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Vie des entreprises

Drogues en entreprise

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.11.2005 |

De quelles armes dispose l'employeur qui souhaite endiguer l'alcoolisme en entreprise ? Le recours à un test d'alcoolémie ? Oui, mais à condition que le règlement intérieur le prévoie et que son utilisation soit justifiée par la nature du travail de l'intéressé. Le licenciement pour faute grave ? En principe seulement en cas de trouble caractérisé dans l'entreprise.

Tabac, alcool, cannabis : bien que le sujet soit souvent tabou, tout employeur ou délégué s'est un jour trouvé confronté à un problème de drogue. Chacun cherche à y répondre en fonction de multiples facteurs, y compris personnels : une entreprise de transport ou de chimie y est nécessairement plus attentive qu'une société de publicité, et les chauffeurs de bus ou conducteurs de Fenwick ne font pas courir les mêmes risques aux tiers que les créatifs du marketing. La question est d'autant plus délicate à traiter que l'encadrement, y compris au plus haut niveau, n'est pas toujours sans reproche sur ces terrains glissants : les whiskys et cognacs des étages les plus élevés ne figurent toujours pas dans la liste des boissons tolérées donnée en 1918 par l'article L. 232-2 : « Vin, bière, poiré et cidre. » Si le BTP a, comme de nombreux métiers très physiques, acquis une solide réputation de défense de nos vignobles, l'alcoolisme mondain est une réalité en France, pays riche de si nombreux nectars source de rabelaisienne convivialité : pots de départ et d'arrivée (« Il est des nôtres »), fêtes du comité d'entreprise… Mais, avec 2 millions de personnes alcoolodépendantes, et des entreprises ou des collectivités territoriales décomptant parfois entre 10 et 20 % de buveurs excessifs avec les incidents et accidents de travail qui vont avec, il est temps de réfléchir aux « problèmes d'hygiène alimentaire », voire d'« intempérance ».

Au-delà du sort personnel des intéressés, le devoir d'une entreprise est de préserver les autres salariés, voire les clients, des errements de ses préposés : préposés dont elle devra répondre le cas échéant, civilement, voire médiatiquement. Si un état d'ébriété manifeste au temps et lieu de travail permet un licenciement pour faute (grave ?) en raison de ses conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise, le plus discret alcoolisme chronique pose de difficiles questions. Car c'est « l'état de santé » du salarié qui est alors en cause, avec la sanction de la nullité de la rupture prévue à l'article L. 122-45 : la personne démontrant ainsi sa détresse mérite mieux que le chômage de longue durée pour remonter la pente. Au Québec, non seulement l'alcoolisme lui-même ne peut constituer un motif légitime de licenciement, mais l'entreprise doit financer les nécessaires cures de désintoxication.

1° Prévention (des accidents ?)

Article L. 232-2 : « Il est interdit à toute personne ayant autorité sur les salariés de laisser entrer ou séjourner dans l'établissement des personnes en état d'ivresse. » Oui, mais comment le prouver ? Par un test fiable d'alcoolémie. Mais on peut alors s'interroger sur sa fonction exacte : permettre d'interdire immédiatement au salarié concerné de prendre son poste, préservant ainsi sa santé et sa sécurité, mais aussi celles des tiers (collègues, clients, usagers) ? Ou constituer ainsi la preuve d'un taux excessif pour sanctionner le salarié fautif ? Hélas pour tout le monde, les positions du Conseil d'État et de la Cour de cassation divergent.

Pour le Conseil saisi de contestations visant le contrôle du règlement intérieur par l'Inspection du travail, « la soumission à l'épreuve de l'Alcotest ne peut avoir pour objet que de prévenir ou de faire cesser immédiatement une situation dangereuse, et non de permettre à l'employeur de faire constater par ce moyen une éventuelle faute disciplinaire ». L'administration ne peut donc exiger de l'employeur l'ajout de la possibilité d'une contre-expertise (C. d'État, 12 novembre 1990, que l'on espère dépassé).

Car, pour la chambre sociale, au contraire, « les dispositions d'un règlement intérieur permettant d'établir sur le lieu de travail l'état d'ébriété d'un salarié en recourant à un contrôle de son alcoolémie sont licites, dès lors que les modalités de ce contrôle en permettent la contestation » (Cass. soc., 24 février 2004). Bref, une contre-expertise, toujours délicate à mettre en œuvre pratiquement. Au minimum faut-il prévoir dans le règlement intérieur la présence d'un tiers lors du contrôle afin de limiter à la fois toute provocation patronale et contestation salariale. On reconnaît ici la politique jurisprudentielle extrêmement attentive au respect de la santé du salarié, mais aussi des tiers, mise en œuvre par la chambre sociale qui a redécouvert depuis 2002 le détonant article L. 230-3 datant de 1991, transposant lui-même la très responsabilisante directive de 1989 : en dernier lieu, l'obligation de sécurité de résultat mise en œuvre le 29 juin 2005 en faveur des non-fumeurs.

Si le règlement intérieur prévoit la possibilité d'un Alcotest, dont l'utilisation est proportionnée au but recherché (« la sécurité et la santé du salarié, mais aussi celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou omissions »), l'employeur peut donc en tirer des conséquences disciplinaires. Encore faut-il que ce contrôle d'alcoolémie soit ciblé, c'est-à-dire « justifié par la nature de la tâche à accomplir », comme l'avait énoncé le très célèbre arrêt Corona rendu le 1er février 1980 par le Conseil d'État repris ensuite par l'article L. 122-35. Dans l'arrêt du 24 février 2004, il s'agissait d'un agent technique de chauffage : « Eu égard à la nature du travail confié à ce salarié, un tel état d'ébriété est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger, de sorte qu'il peut constituer une faute grave » (dans le même sens, Cass. soc., 22 mai 2002). Les secteurs chimie ou BTP peuvent donc légitimement avoir des règles de contrôle plus sévères que l'informatique ou la publicité.

Mais qu'en penserait la très sourcilleuse cour de Strasbourg ? Dans l'affaire Madsen/Danemark du 7 novembre 2002, elle a validé un test d'urine prévu par le règlement intérieur d'une compagnie de ferrys, signé par chaque salarié. Au garçon de cabine contestant au nom de l'article 8 de la CEDH (« droit au respect de la vie privée ») cette méthode destinée à révéler la consommation de drogues ou d'alcool dans les quarante-huit heures précédentes, elle a répondu que l'objectif du règlement intérieur de cette entreprise de navigation était légitime au titre de « la protection de la santé ou des droits et libertés d'autrui » figurant au second alinéa de l'article 8 et indispensable à la sécurité des passagers du ferry.

« L'employeur ne peut procéder à l'ouverture de l'armoire individuelle [où avaient été trouvées trois canettes de bière] d'un salarié que dans les cas et aux conditions prévus par le règlement intérieur et en présence de l'intéressé ou celui-ci prévenu » : l'arrêt du 11 décembre 2001 a été repris le 6 juillet 2005 s'agissant d'un salarié licencié pour « détention et consommation d'alcool : faute grave ». La chambre sociale y rappelle le nécessaire principe du contradictoire, ajoutant que « la seconde visite en présence de l'intéressé ne permettait pas de valider la première » : inopposabilité de la preuve en matière de détention d'alcool. L'employeur ne pouvant par ailleurs prouver la consommation d'un alcool interdit par le règlement intérieur, défaut de cause réelle et sérieuse. Si le règlement intérieur prévoit des contrôles justifiés et proportionnés, le refus de s'y soumettre peut alors constituer une faute.

2° Sanctionner

Au-delà du débat de fond sur les effets d'une sanction et surtout d'un licenciement sur l'état de santé d'un salarié aux prises avec l'alcool, l'entreprise se trouve ici en position délicate. Si l'ébriété manifeste a des conséquences permettant l'exercice du pouvoir disciplinaire, un alcoolisme chronique aboutit souvent à des sanctions légères pour des raisons humaines respectables, donnant le sentiment d'une relative tolérance à l'égard de comportements qu'il sera ensuite difficile de sanctionner par un licenciement, a fortiori pour faute grave : « Le comportement d'intempérance ayant été longuement toléré et aucun avertissement préalable n'ayant été fait, le licenciement du salarié ne peut reposer sur une faute grave mais seulement sur une cause réelle et sérieuse. » (Cass. soc., 22 février 1995.)

Comportements fautifs dans l'entreprise

Si le « seul état d'ébriété ne peut constituer une faute grave » rendant impossible le maintien d'un salarié classique dans une entreprise normale (Cass. soc., 17 mai 2000), les violences commises par un salarié dans cet état, même en dehors de son temps de travail, constituent une telle faute (Cass. soc., 28 mars 2000). Il en va de même lorsque « ces absences réitérées, malgré trois avertissements, perturbaient le travail en équipe ; ce comportement était de nature à rendre impossible le maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis » (Cass. soc., 15 novembre 2000).

Mais cet effet recherché de la faute grave (éviction immédiate) prive aussi le salarié de ses indemnités de rupture : la chambre sociale ne l'accepte donc pas facilement. Ainsi de l'ouvrier « surpris avec des collègues à 12h50 dans les vestiaires un verre de pastis à la main » et qui, malgré ses quatorze ans d'ancienneté sans reproche, se voit licencié pour faute grave : la Cour remarque que la consommation n'a pas eu lieu dans l'atelier et que l'introduction du pastis fatal ne lui était pas imputable (licenciement non fondé, Cass. soc., 24 février 2004). A fortiori, en matière d'ébriété, le seul fait de tutoyer la bouteille volontairement ou consciemment ne caractérise pas une volonté de nuire caractéristique de la faute lourde (mais grave : Cass. soc., 28 mars 2000).

« Qui a bu boira » : alcoolisme, vie privée et vie professionnelle

Au-delà des sanctions pénales (retrait du permis dont le salarié VRP ou le chauffeur de transports en commun se vantent rarement, détention provisoire, voire emprisonnement) dont peut faire l'objet le citoyen sous l'empire de l'alcool dans sa vie privée et qui ne sont pas toujours sans incidence sur le contrat de travail, l'employeur peut-il sanctionner un subordonné ayant eu un comportement délictueux dans sa vie personnelle ? La réponse semble être dans la question : le patronus n'est plus le père.

Bénéficiant de la plus grande publicité puisque mis en ligne sur le site cour de cassation.fr, l'arrêt du 2 décembre 2003 témoigne cependant d'une intéressante évolution de la Cour de cassation. Un chauffeur de poids lourd avait été licencié pour faute grave à la suite de la suspension (puis annulation car récidiviste) de son permis pour conduite en état d'ivresse au volant de son véhicule personnel, dans sa vie privée. Croyant être dans la ligne Maginot construite entre vie professionnelle et vie personnelle, la cour d'appel avait indiqué qu'« étant intervenu à titre privé et non dans l'exécution du contrat de travail », l'incident en cause ne pouvait caractériser une faute disciplinaire ». Cassation :« Le fait pour un salarié affecté à la conduite de véhicules de se voir retirer son permis de conduire pour conduite en état d'ivresse, même commis en dehors de son temps de travail, se rattache à la vie professionnelle. » Et elle accepte la rupture pour cause réelle et sérieuse retenue initialement par les prud'hommes. Le licenciement est donc validé sans qu'aucun « trouble objectif et caractérisé » ne soit intervenu dans l'entreprise. Mais, s'agissant d'un chauffeur littéralement « poids lourd », il est parfaitement légitime que la Cour permette de l'écarter immédiatement de son véhicule : il ne fallait pas attendre cinq morts et huit blessés graves sur l'A5 pour appliquer le principe de précaution, ici en forme de simple bon sens.

Reste que de nouveaux comportements addictifs commencent à se faire jour, et en particulier l'utilisation de cette troisième main qu'est devenu le téléphone portable, qu'il soit personnel ou professionnel. Pour tous nos itinérants, « l'usage d'un téléphone tenu en main par le conducteur d'un véhicule en circulation est interdit » (article R. 412-6-1 du Code de la route). Et s'il s'agit d'un accident à la suite d'un appel de l'entreprise, la faute inexcusable n'est pas loin…

FLASH

• Coup de tabac jurisprudentiel

Près de trente ans après la loi du 9 juillet 1976 « relative à la lutte contre le tabagisme » et de quinze ans après celle du 10 janvier 1991, il est temps que les non-fumeurs ne soient plus contraints de supporter le tabagisme actif de leurs collègues. L'arrêt du 29 juin 2005 va y contribuer.

Une salariée se plaint à plusieurs reprises de la fumée de ses voisins. L'employeur appose alors des panneaux d'interdiction de fumer et rappelle par note de service cette interdiction… sans grand succès. La salariée prend alors acte de la rupture, l'employeur lui répondant qu'il avait fait ce qu'il devait pour mettre un terme à son tabagisme passif.

« Tenu d'une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne leur protection (des salariés) vis-à-vis du tabagisme dans l'entreprise, l'employeur n'avait pas satisfait aux exigences imposées par les textes. » Reprenant « l'obligation de sécurité de résultat liée au contrat de travail » énoncée par l'assemblée plénière le 24 juin 2005, la chambre sociale a légitimement mis la barre très haut.

1° Fumer peut nuire gravement à l'emploi des récalcitrant(e)s puisque des sanctions disciplinaires pourront être prises à leur égard.

2° « L'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié » : la faute inexcusable n'est pas loin si un non-fumeur déclare dix ans après un cancer du poumon.

3° Pour les collaborateurs chassés par la concurrence, l'envahissante fumée s'apparente au Loto (prise d'acte requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse).