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Vie des entreprises

Sephora a mis sa GRH au carré, Marionnaud lui emboîte le pas

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.11.2005 | Sandrine Foulon

Si Sephora prône la rigueur dans l'organisation du travail et la recherche de la performance, le leader du secteur Marionnaud prend le tournant de la rationalisation, sous la pression de son repreneur, AS Watson. Doublons, temps de travail, système de rémunération… les réorganisations à venir inquiètent des salariés habitués au paternalisme de l'ancien propriétaire, Marcel Frydman.

Pour s'offrir le rouge à lèvres Kiss Kiss de Guerlain, l'eau de toilette Kenzoair ou la crème magique à faire fondre les capitons, à chacun sa bonne adresse. Il y a celles et ceux (de plus en plus nombreux) qui ne jurent que par Marionnaud et d'autres qui préfèrent Sephora. Les deux champions de la parfumerie qui ont amarré leur vaisseau amiral sur les Champs-Élysées se disputent le marché à coups d'exclusivités, de cartes de fidélité, de produits maison – Sephora possède sa propre ligne d'articles –, de promos, d'innovations marketing et de recettes managériales pour attirer le chaland. Car si Marionnaud, leader en France, et Sephora, son challenger, vendent du rêve, ils connaissent aussi leurs tables de multiplication.

Propriété de LVMH depuis 1997, Sephora a dû s'administrer un remède de cheval pour remonter la pente, après la crise de 2001. Forte de ses multiples acquisitions de parfumeries indépendantes, l'entreprise familiale Marionnaud a pu négocier les meilleurs tarifs auprès des fabricants et jouer avec les marges arrière mais a fini aussi par accumuler les dettes. Fin 2004, le groupe enregistrait une perte nette de 100 millions d'euros avant d'être repêché in extremis, en mai dernier, par le milliardaire chinois Li Ka-shing, propriétaire du groupe AS Watson qui, le nez dans les comptes, va de surprise en surprise. Devant les soupçons de fraudes financières, Marcel Frydman, le précédent propriétaire et ses fils Gérald (chargé des finances) et Jean-Pierre (directeur de l'informatique) ont dû prématurément tirer leur révérence en septembre. Quant à l'Autorité des marchés financiers, elle vient de rendre un rapport accablant sur la gestion des anciens dirigeants et les « oublis » des commissaires aux comptes, KPMG en tête

Dans ce grand chambardement, chacun tente de conserver son identité. Sephora porte toujours l'empreinte de son fondateur, le charismatique Dominique Mandonnaud. Il y a encore quelques mois, tout le personnel du siège était tenu de s'habiller en noir et blanc. Héritage de l'amour immodéré de son créateur pour le style Buren. « C'était dans un souci de perfection, pour vendre une image de beauté, explique une salariée. Aujourd'hui, on demande juste aux salariés d'avoir une tenue soignée. » Passée sous la bannière LVMH, l'enseigne continue à cultiver une rigueur quasi militaire dans la conception des boutiques : couleurs dominantes noir, blanc et rouge, concept épuré, produits en libre-service, conseil à la demande, rangements impeccables, uniformes pour les conseillers…

Le management des troupes est à l'avenant. « Tout est très hiérarchisé, avec des conseillers ventes, des “spé” – les chefs de rayon –, le directeur du magasin… Chaque vendeur est attaché à une zone : soins, maquillage, bar à ongles, parfums… et n'en bouge que rarement. Dès qu'on a décroché une vente, l'idée est d'orienter le client vers le professionnel de son secteur. Pas question de papoter entre nous. Nous sommes là pour le client », résume une vendeuse d'un magasin Sephora du sud de la France.

Un « papy Frydman » adulé

Chez Marionnaud, en revanche, c'est plutôt ambiance boutique de quartier. L'enseigne joue la proximité. Les clientes se font bichonner dans un cadre beaucoup plus fouillis. Une recette qui a fait le succès de Marcel Frydman. Parti de rien il y a vingt ans, cet ancien adhérent du parti communiste a bâti un empire à partir d'une petite parfumerie achetée pour sa femme à Montreuil. Avant de multiplier les acquisitions de points de vente, puis de racheter les parfumeries Bernard Marionnaud en 1996. Adulé par une grande majorité de ses vendeuses, « papy Frydman » pratiquait le culte de la personnalité et le management à l'affectif. « Tous les ans, il réunissait tout le personnel pour une grande fête, explique un cadre du siège. En 2003, Julien Clerc était venu fredonner quelques chansons et Patrick Bruel a lu un petit discours à la gloire du fondateur. Le tout précédé d'un speech de Marcel Frydman, applaudi à tout rompre par le personnel debout. » Le septuagénaire donnait volontiers son numéro de portable à tout le monde. « C'était un avantage, souligne une ancienne de la maison, vendeuse à Paris. Car il savait trancher les différends. Une page est tournée. »

Et bel et bien tournée. « Les salariés font désormais connaissance avec l'entreprise moderne et ses processus rationnels, explique un cadre de la nouvelle direction mise en place par AS Watson. Le paternalisme a ses limites. On peut tout régler soi-même avec 20 boutiques. Pas avec 1 230 magasins et 9 000 salariés dans le monde. » Hugues Witvoet, le nouveau P-DG, 48 ans, diplômé de l'Essec, passé par L'Oréal, Shell, McKinsey et… LVMH, où il était notamment directeur des programmes de développement pour Sephora, n'a ni l'intention de « séphoriser » Marionnaud ni celle de régler les conflits interpersonnels. Il laisse cela à la nouvelle direction des ressources humaines qui entend déployer toute la panoplie des outils modernes. À commencer par la formation.

Le groupe veut passer de 0,9 % de sa masse salariale à 3,7 % (contre 2,71 % pour Sephora), soit un budget de 4 millions d'euros. Pour gérer 4 000 vendeuses et plus de 500 responsables de magasin en France, l'enseigne a également créé des postes de DRH régionaux. Le tout nouveau comité de direction de 10 membres issus de PPR, Conforama ou Mr. Bricolage, qui ne compte plus qu'un seul ancien, remet à plat toutes les structures commerciales, marketing, informatiques et logistiques dans un soucides implification. Marionnaud France compte 160 sociétés différentes, et l'ambition du nouvel actionnaire est de ramener ce chiffre à 4 d'ici à la fin de l'année.

Jusqu'à cinq primes différentes

Chez Sephora, pas la peine d'expliquer au P-DG, Jacques Lévy, ce qu'est un processus de rationalisation et d'économie. Le projet Bee, mis en place par la direction en 2001 pour renouer avec la croissance, a porté ses fruits. Mais cette meilleure gestion de l'activité a des conséquences sur les troupes. « Tous les temps morts ont été supprimés, explique un salarié du grand magasin des Champs-Élysées. Nous sommes coachés à l'heure. » En marge du briefing matinal où tous les salariés sont informés du chiffre réalisé la veille et de l'objectif à atteindre pour la journée, les employés savent désormais heure par heure si le « TT », le « taux de transformation » des visiteurs en acheteurs, a été atteint.

Au-dessus des portes d'entrée, des capteurs comptabilisent le nombre devisiteurs, rapporté ensuite au nombre de ventes réalisées. « Si le TT n'est pas concluant, le responsable de magasin vient nous booster pour rattraper le retard. Et réorganise les troupes en conséquence pour doper les ventes. Par expérience, le pic d'activité se situe plutôt vers 14 heures. Du coup, on renforce les équipes de vente à ce moment-là. Tant pis si on ne peut plus s'occuper des tâches fonctionnelles, voire d'encadrement des équipes », poursuit ce salarié. En fin de journée, les équipes savent si elles toucheront la prime journalière qui récompense la réalisation de l'objectif fixé et qui varie entre 6 et 9 euros selon la fonction.

« C'est à la fois motivant et source de stress, admet Valérie Audibert, déléguée syndicale CFDT, conseillère à Toulon. Auparavant, nous n'avions pas de lisibilité. Aujourd'hui, nous savons si nous avons fait le chiffre ou non. » Rémunérés sur la base du smic, mais sur douze mois, les salariés de Sephora peuvent toucher jusqu'à cinq primes différentes. Outre la journalière, il existe une prime « marques animées » versée lors des quinzaines d'animation d'une marque donnée, et la prime « marque partenaire » négociée le plus souvent à l'année avec des grands de la cosmétique et du parfum, qui récompense un volume de ventes. Finalement, les salariés peuvent percevoir entre 12 et 18 euros brut supplémentaires par jour. Enfin, la dernière-née, la prime « marques émergentes », a été créée pour pousser les vendeurs à proposer les nouveaux produits comme la crème antiboutons Dr Murad ou antirides Dr Brandt en provenance des États-Unis.

Cette politique de la carotte possède ses limites.« Le variable, c'est bien, mais il faudrait une augmentation collective pour tous », préconise la CFDT. Sur un chat de recrutement organisé par Sephora, la direction affirmait en juin dernier : « Le salaire moyen d'une conseillère de vente est de 1 260 euros brut par mois, auquel s'ajoutent les primes sur chiffre d'affaires, la participation et l'intéressement. En moyenne, une conseillère est donc payée sur seize mois en fonction des résultats de son magasin. » « Seize mois ! s'étrangle un conseiller. Même si on compte les deux produits gratuits auxquels nous avons droit tous les mois plus la trousse de maquillage offerte par le groupe, on n'y arrive pas. »

Beaucoup plus novice sur le terrain de la rémunération au résultat, Marionnaud vient d'instaurer cet été une prime de performance mensuelle. En fonction de son chiffre d'affaires de l'année précédente et de sa localisation, chaque magasin se voit assigner un objectif qui oscille entre 0 et 15 % de progression. Si le score est atteint, la prime peut monter à 100 euros brut mensuels. Ce nouveau système de motivation passe diversement auprès d'une population payée ausmic, avec un salaire moyen annuel de 1 519 euros pour les employés sur treize mois (2 364 euros pour les agents de maîtrise) et un net différentiel en faveur des hommes. Chez les cadres, le revenu annuel moyen atteint 2992 euros pour les femmes contre 5 023 pour les hommes.

35 jours de RTT chez les cadres

« Pourquoi pas cette nouvelle prime ? s'interroge Danièle Salotti, déléguée syndicale FO. C'est une source de revenus supplémentaires. On attend de voir. » Dans un magasin de l'Est, toute l'équipe a touché sa première prime. « Notre objectif était de faire le même chiffre que l'année précédente et nous y sommes arrivées, explique la gérante. Contrairement à certains magasins parisiens, nous n'avions pas la même proximité avec le fondateur et pas nécessairement les mêmes avantages. Nous trouvons cela plus équitable. » Nathalie, esthéticienne dans un magasin à Paris, 1 200 euros mensuels, espère en toucher les premiers bénéfices. Mais, depuis juillet, nombre de conseillères n'ont rien vu venir. « On est vraiment dans le flou. On a appris la suppression des gueltes – les primes octroyées par les marques – par le représentant d'une marque, se plaint une conseillère parisienne. Et pour le moment les filles voient plutôt leur bulletin de paie diminuer. »

Dans l'attente des nouvelles orientations décidées par AS Watson, les salariés nourrissent quelques craintes. Notamment pour le temps de travail. Aujourd'hui, ils travaillent 33 heures sur quatre jours. « Idéal pour la vie de famille. Contrairement à Sephora où les temps partiels sont plus nombreux – un quart des salariés travaillent moins de 30 heures par semaine –, on peut facilement travailler à temps plein et s'organiser », poursuit Nathalie. Les cadres restés à 39 heures bénéficient en compensation de trente-cinq jours de RTT qui viennent s'ajouter aux cinq semaines de congés payés. « Les 170 cadres commencent à comprendre que ça ne pourra peut-être plus durer », lâche un salarié du siège à Vincennes. Schéma plus classique chez Sephora avec un accord sur les 35 heures qui prévoit une modulation avec des périodes basses et des périodes hautes, comme Noël, où les semaines peuvent atteindre 44 heures. Quant aux dimanches travaillés, sur la base du volontariat, ils sont payés à 200 %.

Inquiétude sur les doublons

Motif supplémentaire d'inquiétude pour les salariés de Marionnaud, les doublons sur les plates-formes logistiques. « Marcel Frydman collectionnait les parfumeries et tout ce qui les accompagnait. À terme, il faut s'attendre à une réorganisation », pronostique un cadre. Le groupe compte, en effet, 25 plates-formes en France, 7 en Espagne, 5 en Italie, alors que Sephora n'en recense qu'une en Europe. à Vincennes, les dernières révélations sur la santé du groupe pourraient accélérer la cure d'amaigrissement et provoquer le départ de la moitié des troupes du siège. Dans les boutiques, on attend de voir comment va se décliner la politique annoncée de « respiration » des magasins avec rénovations, fermetures et (ré)ouvertures à la clé. « AS Watson redresse la barre mais est aussi dans une logique d'expansion. L'objectif est d'ouvrir 5 000 magasins en cinq ans, avance un cadre plutôt confiant. Après la France, il s'agit d'attaquer le marché étranger où l'enseigne est présente dans 14 pays. » Reste à savoir si les 800 millions d'euros investis par le nouvel actionnaire suffiront à éponger les mauvais comptes.

Chez Sephora, pas de souci de doublons, si ce n'est au siège de Saran, à deux pas d'Orléans, qui bruisse de rumeurs de rapprochement avec le site de Boulogne (80 salariés). Mais le développement de l'enseigne, qui recrute plus de 700 personnes par an en CDI, rassure le personnel. « Sephora, ce n'est pas le bagne, tempère une conseillère. Si on est motivé et qu'on adhère au projet, on peut grimper les échelons. » Néanmoins, la course au chiffre n'est pas toujours bien acceptée. « Tous les mois, une acheteuse mystère vient vérifier quel 'on accueille correctement les clients, que l'on utilise les termes recommandés dans la “bible Sephora”, le petit manuel à l'usage des salariés. » Une visite à l'issue de laquelle chaque magasin est noté.« C'est courant dans la distribution, mais c'est un peu la chape de plomb », estime un vendeur s'exprimant sous le couvert de l'anonymat, comme d'ailleurs la plupart des salariés rencontrés. Car l'univers de la parfumerie est beaucoup plus prolixe sur les marques que sur la politique des ressources humaines. Et les salariés préfèrent se montrer méfiants. « En 2003, le magasin du Carrousel du Louvre a fait grève pour défendre les salaires. Sur les 26 personnes, 23 ont participé au mouvement. Il en reste quatre aujourd'hui, dont un salarié protégé », énumère un employé de Sephora.

La filiale de LVMH, qui ne possède pas d'accord syndical, se fait parfois tirer l'oreille pour appliquer les accords. Trouver les coordonnées des représentants syndicaux normalement affichés au siège comme dans les magasins relève de la gageure. En raison d'une divergence entre la direction et les syndicats sur le nombre de sièges par collège, le CE est resté vacant pendant trois mois. L'Inspection du travail a donné raison aux syndicats et de nouvelles élections ont eu lieu en octobre. « Mais l'information a très peu circulé. Que ce soit au siège ou dans les magasins », relève une salariée de Saran. Côté Marionnaud, les syndicats sont sur leurs gardes face à un nouvel interlocuteur. Mais ils savent que l'émiettement des salariés ne plaide pas en leur faveur. « Ce n'est pas facile de rassembler des centaines de boutiques et de fédérer des populations assez individualistes », explique une syndicaliste. Sans compter leurs propres divisions. Car, que ce soit chez Sephora ou chez Marionnaud, les bisbilles intersyndicales font plutôt le jeu de la direction.

Jeunisme et turnover élevé

Le secteur de la cosmétique et de la parfumerie ne déroule pas le tapis rouge aux quadras ni aux quinquas. Et le jeunisme frappe davantage Sephora que Marionnaud. L'enseigne de LVMH affiche une moyenne d'âge de 28 ans. Dans les boutiques qui emploient beaucoup de jeunes vendeurs et d'étudiants, un tiers des employés ont moins de 25 ans contre un quart pour Marionnaud. Le siège de Sephora ne fait pas exception. Les quinquas y font figure de Mohicans. Et, selon le bilan social de 2004, sur 257 cadres, seuls 8 ont plus de 45 ans.

Mais les jeunes recrues ne font pas nécessairement de vieux os. Plus de la moitié des salariés de Sephora alignent moins de trois ans d'ancienneté. Une différence avec Marionnaud, où les « anciennes » sont légion. Environ 20 % des salariés ont moins de deux ans d'ancienneté.

Quant au turnover, il reste élevé. Sephora affichait en 2004 un taux de 24,6 % (17 % chez les cadres, 27 % chez les employés), même s'il a baissé de 10 points en deux ans (34,4 % en 2002). Début 2005, il atteindrait 14 % selon la direction qui s'exprimait en juin dernier lors d'un forum de discussion sur le recrutement : « Notre turnover n'a jamais été aussi bas et la participation aux résultats n'a jamais été aussi importante. Le meilleur moyen de fidéliser nos clients et d'avoir de bons résultats est d'avoir une bonne ambiance en magasin et une équipe épanouie. Et c'est le cas aujourd'hui. » « Le groupe a sans doute réussi à fidéliser un certain nombre de salariés mais cette baisse peut aussi s'expliquer par un marché de l'emploi qui s'est nettement refroidi. Les gens ont peur de se retrouver au chômage », nuance un conseiller de Sephora.

Pour celles et ceux qui s'accrochent, la promotion interne demeure importante dans les deux enseignes. Toujours selon ce forum de discussion, Sephora affirme promouvoir deux postes sur trois en interne.

Auteur

  • Sandrine Foulon