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Vie des entreprises

Yves Cambay dope les compétences des agents de propreté de Sin & Stes

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.11.2005 | Éric Béal

Pour affronter la concurrence féroce qui règne sur le marché de la propreté et réagir à l'arrivée des nouveaux acteurs du « facility management », Yves Cambay, le P-DG de Sin & Stes, 7e entreprise du secteur, agit sur trois leviers : le recrutement, la formation et la mobilité professionnelle.

Ne parlez surtout pas de retraite à Yves Cambay. À 69 ans, le P-DG de Sin & Stes a conservé l'enthousiasme d'un jeune entrepreneur lorsqu'il parle de l'évolution des métiers de la propreté, prend la défense des entreprises de services ou évoque l'avenir de son secteur face à la diminution constante des marges et à l'apparition de nouveaux concurrents. Ces spécialistes du facility management, tels Dalkia, Faceo ou Johnson, qui assurent la gestion à 100 % de sites, d'usines ou de bureaux, de la maintenance informatique à l'entretien des pelouses. Comparé à des géants capables de répondre à des appels d'offres mondiaux, Sin & Stes ne pèse pas lourd avec ses 10 000 salariés (6 500 en équivalent temps plein). Mais Yves Cambay peut se targuer d'avoir fait du chemin depuis le rachat de Sin en 1961, et depuis la fusion, en 1991, avec la société Stes.

Avec Éric Fiévet, ancien P-DG de la Stes, devenu vice-président exécutif chargé de l'administration et des finances de Sin & Stes, il a hissé son entreprise au septième rang du secteur en France, avec un chiffre d'affaires de 172,6 millions d'euros en 2004. Très présent dans le « tertiaire » (les bureaux), où il réalise 45 % de son activité, Sin & Stes est aussi bien implanté dans l'hôtellerie. Mais l'entreprise intervient également dans le nucléaire, l'agroalimentaire, l'ultrapropreté ou les loisirs. Yves Cambay partage avec Éric Fiévet, son alter ego, la conviction que la valeur de l'entreprise, et de la sienne en particulier, dépend de « la qualité des hommes ». Dans un secteur connu pour une gestion plutôt musclée des ressources humaines, ce patron gouailleur et charismatique a l'ambition d'élever le niveau des compétences de ses troupes. La meilleure façon, selon lui, de résister à la concurrence.

1 PROFESSIONNALISER LE RECRUTEMENT

Ce jour-là – c'était en 1999 –, Yves Cambay a piqué un coup de sang lorsqu'il a découvert que Sin & Stes devait s'acquitter d'une somme de 183 000 euros envers l'Agefiph, l'Association nationale de gestion du Fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées. Une contribution en augmentation de 38 % par rapport à l'année précédente. « Autant investir pour améliorer notre recrutement de nouvelles compétences », s'exclame-t-il. Tout juste arrivé de chez Danzas, François Moulinier, le DRH, confie un audit au cabinet EF2i Conseil. Objectif : trouver des solutions pour améliorer l'insertion de travailleurs handicapés dans les équipes. Il ne le sait pas encore, mais la gestion des ressources humaines de Sin & Stes va s'en trouver complètement bouleversée.

L'étude, réalisée par le consultant Paul Descolonges, aboutit à la conclusion qu'il est impossible d'améliorer l'intégration des handicapés sans remettre à plat la politique de recrutement et la gestion du personnel de l'entreprise. Le réseau Sin & Stes se caractérise en effet par une décentralisation poussée dans le domaine de la GRH. Chaque agence est gérée comme un centre de profit. Les chefs d'agence sont responsables de leurs résultats financiers comme du recrutement et de la gestion du personnel. Ce qui conduit à une gestion différente d'une région à l'autre. Dans la pratique, nombre de responsables d'agence choisissent leurs chefs de site et leurs chefs de travaux et laissent ceux-ci recruter les chefs d'équipe. Souvent confrontés à une pénurie de main-d'œuvre, ces derniers embauchent en parant au plus pressé. Jusqu'en 2002, cette organisation aboutit à des résultats peu glorieux pour l'emploi de travailleurs handicapés. Leur recrutement se résume trop souvent à des CDD, signés peu de temps avant l'échéance de la déclaration obligatoire. Mal préparés aux contraintes du métier, les bénéficiaires ne restent pas. Surtout s'ils sont mal accueillis par leurs collègues soucieux de ne pas récupérer une charge de travail que le nouveau venu ne peut assumer.

En 2001, Stéphane Deguitre, le nouveau - responsable de l'emploi du groupe, s'attelle à la tâche. « En interne, je devais sensibiliser les managers à la nécessité d'embaucher des salariés handicapés. Il fallait aussi créer des outils pour améliorer les méthodes de recrutement. À l'extérieur, je devais contacter les organismes spécialisés pour les inciter à présenter des CV à nos agences. » Si la première mission n'est pas facile, tant les idées préconçues sur le handicap sont nombreuses parmi les cadres dans les agences, la seconde ne s'est pas non plus avérée de tout repos car la profession n'a pas une très bonne image auprès des animateurs des Cap Emploi ou des missions locales. Un guide d'entretien et un référentiel d'écoles spécialisées ont été mis à la disposition des recruteurs. Une convention a été signée avec l'Agefiph en novembre 2001. Côté institutions, les relations se sont sensiblement améliorées depuis quatre ans. Certaines agences de l'ANPE affichent même une offre d'emploi permanente de l'agence Sin & Stes locale.

Parallèlement, la DRH de l'entreprise a commencé à unifier les pratiques de gestion du personnel dans l'ensemble du réseau. Un référentiel des emplois et des compétences a été élaboré en liaison avec les responsables d'agence et l'encadrement de terrain. Chaque fiche décrit un métier en détaillant les compétences techniques, le savoir-faire organisationnel et managérial, et la gestion de la relation client. « Avant cet outil, le mot compétence ne faisait pas partie du vocabulaire interne, indique Stéphane Deguitre. Les recruteurs de Sin & Stes se contentaient d'indiquer à l'ANPE qu'ils avaient besoin d'un agent d'entretien, sans plus de précisions. » Depuis, ils ont amélioré leurs offres d'emploi en donnant des indications précises sur les compétences requises et sont donc capables de proposer un poste compatible avec le handicap éventuel d'un candidat. La convention de 2001 avec l'Agefiph stipulait que Sin & Stes s'engageait à recruter 70 salariés handicapés dans les deux années suivantes. Deux ans plus tard, 115 embauches avaient été réalisées. L'entreprise pourra bientôt dresser le bilan de la deuxième convention.

2 OPTIMISER LA GESTION DES COMPÉTENCES

Autre chantier désormais achevé, l'entreprise de propreté a reconstruit son plan de formation. « Les formations concourent à la satisfaction du client. Elles doivent améliorer la qualité de nos prestations », souligne Béatrice Towarnicki, responsable formation et recrutement. Après audit, les organismes de formation les moins sérieux ont été éliminés. Les offres faites aux salariés sont également rationalisées pour éviter qu'un agent suive la même formation deux fois de suite. « Nous évaluons ce que le salarié a retenu six mois après avoir suivi sa formation de manière à conserver la trace de la montée en compétences de chacun ou à proposer un complément si besoin », poursuit la responsable.

Pour mieux gérer les compétences des salariés, la DRH compte généraliser la tenue d'un entretien annuel d'évaluation (EAE) à l'ensemble des salariés. « Pour le moment, seuls les managers, des chefs d'agence aux chefs d'équipe, bénéficient de cet outil », note François Moulinier. Le DRH reste prudent car, en 2004, première année où a été instauré l'entretien annuel, moins de la moitié (47 %) des EAE prévus ont été effectivement menés et les résultats envoyés à la DRH. Sur le terrain, l'accueil est d'ailleurs loin d'être unanime. Une partie des chefs d'agence considèrent cet entretien comme une perte de temps. D'autres sont ouvertement enthousiastes. « Dans la profession comme dans d'autres secteurs, certaines entreprises mènent leurs salariés à la baguette. Mais cette méthode n'est plus adaptée aux caractéristiques du marché. Pour réaliser une prestation de qualité, il faut des salariés reconnus pour leurs résultats et fiers de ce qu'ils font », estime Philippe Beurrier, chef de l'agence de Picardie-Champagne.

Responsable d'une agence dédiée au marché de l'hôtellerie en Ile-de-France, Pascal Richard est sur la même longueur d'onde. « Mon objectif pour 2006 est d'organiser une évaluation annuelle pour toutes les femmes de chambre de manière à identifier celles qui ont du potentiel et qui seront prioritaires pour bénéficier d'une formation. » Et d'expliquer que, pour développer son activité dans l'hôtellerie francilienne, il a besoin d'un personnel fiable. « Le personnel fidélise le client, insiste-t-il. Lorsque celui-ci est satisfait, il a tendance à renouveler son contrat avec l'entreprise. »

Des points de vue qui ne sont pas encore majoritaires parmi les cadres de proximité. Mais Stéphane Deguitre est optimiste. « Nous préférons convaincre l'encadrement des bienfaits d'une telle démarche sur le niveau d'activité plutôt que d'être directifs. » D'ores et déjà, chaque appréciateur a bénéficié d'un retour d'information de la part des services RH, histoire de démontrer l'utilité du processus.

3 VALORISER LES CADRES INTERMÉDIAIRES

Dans une activité comme la propreté, la qualité de la prestation, donc la satisfaction du client, repose d'abord sur les managers de proximité. « Les chefs d'équipe et les responsables de sites ont la pierre angulaire de la réussite des chantiers », rappelait cet été Patrice Turek, chef d'agence en Normandie, dans Sin & Stes News, le journal interne du groupe. « Cette population est au contact direct du client. Nous lui demandons d'établir des reportings sur la qualité des prestations fournies, de veiller à la sécurité et de gérer les ressources humaines », indique Stéphane Deguitre.

Chef de site au palais des Congrès de Paris, Jorge Costa est l'un de ces rouages essentiels dans le réseau Sin & Stes. À 6 heures, il est déjà surplace, porte Maillot. Avec Zahiraben Mouna, la chef d'équipe du matin, il accueille les agents tout juste sortis du métro et répartit missions et équipements avant de faire un tour des salles et des couloirs dont le nettoyage est confié à Sin & Stes. La poche de son costume trois-pièces arbore le sigle de l'entreprise. « Les relations humaines sont primordiales dans mon métier, explique-t-il. Il faut savoir motiver les équipes et garder une bonne ambiance de travail tout en s'assurant que les travaux confiés sont effectués correctement. Ici, le client inspecte notre travail tous les jours et les exposants ont l'habitude d'envoyer un mail pour râler ou remercier de l'accueil et de la propreté des locaux. »

Jusqu'à présent, le responsable du site du palais des Congrès a uniquement bénéficié de formations à caractère technique. En 2004, année au cours de laquelle Sin & Stes a consacré 1,6 % de sa masse salariale à la formation continue, plus d'un quart des 1 329 salariés envoyés en stage étaient des encadrants. Cet effort va encore être accru. L'ambition de la direction des ressources humaines est d'offrir une formation au management et à la cohésion d'équipe à tous ses chefs d'équipe, chefs de secteur et responsables de site. Ancien ouvrier, salarié de l'entreprise depuis plus de quatorze ans, Jorge Costa a commencé sur le site de Dupont de Nemours dans le 14e arrondissement de Paris. Il est ensuite devenu chef d'équipe, puis chef de site, depuis janvier 2005. Un parcours qui n'a rien d'exceptionnel dans un secteur offrant de réelles opportunités de carrière à des salariés dépourvus de diplôme.

Chef de secteur à l'agence de Paris ouest, Richard Wappler cite le cas d'une ancienne standardiste de son agence devenue responsable de site il y a quelques années. « Elle s'ennuyait à son poste et avait demandé à progresser », explique-t-il. Ailleurs, c'est une secrétaire qui n'est plus motivée par son travail et suit une formation pour devenir chef de travaux. Des exemples que François Moulinier aimerait multiplier. « Nous sommes en train de mettre en place des comités de gestion de l'encadrement intermédiaire dans chaque agence. Nous souhaitons repérer les salariés à potentiel, les fidéliser et leur proposer un parcours de formation de manière à disposer de personnes fiables pour assurer des responsabilités de chef d'équipe ou de chef de site lorsque nous gagnons un marché. » Mais si les conditions de mise en œuvre du référentiel des compétences et de l'entretien annuel d'évaluation attestent de l'importance accordée par l'entreprise à ses cadres de proximité, la DRH n'entend plus laisser la gestion des promotions aux seuls responsables hiérarchiques de proximité. « Avec ce nouveau dispositif, nous aurons une vision plus complète des talents dans l'entreprise. »

4 FIDÉLISER LES ÉQUIPES

À l'instar de ses concurrents, Sin & Stes déplore chez certains de ses salariés un faible sentiment d'appartenance à l'entreprise. Ce phénomène est particulièrement sensible sur des sites prestigieux comme Disneyland Paris, le Louvre ou le CEA, qui laissent les marges les plus importantes au groupe et combinent de meilleures conditions de travail avec des salaires plus élevés. Les agents de propreté employés sur de plus petits chantiers posent, paradoxalement, moins de problèmes parce qu'ils ont de multiples employeurs et qu'ils ont besoin du quota d'heures alloué par Sin & Stes.

Pour pallier l'insuffisance du lien entre l'enseigne et les salariés, la DRH a récemment distribué un livret d'accueil à toutes les agences. Le document présente notamment les différents métiers de l'entreprise, sa ligne hiérarchique, ses valeurs éthiques, les règles de comportement attendues ainsi que les consignes de sécurité. Avec ce nouvel outil, la DRH espère créer l'amorce d'un esprit d'entreprise.

Pour fidéliser les équipes, elle ne peut guère compter sur la politique salariale maison. Les premiers niveaux de rémunération restent collés au smic horaire et les qualifications reconnues par les grilles salariales de la branche n'améliorent guère l'ordinaire. A contrario, la formation est de plus en plus utilisée comme un outil de fidélisation. Femme de chambre depuis treize ans, affectée à l'hôtel Ibis (700 chambres) situé porte de Clichy, Seynabu Dioum fait partie des employés ayant suivi une formation à la PNL. « Pour une fois que l'on ne m'apprend pas ce que je sais déjà faire ! » dit-elle. Durant cette journée, qui n'est proposée, selon Béatrice Towarnicki, directrice du recrutement et de la formation, qu'aux équipes travaillant sur des sites importants, un spécialiste extérieur alterne interprétations de dessins, téléphone arabe ou encore jeux d'équipe. Des exercices qui ont pour objectif de susciter différentes approches de manière à prouver que plusieurs opinions peuvent être valables en même temps. « L'idée est de cultiver les capacités d'écoute pour encourager les employés à comprendre le point de vue du collègue ou du responsable hiérarchique. Lorsque la communication est facile sur un site, l'échange d'informations se réalise correctement. L'organisation et la cohésion de l'équipe s'améliorent et, in fine, la prestation aussi », explique Béatrice Towarnicki. Pour les salariés, c'est aussi l'occasion d'échanger leur opinion sur les contraintes du métier et de partager le déjeuner avec le responsable de site.

Côté syndical, on apprécie les efforts faits dans le domaine de la formation. Mais on déplore que la culture d'entreprise soit encore empreinte de paternalisme. « La porte d'Yves Cambay nous est toujours ouverte, explique un délégué syndical. Nous avons aussi le numéro de son portable professionnel. Mais, en dépit du côté chaleureux du patron, rien n'est fait pour faciliter notre implantation. »

5 FAVORISER LA MOBILITÉ

Pour satisfaire les clients qui privilégient le moins-disant lors du renouvellement des contrats, Sin & Stes s'est lancé dans l'offre « multiservice ». Concrètement, il s'agit de répondre à la concurrence des entreprises de facility management qui gagnent des appels d'offres globaux en s'engageant sur des prestations qu'elles confient ensuite à des sous-traitants. Ces marchés couvrent l'ensemble des besoins matériels d'une entreprise, de l'entretien des immeubles au nettoyage, en passant par le service postal, l'accueil ou encore l'entretien des espaces verts. Yves Cambay a noué des partenariats avec des entreprises spécialisées pour les tâches les plus éloignées de son cœur de métier. Mais il s'est fixé l'objectif de réaliser directement 60 à 70 % des prestations sur chaque contrat remporté.

« Le multiservice élargit notre offre commerciale tout en donnant la possibilité à nos salariés d'évoluer et d'augmenter leurs revenus », assure Éric Laune, le directeur commercial de Sin & Stes. Sur un même chantier, un salarié peut ainsi passer d'une tâche de nettoyage à des missions de petit entretien, de gardiennage ou même de distribution du courrier interne. Des évolutions professionnelles source d'amélioration de la rémunération, qui laissent même espérer un élargissement des possibilités de reconversion pour les salariés en fin de carrière. Béatrice Towarnicki reste cependant prudente. « Nous serons pragmatiques. Pour les personnels trop éloignés de notre cœur de compétences, comme les électriciens ou les hôtesses d'accueil, nous recruterons. »

En matière de mobilité géographique, « Le multiservice élargit notre offre commerciale tout en donnant la possibilité à nos salariés d'évoluer et d'augmenter leurs revenus », assure Éric Laune, le directeur commercial de Sin & Stes. Sur un même chantier, un salarié peut ainsi passer d'une tâche de nettoyage à des missions de petit entretien, de gardiennage ou même de distribution du courrier interne. Des évolutions professionnelles source d'amélioration de la rémunération, qui laissent même espérer un élargissement des possibilités de reconversion pour les salariés en fin de carrière. Béatrice Towarnicki reste cependant prudente. « Nous serons pragmatiques. Pour les personnels trop éloignés de notre cœur de compétences, comme les électriciens ou les hôtesses d'accueil, nous recruterons. » la politique de Sin & Stes en est également aux balbutiements. Récemment, un chef de secteur, attaché à l'agence de Picardie-Champagne, a changé de région en s'installant dans le Sud-Ouest, mais l'exemple est encore isolé. « Avec la cartographie des emplois et des compétences et l'EAE, nous nous sommes donné les moyens d'améliorer le niveau des compétences de nos équipes », affirme François Moulinier, le DRH. Sur le terrain, les encadrants sont moins optimistes et estiment qu'un grand nombre de salariés n'auront ni l'envie ni les capacités d'acquérir des compétences plus pointues. « Une partie de nos salariés d'origine étrangère ne maîtrisent même pas suffisamment la langue française pour passer un entretien d'évaluation », fait remarquer l'un d'eux. Un problème auquel il faudra bien trouver une solution puisqu'un accord de branche stipule que tous les salariés doivent bénéficier de ce type d'entretien.

Reste que les ambitions en matière de gestion des ressources humaines doivent être suivies des financements. « Yves Cambay pourra-t-il maintenir le cap longtemps si les clients continuent de vouloir écraser les prix de façon disproportionnée », s'interroge Paul Descolonges, du cabinet EF2i Conseil. À l'occasion d'un appel d'offres, le marché de l'Arche de la Défense, le premier chantier remporté par le groupe issu de la fusion entre la Sin et la Stes, a été perdu en 1994. Au passage, l'établissement a réussi à diviser sa facture par deux…

D'autres s'interrogent sur l'âge du capitaine. Sur ce point, le P-DG est serein. « Je compte rester aux commandes pendant sept années supplémentaires, car j'ai encore quelques décisions importantes à prendre et les problèmes à régler sont passionnants. Mais je suis en train de recruter un directeur général. C'est lui qui me succédera après mon départ. » Un chasseur de têtes a d'ailleurs commencé à chercher l'oiseau rare. Mais, en dépit de cette succession annoncée, Yves Cambay a bien l'intention de tenir encore fermement la barre.

Entretien avec Yves Cambay
« Il est impératif que les entreprises de services prennent plus de poids dans les instances patronales »

Issu d'une famille d'industriels du nord de la France, Yves Cambay a rompu avec la tradition en reprenant, en 1961, sitôt sorti de Sup de co Lille, une petite entreprise de nettoyage, la Sin, qui fusionnera, en 1991, avec la Stes. En parallèle, cet entrepreneur aujourd'hui âgé de 69 ans s'est investi sans compter pour défendre la profession. Président de la Fédération des entreprises de propreté et services associés (FEP) de 1978 à 1985, il préside la WFBSC, la fédération mondiale, jusqu'en 1986, puis la Fédération européenne du nettoyage industriel de 1991 à 1993. Il continue aujourd'hui d'animer le Genim, un groupement patronal rassemblant les grandes entreprises de propreté. Il se bat également pour renforcer le poids des services au sein du Medef.

Le marché de la propreté est devenu hyperconcurrentiel. Quelles sont les conséquences de cette évolution pour la GRH ?

Dans notre secteur, les clients tirent systématiquement sur les prix. Et les entreprises de facility management, qui prennent en charge l'ensemble des services généraux et d'entretien et nous confient ensuite le nettoyage en sous-traitance, compliquent encore le problème. Pour résister et pouvoir répondre aux appels d'offres globaux, nous développons une offre identique avec des entreprises de sécurité, d'électricité ou d'accueil.

Les salariés du nettoyage auront du mal à acquérir des compétences plus pointues. Il faudra donc recruter. Mais nous investissons dans l'évaluation des compétences pour donner à tous l'opportunité d'évoluer. J'explique souvent à mes salariés qu'ils ne sont pas condamnés à rester ce qu'ils sont.

Comment luttez-vous contre le turnover qui est élevé dans le nettoyage ?

Il faut fidéliser par la formation les gens dont les compétences sont indispensables, en particulier les conducteurs de travaux, les chefs de secteur et les responsables d'agence. Lorsque l'opportunité se présente, nous leur confions des responsabilités élargies. La culture interne peut aussi donner l'envie de rester. Je combats toute attitude irrespectueuse envers les salariés. Certains contremaîtres ont encore des réflexes de « petits chefs », catastrophiques pour notre image. Ils devront évoluer.

La moyenne d'âge de vos salariés est élevée. Comment comptez-vous régler les problèmes d'adaptation au poste ?

La question ne se pose pas de la même manière pour toutes les tâches. Par exemple, faire une vingtaine de lits par jour est usant. Après quinze ans de travail, une femme de chambre est cassée physiquement. Les évolutions vers le tertiaire sont possibles, mais le statut n'est pas aussi valorisant. Nous incitons Accor et nos autres clients à généraliser l'installation de lits qui se soulèvent aisément.

Comment rendre les métiers de la propreté attractifs auprès des jeunes ?

Nous devons faire savoir que la propreté permet aux salariés de connaître une certaine ascension sociale. L'un de nos chefs d'agence est un ancien laveur de vitres, par exemple.

Le recrutement de travailleurs handicapés permet-il de pallier la pénurie de main-d'œuvre ?

J'ai décidé que nous devions arrêter de régler des pénalités importantes à l'Agefiph alors que nous pouvions utiliser cet argent pour améliorer notre recrutement. Nous avons atteint un niveau d'emploi de travailleurs handicapés de 6,75 %, puis de 6,95 % ces deux dernières années. Le problème sera de maintenir ce score, car la loi du 11 février 2005 modifie les modes de calcul.

Quelles sont vos relations avec les partenaires sociaux ?

En tant que patron, je suis maître chez moi. Mais les délégués syndicaux ont mon numéro de portable et je suis toujours prêt à discuter. Cependant, les accords ne sont pas des outils fondamentaux. Mieux vaut agir avec les DS que de signer un texte sur les conditions du dialogue social, par exemple. Je ne veux pas que les consignes des confédérations entravent ma liberté d'exécution.

Les 35 heures ont-elles eu un impact sur les résultats de votre société ?

Les 35 heures nous ont forcés à gérer de façon plus rigoureuse. Auparavant, nous ne mesurions pas la quantité d'heures de travail nécessaire aux tâches administratives. Les 35 heures nous ont obligés à optimiser l'organisation. Par contre, l'augmentation de 31 % du smic depuis juillet 1999 nous a coûté entre 1 et 1,5 % de marge par an. C'est pourquoi je ne cherche pas à assouplir le temps de travail, mais à réduire son coût.

Le contrat nouvelles embauches est-il une bonne chose pour votre secteur ?

Le CNE nous posera des problèmes. L'article L. 122-12 du Code du travail et l'annexe 7 de la convention collective nous oblige à reprendre le personnel d'un concurrent lorsque nous gagnons un appel d'offres.

Que se passera-t-il le jour où je reprendrai le chantier d'une PME de moins de 20 salariés qui a embauché sous CNE alors que je n'ai pas le droit d'utiliser ce type de contrat ? Il y a là un vide juridique auquel, pour le moment, le gouvernement ne sait pas répondre.

Pourquoi avez-vous autant défendu la candidature de Laurence Parisot à la présidence du Medef ?

J'ai effectivement soutenu la candidature de Laurence Parisot auprès du Groupement des professions de services et bataillé ferme pour obtenir le soutien de la FEP. Elle est jeune, c'est une femme, deux caractéristiques intéressantes pour notre image. Nous en avons besoin, car les polémiques avec le gouvernement ont donné une mauvaise image du patronat. De plus, le Medef reste trop tourné vers l'industrie, et Laurence Parisot vient des services. À terme, il est indispensable que les entreprises de services prennent plus de poids dans les instances patronales.

Propos recueillis par Éric Béal, Denis Boissard et Jean-Paul Coulange

Auteur

  • Éric Béal