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Repères

Une réforme beaucoup trop timide

Repères | publié le : 01.11.2005 | Denis Boissard

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Une réforme beaucoup trop timide

Crédit photo Denis Boissard

Une réforme « d'une ampleur jamais égalée », « la plus grande depuis trente ans », « une révolution culturelle ». À la mi-2004, dans un bel exercice d'autopromotion, le cardiologue Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Santé, n'avait pas de termes assez élogieux pour vanter les mérites de « sa réforme » de l'assurance maladie. Grâce à son plan, celui qui se campait bien immodestement en sauveur de la Sécu annonçait – grâce à 5 milliards de recettes supplémentaires et, assurait-il, à terme, 10 milliards d'économies par an – un retour à l'équilibre des comptes de la branche maladie d'ici à trois ans, c'est-à-dire en 2007.

Las ! un peu plus d'un an après les prophéties tranquillisantes du magicien Douste-Blazy, la dure réalité des chiffres s'impose. Le retour à l'équilibre de l'assurance maladie est repoussé à… 2009, à condition toutefois que se concrétisent les perspectives économiques très volontaristes avancées par le gouvernement, notamment une croissance de 2,6 % par an entre 2007 et 2009, et une hausse des dépenses de santé contingentée à 2,2 %, soit à peine plus que l'inflation.

Triste anniversaire pour la Sécu qui souffle ses 60 bougies. Si le déficit de l'assurance maladie devrait être ramené de 11,6 milliards d'euros en 2004 (un record historique) à 8,3 milliards en fin d'année, c'est essentiellement grâce aux nouvelles ponctions sur les assurés : franchise de 1 euro par consultation, hausse du forfait hospitalier, augmentation de la CSG sur les retraites et les revenus du patrimoine et extension de son assiette à 97 % du salaire (contre 95 % jusqu'alors). Parant au plus pressé, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2006 en rajoute une louche : nouvelle hausse du forfait hospitalier, création d'un franchise de 18 euros sur tous les actes d'un montant supérieur à 91 euros (un coup de canif dans le principe de la gratuité des actes lourds dont on perçoit mal la portée pédagogique pour les assurés, la décision relevant du seul médecin), déremboursement total de 156 médicaments au service médical jugé insuffisant et partiel de 62 autres médicaments. Une opération de colmatage qui rappelle furieusement la bonne vingtaine de plans d'urgence administrés depuis les premiers déficits de la Sécu, conjuguant hausse des prélèvements et baisse des remboursements.

Si les dépenses de santé ralentissent, en vertu d'un effet psychologique que l'on constate classiquement dans l'année qui suit l'annonce d'un plan de redressement (avant de repartir de plus belle à la hausse les années suivantes), les instruments de régulation mis en place par la réforme Douste-Blazy sont loin d'avoir fait la preuve de leur efficacité… s'ils la font un jour.

Car, le moins que l'on puisse dire, c'est que le bon docteur Douste-Blazy y est allé moderato cantabile sur les mesures de régulation touchant ses honorables confrères. Les leçons du plan Juppé ont été tirées : plus question pour un gouvernement de droite de se fâcher avec les médecins et avec leur syndicat majoritaire, la CSMF. Résultat, la convention médicale conclue en janvier 2005 s'apparente à un habile tour de passe-passe pour doper les revenus des spécialistes, sous couvert d'organiser le parcours de soins entre ces derniers et les « médecins traitants » que deviennent les généralistes. Comble du paradoxe, une sorte de prime au nomadisme médical est instituée au profit des médecins spécialistes : outre la revalorisation de leurs honoraires, ceux-ci peuvent désormais appliquer des dépassements tarifaires lorsque les patients viennent les consulter sans passer par leur médecin traitant. Avec le risque d'une médecine à deux vitesses, les spécialistes étant ainsi incités à donner la priorité aux assurés non vertueux. À l'inverse, le rôle pivot du médecin traitant n'est guère valorisé : exit la rémunération forfaitaire dont ils bénéficiaient à ce titre dans le système conventionnel antérieur du médecin référent, exit aussi les engagements de qualité qui allaient de pair (formation, limitation du nombre d'actes, participation à des actions collectives de prévention ou d'amélioration des pratiques…). D'où la grogne de beaucoup de généralistes, lesquels traînent ostensiblement les pieds.

Était-ce vraiment nécessaire ? À en croire l'économiste Béatrice Majnoni d'Intignano, « le pouvoir d'achat moyen des spécialistes a augmenté de 40 % depuis 1980, celui des généralistes de 20 %, celui des cotisants de 15 % ». Édifiant. De quoi conforter le dernier rapport de la Cour des comptes qui épingle durement des professions de santé promptes à revendiquer des revalorisations d'honoraires sans respecter les engagements de modération pris en contrepartie.

Entreprises et salariés peuvent se faire du souci : entre le désengagement progressif de l'assurance maladie au profit des complémentaires santé et la faiblesse de la régulation des dépenses de santé, l'addition promet d'être salée en termes de cotisations salariales et patronales.

Auteur

  • Denis Boissard