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Débat

Que peut faire l'État face aux restructurations économiques ?

Débat | publié le : 01.11.2005 |

Alors que la rentrée a été marquée, sur le front de l'emploi, par le plan de réduction d'effectifs de Hewlett-Packard, le gouvernement vient de renforcer son dispositif d'anticipation et d'accompagnement des restructurations. Comment les pouvoirs publics doivent-ils réagir face aux sinistres de ce genre ? Les réponses d'un économiste, du chef de la Mission interministérielle aux mutations économiques et d'un responsable syndical.

« L'État doit coordonner les moyens pour gérer sur la durée le plan de reconversion. »

ÉLIE COHEN Économiste, directeur de recherche au CNRS.

Le fracas du débat médiatique entre Paris et Bruxelles autour de l'affaire Hewlett-Packard, où l'on cherche des boucs émissaires plus que des solutions, n'en soulève pas moins des questions majeures. La volonté de H-P de réduire plus que proportionnellement sa présence en France tout en développant de nouvelles implantations hors d'Europe pose plusieurs types de problèmes.

S'agissant de la prévention des suppressions d'emplois, le démantèlement récent de la Mission interministérielle sur les mutations économiques ne cesse d'étonner. Combien de rapports ont été réalisés, combien de missions et de délégations ont été créées puis démantelées pour faire face à un problème simple de coordination des moyens de l'État sur une base territoriale en partenariat avec des acteurs privés pour gérer sur la durée un plan social. L'affaire H-P n'est pas d'une telle ampleur qu'elle ne pouvait relever de ce type de traitement.

D'autant, et c'est là le deuxième objet d'étonnement, que les emplois supprimés sont pour l'essentiel des emplois commerciaux de support technique ou de services informatiques pour lesquels des besoins existent et des pénuries signalées. Chacun sait que le niveau de chômage est un solde, résultat de destructions et de créations massives d'emplois. Pourquoi s'arrêter au plan social de H-P alors que la dynamique de marché et des institutions adéquates de régulation du marché du travail auraient pu le résorber.

C'est sans doute la dimension symbolique des licenciements décidés par H-P qui est au cœur du débat : autant la résignation a gagné s'agissant de la suppression d'emplois dans les secteurs à faible qualification, autant la suppression d'emplois dans le high-tech tétanise. Qu'il faille monter en gamme, développer les produits à valeur ajoutée, investir dans la connaissance, chacun est prêt à y consentir, mais, justement, H-P se retire même de cet incubateur de la nouvelle économie de la connaissance qu'est la région de Grenoble. Au-delà des solutions de reclassement des agents de H-P, l'attractivité de la France est ainsi à nouveau sujette à caution. Cette affaire repose la question du partage des responsabilités entre Bruxelles et Paris. La Commission européenne est maîtresse de l'ouverture des frontières et de la régulation des marchés, elle est, de fait, coarchitecte de la nouvelle division internationale du travail. Or elle n'a aucune responsabilité dans la gestion des retombées de l'ouverture des marchés. À l'inverse, ce sont les responsables politiques nationaux qui doivent répondre aux demandes des salariés alors qu'ils n'ont plus les outils monétaires. Diverses propositions ont été faites, sans succès jusqu'ici, pour que la Commission puisse participer à l'aide aux victimes des restructurations et à des opérations de reconversion consécutives à l'ouverture commerciale. Prévention des licenciements par des vigies sociales implantées dans les bassins d'emploi, action coordonnée sous l'autorité de l'État pour piloter le plan de reconversion, attractivité renforcée des territoires par une mise en œuvre effective des pôles de compétitivité et nouveau partage avec Bruxelles : telles sont les conditions indissociables du traitement des opérations inéluctables de redéploiement du système industriel.

« L'action de l'État ne peut rester nationale et doit investir le niveau européen. »

JEAN-PIERRE AUBERT Chef de la Mission interministérielle sur les mutations économiques.

Depuis le début des années 70, l'approche des restructurations en France s'est articulée autour de quatre grandes questions : celle du traitement des entreprises en difficulté et du droit de la faillite ; celle du droit du licenciement économique et notamment de l'apparition et du développement jurisprudentiel du « plan social » ; celle des conversions industrielles et, enfin, la montée du chômage de masse.

Chacune de ces données a contribué à organiser l'espace dans lequel évoluent les différents acteurs concernés, et notamment l'action publique. Dans l'administration, elles ont pénétré l'organisation même des structures de l'État. Il est donc très difficile de modifier les modes d'action et les répartitions de domaines au sein de celui-ci, comme l'expérience de la Mission interministérielle sur les mutations économiques (Mime) l'a montré.

Ces questions se sont accommodées des grandes tendances de la société française caractérisées par un certain immobilisme des relations sociales, qui privilégient la confrontation, par le recours à l'État et plutôt à son administration centrale, garant des protections sociales, et par la place prépondérante donnée aux grands groupes.

Depuis la fin des années 80, la notion de reconversion industrielle a été remplacée par celle de mutation économique. Un des aspects majeurs de ces mutations est de mêler plus intimement problèmes particuliers et problèmes globaux, actions à court terme et à long terme, dans le cadre d'un jeu ouvert à de multiples acteurs. Elles n'attendent pas de solutions simples, mais la recherche de coopération, de compromis. Aucun des leviers n'est entre les mains d'un seul acteur, et aucun acteur, y compris l'État, n'est en mesure d'assurer à lui seul le maniement de tous les leviers. L'État a certes des responsabilités propres, mais celles-ci ne peuvent être déduites d'un seul principe supérieur et elles dépendent du rôle qu'il renvoie aux autres acteurs.

Une des caractéristiques importantes des mutations actuelles est que leurs processus, leurs modes d'accompagnement et leurs effets ne sont pas évalués : il y a là un déficit qui concerne tout à la fois l'évaluation de l'effectivité et de l'efficacité des mesures d'accompagnement des restructurations ; l'évaluation des effets des restructurations sur les entreprises, sur les trajectoires professionnelles des salariés et sur les territoires ; mais aussi l'évaluation générale des processus de gestion du changement mis en œuvre.

Enfin, l'action publique ne peut rester nationale. Elle doit fortement investir le niveau européen. Les approches sectorielles proposées récemment par la Commission sont autant d'éléments importants de la construction d'une infrastructure européenne d'échange d'informations, d'expériences et d'actions. À condition que l'administration française investisse les lieux. La Mime en avait fait une priorité, considérant que l'approche des mutations ne pouvait se satisfaire du seul cadre franco-français.

« Face aux restructurations, il faut un accompagnement solidaire de l'État. »

CHRISTIAN LAROSE Vice-président (CGT) du Conseil économique et social.

L'État ne peut pas seulement jouer un rôle d'accompagnateur des restructurations industrielles, il doit anticiper, intervenir, être un acteur rigoureux et solidaire. Si l'on ne veut pas que la France devienne exclusivement le pays des banques, des assurances et des parcs de loisirs, il faut d'abord être convaincu du rôle essentiel de l'industrie dans le développement économique. Il est grand temps d'avoir une vision claire de notre politique industrielle, ce qui commence par la mise sur pied d'un ministère de l'Industrie qui ne soit pas, comme c'est le cas aujourd'hui, l'appendice du ministère des Finances. Il y a aussi nécessité d'un renouveau des politiques industrielles ciblées et de programmes mobilisateurs. Le problème posé n'est pas seulement la réparation des sinistres, mais l'organisation des territoires pour favoriser un flux permanent d'activités et d'emplois. Certaines mesures méritent d'être poursuivies, tels les pôles de compétitivité, l'aide à la recherche à travers la nouvelle Agence de l'innovation industrielle, mais cela profite essentiellement aux grandes entreprises, pas assez aux PME et à l'artisanat. La politique de soutien à la recherche et au développement est faible et les outils inadaptés. Il s'agit aussi de lutter contre les délocalisations en réservant les aides publiques aux entreprises qui créent de l'emploi dans le pays, de modifier l'assiette des cotisations sociales afin de favoriser les entreprises qui embauchent et de rendre les licenciements plus chers. Protéger et aider le secteur industriel, c'est aussi suivre de près les négociations internationales pour que des industries ne soient pas sacrifiées sur l'autel du commerce. L'accord passé sur le plan européen avec la Chine pour le textile est un marché de dupes. L'Europe va être envahie de produits chinois et l'emploi industriel trinquera une fois encore. Face aux restructurations industrielles, il faut enfin un accompagnement solidaire de l'État. Pour redistribuer de l'activité sur les territoires touchés par les restructurations, il doit inciter à la création d'entreprises et à l'investissement productif. Le discours visant à faire accepter des reculs sociaux au nom de la compétitivité génère des pertes de compétitivité en cascade. Penser la politique industrielle suppose, parallèlement, de réexaminer les règles des dépôts de bilan. Un groupe qui gagne de l'argent doit, pour le moins, payer le plan social de sa filiale qui en perd. Par ailleurs, trop de cessions industrielles sont des transferts de plans sociaux, qui se terminent souvent pour les salariés de façon dramatique. Il serait utile de rendre les cédeurs coresponsables et cautions en matière d'emploi afin que les salariés puissent bénéficier d'un plan social et de reclassements si le repreneur échoue en bout de course. Il est également nécessaire d'instaurer des réunions obligatoires entre les salariés, leurs organisations syndicales et les directions des donneurs d'ordres et celles des sous-traitants. Chacun doit pouvoir connaître les raisons, les conditions économiques et les conséquences d'une sous-traitance en termes d'emploi et de sécurité. Et les licenciements devraient être refusés quand il est avéré qu'une entreprise, en faisant appel à la sous-traitance, met directement en cause l'emploi des salariés dépossédés de ces heures de travail.