logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

L'ADMINISTRATION EN LIGNE SE BANALISE

Enquête | publié le : 01.12.2005 |

Départs à la retraite non remplacés, cessations anticipées, redéploiements… le passage à l'électronique sera quasi indolore.

Bercy s'affranchit du papier

Le 30 mars dernier, le serveur de la Direction générale des impôts a failli imploser : pour cette seule journée, près de 100 000 contribuables ont essayé de se connecter pour envoyer leur déclaration fiscale via le Net. En vain, car le système a été rapidement saturé. Du coup, les internautes ont bénéficié de délais supplémentaires. Consultation de compte fiscal, calcul ou paiement de l'impôt, le ministère des Finances multiplie les services en ligne. Avec quelque 180 000 agents, dont 80 000 affectés à la seule collecte des impôts, Bercy possède un des plus gros bataillons de la fonction publique. « Il faut faire des économies et on nous demande d'être le champion de la suppression d'emplois, explique une inspectrice. Le recours aux nouvelles technologies de l'information a pour but d'éliminer des phases de traitement du papier qui sont assurées par des agents de catégorie C, ce qui va permettre de supprimer des tâches à faible valeur ajoutée en ne remplaçant pas les départs à la retraite. » Entre 2005 et 2007, Bercy devra perdre 5 000 emplois. « Nos dirigeants, précise Jérôme Cachard, agent à Nanterre, sont obsédés par la dématérialisation qui nécessite de remplir des tableaux de bord. On passe plus de temps à se regarder travailler qu'à travailler. »

Parallèlement à cette offre de services en ligne, trois centres d'appels ont été créés afin de développer la relation directe avec les contribuables. « Il a été dit en haut lieu qu'il fallait désintoxiquer l'usager du guichet, fulmine Laurent Gathier, du Syndicat national unifié des impôts (Snui), organisation majoritaire. Or cette proximité avec l'usager est constitutive de notre identité professionnelle. À la suite de la mise en place d'un avis unique pour la redevance audiovisuelle et la taxe d'habitation, nous avons reçu de nombreuses personnes qui s'étaient trompées dans leur déclaration. Cet accueil aux guichets est la ligne blanche du compromis social. Attention à ne pas la franchir. »

Le « Journal officiel » passe au multimédia

La transformation n'est pas passée inaperçue. Depuis le 2 juin 2004, les juristes peuvent consulter le JO Lois et décrets sur Internet. Ce jour-là, la Direction des journaux officiels (DJO) a sabré le champagne pour célébrer la mutation de son titre phare. Une étape symbolique de la modernisation de cette vénérable maison qui produit, édite et diffuse la norme juridique française depuis des lustres. Avec la saisie à la source et la numérisation de documents, leur transmission par téléprocédure et leur diffusion sur Internet, opérations entamées en 2004, elle vit un « changement culturel total », reconnaît Didier Chabrol, sous-directeur chargé de l'édition, de la production et de la diffusion. Un chambardement d'autant plus grand que la DJO avait plusieurs trains de retard.

L'acquisition des données à la source était encore balbutiante voici deux ans. « Il nous a fallu convaincre nos donneurs d'ordres de s'équiper », explique Didier Chabrol. Depuis, le volume de données collectées a presque triplé et représente désormais 58 % du total. Une part qui sera portée à 95 % fin 2007. L'impact a été brutal pour les employés de la société d'impression rattachée à la DJO, déjà en sureffectif notoire, où les trois quarts des 400 salariés travaillent en prépresse. Il est moindre pour leurs collègues de la diffusion, dont le travail est touché par l'évolution des modes de consommation. Chaque année, la fréquentation des sites Internet de la DJO augmente de 25 % alors que les abonnements aux publications sur papier chutent de 15 % en moyenne. Pour réduire les effectifs de la société d'impression, la DJO a signé mi-2004 un accord avec la CGT du Livre, actant le principe d'un non-renouvellement des départs à la retraite pour deux ans et obtenu, pour la même durée, l'autorisation de faire des cessations anticipées d'activité à 57 ans pour les salariés ayant des difficultés d'adaptation aux nouvelles technologies.

« Nous devons préserver une sécurité absolue du rythme de publications. Il nous faut un climat social apaisé », précise Didier Chabrol pour justifier cette « gestion pragmatique ». Reste que l'accord est insuffisant : pour composer le JO, il faut seulement cinq personnes contre trente il y a deux ans. « Nos choix de gestion sociale ne nous permettent pas de faire autant de productivité qu'on pourrait l'imaginer en théorie, mais la DJO offre un rythme de baisse des charges réelles (5 % en 2005 et 6 % prévus en 2006), très rare dans la fonction publique », plaide Didier Chabrol, qui envie les entreprises de presse autorisées à procéder à des départs à la retraite dès 50 ans. Un dispositif qui serait d'une grande aide à la DJO, forte de 1 000 salariés spécialisés dans l'impression et qui a vocation à devenir une « agence publique multimédia ».

Les préfectures vont immatriculer en ligne

Fini les files d'attente ! Dès 2008, les automobilistes n'auront plus à se déplacer en préfecture ou sous-préfecture pour obtenir leur titre d'immatriculation définitive. Ils pourront effectuer leur démarche par Internet et recevoir, par la poste, leur nouvelle carte grise. C'est l'engagement pris par le ministère de l'Intérieur qui a lancé, en 2004, le projet SIV (pour système d'immatriculation à vie des véhicules). Un programme de taille, puisqu'il concerne les 23 millions d'opérations liées, chaque année, à l'immatriculation des véhicules. Elles seront simplifiées grâce aux téléprocédures ouvertes aux professionnels du commerce automobile et à un nouveau système de télépaiement.

« Sur les 2 000 fonctionnaires travaillant dans les services de délivrance des cartes grises, un quart verront leur poste supprimé d'ici à 2010 », annonce le ministère. Une évolution gérée grâce aux départs à la retraite non remplacés et aux redéploiements internes. Face à la diminution attendue des opérations aux guichets, certains agents – une centaine par an d'ici à 2007 – basculeront vers des missions de contrôle, de conseil des professionnels de l'automobile. Les autres se consacreront, en priorité, aux cas complexes. « Le ministère a créé les conditions de l'externalisation des missions auprès des professionnels de l'automobile sans donner aux services les moyens de fonctionner », vitupère Bruno Landri, des Personnels des préfectures FO, qui dénonce « un démantèlement du service public sous couvert d'administration électronique ». Paola Bergs, secrétaire de la fédération CFDT Interco, dénonce un manque de concertation sur l'évolution des missions des préfectures. Car le SIV n'est pas le seul programme en cours. Les projets de passeport et de carte d'identité nationale électroniques, actuellement retardés, vont aussi modifier les missions des agents. Selon FO, 2 000 emplois, surtout « de catégorie C », pourraient disparaître. Soit 8 % des effectifs.

L'État suédois en tête
Moins d'emplois subalternes, plus de services

Au mois d'août dernier, RSV, l'administration fiscale suédoise, s'est fendue d'une publicité pour remercier les 2,1 millions de contribuables (sur 7,1 millions) qui ont fait leur déclaration de revenus par Internet, par téléphone ou SMS. Les sommes économisées, disait la publicité, permettront de mieux contrôler les tricheurs. « Nous avons économisé au moins 12 couronnes (1,24 euro) par déclaration », précise Tommy Carlsson, le directeur de RSV. Selon Ragnar Hörndahl, chercheur spécialisé dans les NTIC et la productivité, ces investissements ont permis de réorienter les emplois. « Des emplois peu qualifiés ont été supprimés, mais cela ne signifie pas que le nombre d'employés a beaucoup diminué », souligne-t-il. C'est également vrai dans le secteur bancaire, où 5,3 millions de Suédois utilisent désormais les services électroniques. « Beaucoup de guichets ont été fermés, et les personnels qui avaient un travail peu qualifié ont disparu. À la place, les banques ont embauché des salariés pour développer des services financiers qui rapportent davantage », poursuit le chercheur. Selon une étude réalisée par Exido, agence spécialisée dans les NTIC, 43 % des entreprises consultées estiment que l'efficacité de leur banque a augmenté d'au moins 8 % grâce aux NTIC. « Mais si 90 % des entreprises affirment que ces investissements sont importants pour améliorer leur efficacité, seules un tiers d'entre elles les mesure », note Hans Werner, directeur d'Exido. L'État a fait figure de précurseur après avoir connu une cure d'amaigrissement record au cours des années 90. La mise en place d'« Administration 24 » permet de combiner les réductions d'effectifs, surtout dans les emplois subalternes, avec une disponibilité accrue des services électroniques au public, 24 heures sur 24. Prochaine étape : la facturation électronique. ESV, l'agence publique de gestion de l'État, vient de calculer qu'elle économiserait entre 200 et 400 millions d'euros sur la période 2008-2012.

Olivier Truc, à Stockholm