s'il le fallait, l'ampleur des problèmes lorsqu'on s'appelle Rachid ou Safiatou. Alors même que, poussée par l'Europe, la France dispose d'un arsenal législatif complet pour lutter contre les discriminations. Pour autant, la prise de conscience des entreprises fait son chemin. « Afin d'éviter les risques juridiques et d'image, mais aussi pour faire face au choc démographique, les entreprises ne peuvent pas se priver de ces compétences, explique Yves Desjacques, directeur général chargé des RH de VediorBis. Pour les clients, la diversité culturelle est essentielle. Mais c'est aussi un gage de créativité. Si vous n'avez que des clones dans vos équipes, vous tournez en rond. » L'entreprise a ainsi noué un partenariat avec l'ANPE et la commission pour la promotion de l'égalité des chances et de la citoyenneté de Paris, qui vise à accompagner vers l'emploi durable 30 chômeurs diplômés (bac + 2 et plus) issus de l'immigration et victimes de discrimination. Dans un autre registre, l'ANPE a également signé avec le groupe Accor la troisième convention nationale de partenariat pour recruter des candidats à partir de leurs aptitudes et non plus seulement en fonction de leur expérience. La DRH du groupe hôtelier, Cathy Kopp, sera d'ailleurs la chef de file du Medef lors des négociations avec les syndicats sur la diversité, prévues début 2006. Cette démarche s'avère plutôt originale en Europe, nos voisins oscillant entre le respect du droit communautaire et des arguments économiques pour inciter leurs entreprises à diversifier leurs équipes. Tour d'Europe de la lutte contre la discrimination raciale au travail.

La Belgique s'est dotée d'une loi antidiscrimination ambitieuse mais les résultats ne sont pas à la hauteur

Dans le royaume, la moitié des chômeurs issus de l'immigration ont subi, au moins une fois, un comportement discriminatoire. Tel est le résultat d'une étude publiée il y a un an par l'Office régional de l'emploi bruxellois, l'équivalent de l'ANPE. De quoi émouvoir le gouvernement et les syndicats : la fédération bruxelloise du syndicat chrétien (CSC) a adressé à ses délégués un fascicule donnant tuyaux et consignes pour lutter contre ce phénomène. Les entreprises ne sont pas en reste : Arcelor, IBM ou Dexia ont adopté un code de conduite.

Depuis 2003, la Belgique s'est dotée d'une législation musclée qui étend la possibilité, pour chaque citoyen, d'ester en justice lorsqu'il s'estime discriminé dans « l'offre et le traitement d'une candidature » ou dans « les conditions de travail et l'accomplissement de la carrière professionnelle ». La charge de la preuve est inversée et c'est à l'employeur de démontrer qu'il ne discrimine pas.

Là réside la force, mais aussi la faiblesse de la loi. La Fédération des entreprises de Belgique (FEB) n'a pas manqué de dénoncer un texte qui place l'employeur en position de coupable présumé et intronise le testing : toute personne pouvait se présenter de façon factice devant un recruteur pour démontrer ensuite, face aux juges, que sa candidature était rejetée. « Nous sommes franchement opposés à cette forme d'inquisition », tranche Sonia Kohnenmergen, de la FEB.

Ambitieuse, la loi antidiscrimination n'a pas donné de résultats fulgurants. Le Centre pour l'égalité des chances, un organisme public à qui la loi a confié un rôle clé dans la prise en charge des victimes, note que les discriminations à l'emploi représentent toujours une plainte sur cinq.

Pour Andrée Debrulle, juriste à la CSC qui vient de terminer une première évaluation de la loi, « les intentions étaient bonnes. Mais l'analyse sur laquelle s'appuie ce texte est un peu imparfaite ».

Cyprien Chetaille, à Bruxelles

La Suède avoue son impuissance à ouvrir ses entreprises aux immigrés

La Suède compte sans doute les chauffeurs de taxi – étrangers pour la plupart – les plus diplômés au monde. Car c'est le seul moyen pour eux de subvenir à leurs besoins si la fabrication de pizzas les rebute. Avant-gardiste dans de nombreux domaines sociaux, le pays se heurte à l'incapacité d'intégrer ses immigrés. Sa politique d'intégration est un échec reconnu, alors que le pays de 9 millions d'habitants compte 18 % de personnes nées à l'étranger ou d'origine étrangère.

Aujourd'hui, 40 % des étrangers nés hors d'Europe ont un travail adapté à leurs qualifications, contre 90 % des Suédois. En 2003, le taux de chômage était près de trois fois plus élevé pour les gens nés hors d'Europe que pour les Suédois d'origine. Le quotidien Dagens Nyheter avait réalisé en 2004 un testing avec le concours d'étudiants d'origines suédoise et étrangère ayant des qualifications identiques. Édifiant ! Quand Rebin Solevani, d'origine kurde, appelait pour un emploi de peintre, on lui répondait que le poste était déjà pourvu ; vingt-cinq minutes plus tard, Fredrik Dahlström, au nom bien suédois, était, lui, convoqué à un entretien pour les même poste…

À la recherche d'exemples de « bonnes pratiques », le médiateur contre la discrimination ethnique (DO) avait réalisé, en 2003, une enquête auprès de 400 entreprises suédoises. Sept d'entre elles seulement avaient réussi le test. « La prise de conscience qu'il existe une discrimination raciale ne date vraiment que de deux à trois ans », explique Ann-Kristin Hartman, responsable de l'inspection des mesures actives à DO. Son constat est amer. Les enquêtes réalisées auprès d'entreprises qui prétendent avoir mis en œuvre des programmes contre la discrimination se révèlent décevantes. « De belles paroles, mais aucune mesure concrète. » SIF, la Fédération des employés de l'industrie, est l'un des rares syndicats à avoir entamé une action concrète dans l'ouest du pays en développant un système de délégués parrains dans les entreprises.

Pour le reste, les instruments sont limités puisque « la discrimination positive est interdite par la loi pour l'ethnicité », rappelle Ann-Kristin Hartman. DO a depuis deux ans lancé des formations ciblées auprès d'associations d'immigrés afin de les informer sur leurs droits. Mais si beaucoup d'étrangers se plaignent, très peu osent porter plainte (272 cas depuis le début de l'année).

Olivier Truc, à Stockholm

L'Allemagne n'examinera que cette année le projet de loi antidiscrimination, très controversé, présenté fin 2004

Un monstre bureaucratique », la « mise sous tutelle du citoyen par une morale de gauche », voire une « entrave à la liberté de contrat » : les réactions outrées des milieux économiques n'ont pas manqué quand Birgit Zypries, ministre fédérale de la Justice, a présenté le projet de loi sur l'antidiscrimination en décembre 2004. Avec ce texte, l'Allemagne tente enfin d'appliquer les directives européennes contre les discriminations adoptées en 2000. Mais le projet a été bloqué l'été dernier par le Bundesrat, à majorité conservatrice. Au centre des critiques, le fait que le gouvernement allemand a notablement élargi le nombre de cas où l'employeur est obligé de faire la preuve que sa décision ne dépend pas de l'origine ethnique de la personne. Pour cause d'élections anticipées et de changement de majorité, le réexamen du projet a été repoussé à cette année.

« La Constitution, le droit du travail et le droit civil allemands comportent de nombreux articles qui permettent de se défendre contre un employeur qui refuse une embauche pour origine ethnique. Mais ces éléments sont dispersés. Sur le plan symbolique, cette loi est essentielle, même si l'on craint qu'elle ne déclenche une avalanche de plaintes et un surcroît de bureaucratie, estime Andreas Müller, responsable du personnel dans une PME de 70 employés. Quand je recherche un employé, je reçois entre 500 et 1 000 réponses. Avec cette loi, je devrais à chaque refus justifier que ma décision n'est pas discriminatoire. »

La loi peut aussi poser des problèmes inattendus, comme le blocage de mesures de discrimination positive. « Pour ses salariés, la ville d'Essen a introduit un système de points comptabilisant les performances et l'expérience. Elle a aussi attribué des points aux salariés d'origine étrangère, considérant qu'ils disposaient d'une qualification culturelle. Si la loi passe, cela ne sera plus possible car elle défavoriserait les Allemands de souche », explique Dirk Halm, chercheur au Centre universitaire d'études turques d'Essen. Mais le fait que l'Allemagne aborde clairement cette question est un signal important. « Même si, le plus souvent, un emploi échoit à un Allemand parce que celui-ci est plus qualifié alors que les diplômés du supérieur d'origine turque sont encore une minorité », poursuit-il. Le problème de la discrimination se pose donc avant tout au niveau de l'intégration et de l'accès à l'éducation. Et là, l'Allemagne n'a pas entrepris de démarche ciblée en faveur des étrangers.

Thomas Schnee, à Berlin

Les Pays-Bas sont confrontés, depuis peu, aux problèmes d'intégration des populations étrangères mais ne s'empressent pas d'imaginer des mesures correctives

Dans un pays qui compte 1,6 million de personnes d'origine non occidentale, soit 10 % de la population, aucune politique d'affirmative action n'a été mise en place. Pour faciliter une intégration qui ne commence que depuis peu à poser problème, il n'existe pas non plus de quotas. Et, au travail, la diversité ethnique prend des formes inattendues. Dans le secteur privé, les emplois à faible qualification drainent nombre d'étrangers, notamment dans les supermarchés, où les foulards islamiques des caissières témoignent d'une forte présence musulmane.

Quel que soit leur look, les « non-Occidentaux » se voient aussi confier plus facilement qu'en France des postes à responsabilité. « J'ai déjà vu un rasta se présenter pour un emploi de directeur sans que ses dreadlocks ne choquent personne », explique Diogal Ndiaye, un cadre supérieur d'origine sénégalaise. « Ici, les apparences comptent moins qu'en France », poursuit cet ancien responsable Afrique du groupe de software américain Oracle. Les médias se montrent ainsi très ouverts à la présence de présentateurs et de journalistes turcs ou antillais.

Dans la construction, en revanche, moins de 3 % de la main-d'œuvre est immigrée. Car ces emplois, généralement bien payés, impliquent la maîtrise de techniques de construction sur pilotis en raison de la nature des sols au pays des polders. Si les Néerlandais de souche sont toujours candidats pour ramasser les poubelles dans les grandes villes, les personnes d'origine africaine sont nombreuses dans la police et l'administration. Les allochtones originaires du Surinam se révèlent les mieux intégrés, avec un taux d'emploi (70,2 %) identique à celui des autochtones néerlandais, contre moins de 54 % chez les Turcs et 48 % parmi les Marocains. Chez ces derniers, l'exclusion gagne clairement du terrain. Le taux de chômage de cette communauté, forte de 285 000 personnes, a doublé depuis 2001. De 10 % en 2001, il a atteint un pic de 22 % en 2004, selon les statistiques officielles.

Depuis l'assassinat du cinéaste Theo van Gogh, le 2 novembre 2004 à Amsterdam, par un jeune islamiste d'origine marocaine, les attitudes ont changé. « On ne me dit rien en face, affirme Ahmed, un policier installé aux Pays-Bas depuis vingt-sept ans. Mais je le sens bien : nous sommes vus d'un mauvais œil. » Les jeunes sont les plus durement touchés : 28 % des Néerlando-Marocains âgés de 15 à 25 ans sont sans travail.

Même lorsqu'ils gagnent bien leur vie et font tourner leur propre affaire, comme le producteur de télévision Rachid Daoud, beaucoup de Marocains de la deuxième génération n'ont plus qu'une idée en tête : rentrer au pays de leurs parents.

Sabine Cessou, à Amsterdam

Le Royaume-Uni préfère l'incitation forte à la contrainte de la loi

Raciste, la police : telle était la conclusion d'un rapport retentissant présenté au Parlement en 1999, à la suite d'une enquête sabotée sur le meurtre d'un jeune Noir, Stephen Lawrence, six ans plus tôt. Depuis, Scotland Yard a doublé le nombre d'officiers de couleur dans ses rangs et s'approche, avec un taux de 7,2 %, de la moyenne nationale dans la population active (8,8 %). Mais il vise 25 % d'ici à 2009 : un chiffre plus proche de la réalité londonienne, où près de 30 % des gens se réclament d'une minorité ethnique (Inde, puis Caraïbes, Pakistan, Afrique et Bangladesh). L'intégration de ces populations est une grande cause nationale depuis la loi de 1976, le Race Relation Act, renforcé en 2000. Mais la discrimination existe toujours : depuis vingt ans, l'écart, supérieur à 15 points entre le taux d'emploi national et celui des minorités demeure quasi inchangé et seuls 3,3 % des postes à responsabilité sont occupés par des Noirs ou des Asiatiques.

Outre-Manche, les quotas n'existent pas mais la positive action est autorisée. Elle consiste, par exemple, à intensifier les campagnes de recrutement dans les journaux et les quartiers à dominante ethnique, ou dans les nouvelles agences spécialisées, comme EthnicJob. Jusque dans les Jobcentre qui aident les entreprises à diversifier leurs recrutements.

Dans le secteur public, le gouvernement a mis en œuvre en 2003 une plate-forme interministérielle baptisée « Taskforce ». Services de santé, armée, école, etc., doivent, profession de foi et chiffres à l'appui, donner l'exemple. Dans le privé, le système repose sur la bonne volonté des employeurs. En 1996, la Commission pour l'égalité des races (CRE), chargée de promouvoir l'application d'un code de bonne conduite, avait mené un testing en envoyant des CV fictifs. À compétences égales, les pseudo-candidats asiatiques avaient trois fois moins de chances d'être convoqués à un entretien que les blancs, et cinq fois moins s'ils étaient noirs.

Pourtant, pas question ici d'introduire le CV anonyme. Les formulaires comportent une case sur l'origine ethnique, en plus de la nationalité. La statistique étant gage de transparence. Pragmatiques, les pourfendeurs de la discrimination usent de l'argument économique, plus que moral, en répétant aux entreprises qu'il est profitable d'embaucher des Noirs ou des Asiatiques, car c'est le meilleur moyen de pénétrer le marché de ces communautés.

Il y a aussi l'argument du retour sur image : « C'est une opportunité pour les entreprises de communiquer et d'améliorer leur réputation », explique-t-on à Race for Opportunity, un réseau de 180 entreprises (comptant la Banque d'Angleterre, Marks & Spencer ou British Airways) qui développent des programmes de promotion de la diversité. À l'heure actuelle, 78 % des entreprises ont une politique claire en matière d'équité raciale, deux fois plus qu'en 2001. Le modèle britannique semble fonctionner.

Léa Delpond, à Londres

États-Unis : l'affirmative action sur la sellette

Kenneth Chenault, le P-DG d'American Express, est un African American, comme Richard Parsons, qui dirige AOL Time Warner. Une Chineese American, Andrea Jung, est à la tête d'Avon. Et le président de McDonald's pour l'Amérique du Nord, Ralph Alvarez, est cubain. La corporate america serait-elle donc un paradis pour les minorités ethniques ? Pas vraiment.

Selon l'Equal Employment Opportunity Commission, les Noirs représentent 14 % de la main-d'œuvre dans le privé mais n'occupent que 6 % des postes de managers et de cadres supérieurs ; aux Hispaniques reviennent 4 % de ces fonctions alors qu'ils forment 10 % de la main-d'œuvre. Certes, de Lucent Technologies à H-P en passant par le laboratoire Merck, beaucoup de grandes entreprises ont une politique d'affirmative action destinée à améliorer la représentation des minorités. IBM se targue ainsi d'avoir augmenté le nombre de cadres dirigeants issus des minorités 170 % entre 1996 et 2001 grâce à son executive resources affirmative action program. Mais cette politique est aujourd'hui critiquée, y compris par ceux qui en bénéficient. « Mes collègues pensent que j'ai été recrutée parce que je suis femme et de couleur, et non parce que je suis compétente. Je dois me montrer deux fois meilleure pour vaincre leurs suspicions », déplore cette quadragénaire noire récemment embauchée à un poste de direction chez Ford. Il est politiquement très correct d'avoir des représentants des minorités à son board. C'est le cas de 92 des 100 plus grosses compagnies américaines, selon l'institut de recherche indépendant Catalyst. Au 30 septembre 2005, les Noirs détenaient 10 % des sièges au conseil d'administration de ces géants, les Hispaniques 3,85 % et les Asiatiques 1 %. PepsiCo, Walt Disney, General Electric et Dupont ont tous un ou deux Noirs, un Latino et un Asiatique à leur board.

Isabelle Lesniak, à New York

Questions à Jean-François Amadieu, président de l'Observatoire des discriminations de l'université Paris I

La France est-elle un bon élève en Europe en termes de lutte contre les discriminations d'origine ethnique ?

Du point de vue de l'identification des discriminations et de leur reconnaissance, la France est en retard par rapport à ses voisins. La méthodologie, fondée sur le testing, du Bureau international du travail pour évaluer la discrimination liée à l'origine ethnique date de 1992 et a déjà été utilisée par un certain nombre de pays. En France, cette étude ne sera réalisée par la Dares qu'en 2006. La récente position de la Cnil, adoptée en juillet dernier, va enfin permettre de faire la mesure de l'origine géographique des personnes, notamment en fonction des patronymes. C'est une bonne chose.

Et sur le plan législatif ?

Si la France a comblé son retard et dispose d'un arsenal juridico-administratif avancé, l'appareil judiciaire, lui, ne suit pas. Les victimes de discrimination restent désarmées. Pour autant, la création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité va dans le bon sens.

Quelles sont les démarches prioritaires à engager ?

L'anonymisation des CV est une bonne chose. Mais il ne faut pas s'arrêter là. Il faut revoir les techniques de recrutement utilisées en France et développer les « tests de simulation ». Une méthode de recrutement créée par l'ANPE – et mise en œuvre par PSA – qui consiste à évaluer, à travers une mise en situation professionnelle fictive, les habilités du candidat pour un poste donné sans tenir compte de son expérience ou de ses diplômes.

Auteur

  • Isabelle Moreau