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Enquête

ÉCRÉMAGE IMPITOYABLE POUR LES STARS DU CONSEIL

Enquête | publié le : 01.11.2005 | Stéphane Béchaux, Valérie Devillechabrolle

Issus des meilleures écoles, chèrement payés, les consultants de haut vol doivent néanmoins se plier au travail d'équipe, car leur efficacité dépend de l'expertise collective. En concurrence en interne, évalués à chaque mission, ils n'ont d'autre choix que de monter ou de partir : « up or out ».

Facturé 3 000 euros par jour, le consultant en stratégie et organisation n'est pas bon marché. Pour convaincre les clients potentiels – directions générales ou comités exécutifs, le plus souvent – que la prestation sera à la hauteur, les cabinets de conseil vantent la qualité de leurs écuries. Des pur-sang issus des formations les plus sélectives. « Sur les campus des meilleures écoles de commerce et d'ingénieurs ou sur les MBA, la concurrence est féroce », admet Jean-Christophe Pettinotti, vice-président chargé des RH au bureau parisien de Bain & Company. Hors Centrale, Polytechnique, Supélec, HEC, Essec, ESCP et quelques autres, point de salut. Pour les jeunes poulains sélectionnés commence un long processus de dressage et d'entraînement. Car, dans l'aristocratie des cabinets de conseil en stratégie, on aime les parcours balisés, l'appropriation de la culture maison et la reconnaissance de l'expérience. Associate, senior associate, consultant, project leader, manager, vice-president, senior vice-president… Au bureau parisien du Boston Consulting Group (BCG), on ne compte pas moins de sept niveaux, pour 200 consultants. « Le conseil est un métier d'expérience. C'est l'expérience accumulée qui permet d'être plus pertinent et plus efficace dans la réalisation des missions », justifie Michel Frédeau, patron de l'entité. Cette stratification poussée permet aussi de motiver et de retenir les meilleurs éléments : tous les deux à trois ans, ceux-ci ont l'assurance de monter en grade, et en rémunération (salaire d'embauche : 55 000 à 60 000 euros).

Cette multiplicité d'échelons rend extrêmement subtile la composition des équipes qui interviennent sur les missions. Le staffing, pour reprendre le vocabulaire de la profession. Une mission pour une direction générale sera forcément chapeautée par un senior vice-president. En revanche, un directeur d'usine devra se contenter, pour l'audit de son organisation industrielle, d'un chef de projet avec cinq à six ans d'expérience. La taille de l'équipe est fonction du nombre de petites mains nécessaires au recueil des données. Analyse du marché, de la structure des coûts, interviews, animation de groupes de travail chez le client. Autant de tâches considérées comme moins prestigieuses, confiées à des consultants en début de carrière.

Un véritable marché interne de l'emploi

Une fois défini le périmètre de l'équipe, reste à mettre des noms dans les cases. Plus facile de trouver des volontaires pour une mission stratégique dans une entreprise high-tech à la Défense que pour l'audit d'une unité de production de capsules en baie de Somme. « En interne, il faut arriver à se placer sur les missions les plus gratifiantes, en allant se vendre auprès du VP ou de l'associé. C'est un véritable marché interne de l'emploi, dans lequel chacun recherche ses propres intérêts », explique Jean-Baptiste Hugot, auteur du Guide des cabinets de conseil en management (Les Éditions du Management, 2005).

« Dans la composition des équipes, on ne peut pas toujours tenir compte de tous les paramètres : les affinités, l'intérêt pour la mission, l'utilisation des compétences techniques. Mais une personne qui a passé un an en province se verra proposer une mission sur Paris », confie Sylvie Mercier, DRH de Mercer Management Consulting. « Le conseil en stratégie, c'est un métier de stars. Tant qu'on leur offre une infrastructure efficace, des missions à enjeux élevés et une rétribution à la hauteur de leurs performances, ils restent. Tout repose sur la motivation », abonde Michel Frédeau. D'où le rôle clé joué, dans les cabinets, par le responsable du staffing : à lui d'optimiser les ressources pour tenter de satisfaire le plus grand nombre. Sinon, gare à la fuite des talents ! Individualistes et carriéristes, les consultants de haut vol doivent pourtant se plier à la vie de groupe. Dans le conseil, impossible de travailler dans son coin. La réussite d'une mission dépend de la coopération de tous. Aussi, les cabinets organisent régulièrement pots du vendredi, dîners dans un grand restau, séances d'œnologie… Tout est bon pour développer le sentiment d'appartenance. Fin septembre, Mercer a organisé un rallye culturel au Louvre sur le thème du Da Vinci Code.

Entraide et réseau, priorités absolues

Dans le conseil, cet esprit d'équipe ne se limite pas aux frontières du bureau. Les cabinets ont développé des bases de données informatiques qui détaillent les missions réalisées par leurs consultants tout autour du globe. Méthodologie, outils, données de marchés, « études-pays », tout est référencé, après contrôle de knowledge brokers, des « courtiers en savoir » chargés de vérifier qu'aucune donnée confidentielle n'y figure. « Le processus d'enrichissement de la base est très formalisé. Il est obligatoire enfin de mission et fait partie intégrante des critères d'évaluation », précise Sylvie Mercier. Pour les associés, l'information stratégique n'en reste pas moins la liste des collègues ayant travaillé sur la mission. Car rien ne vaut l'échange direct pour se refiler des tuyaux. « Quand quelqu'un reçoit un mail, il répond toujours. Chez Bain, c'est génétique. Celui qui refuserait de partager ses informations serait très vite sur la touche. Et se priverait d'un instrument d'une efficacité sans commune mesure », assure Jean-Christophe Pettinotti. « Comme on ne fait que du sur-mesure, rien ne peut remplacer le réseau. C'est le contact entre nous qui permet le meilleur transfert des compétences et des connaissances. L'entraide est donc une priorité absolue », abonde Michel Frédeau. Un cabinet de conseil en stratégie comme le Boston Consulting Group ne compte que 400 partners. Autant dire qu'à ce niveau presque tout le monde se connaît.

Très pyramidaux, les cabinets de conseil perdent des troupes à chaque marche vers le sommet. « C'est la méthode du up or out. Il faut monter ou partir, car il y a des jeunes qui poussent derrière », analyse Jean-Baptiste Hugot. Pas besoin de plans sociaux. Déplacements fréquents, horaires à rallonge et stress favorisent les départs naturels, le plus souvent chez des clients. Pour ceux qui restent, impossible de monter dans la hiérarchie sans prendre des fonctions d'encadrement. À la fin de chaque mission, les chefs d'équipe doivent systématiquement évaluer le travail de leurs troupes, en matière d'expertise, de valeur ajoutée ou d'esprit d'équipe. Et vice-versa : les équipes sont invitées à juger du déroulement des missions et des capacités d'animation de leur supérieur. Ces bilans alimentent les comités RH, moments clés pour décider des promotions ou des formations, très fréquentes dans la profession. « Le développement de nos collaborateurs est au cœur de notre activité. Car notre valeur ajoutée dépend entièrement de notre expertise collective », conclut Jean-Christophe Pettinotti.

Auteur

  • Stéphane Béchaux, Valérie Devillechabrolle