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Politique sociale

Un livre choc sur les produits toxiques qui tuent les salariés

Politique sociale | BONNES FEUILLES | publié le : 01.10.2005 |

En France, l'amiante, les produits chimiques, pesticides et métaux lourds… devraient faire chaque année deux fois plus de victimes que la canicule de 2003 (15 000 morts), surtout des salariés. C'est la conclusion terrible à laquelle aboutit l'enquête du journaliste Vincent Nouzille. Extraits et interview.

Une hécatombe annoncée

« Au moins 800 000 personnes devraient mourir en France des effets de la pollution dans les vingt prochaines années. L'équivalent d'une ville comme Marseille sera ainsi rayé de la carte, à cause des produits chimiques que nous utilisons et des polluants que nous respirons ou ingérons sans y prendre garde. Face à cette hécatombe prévue – 40 000 morts minimum par an – et en grande partie évitable, les industriels se barricadent, les gouvernements tergiversent et l'opinion semble encore endormie.

« Les dégâts sont malheureusement évaluables. Ainsi, à elles seules, les maladies dues à l'amiante, interdit seulement en 1997 après des années de laxisme, vont tuer environ 100 000 personnes au cours des deux prochaines décennies. Celles causées dans le milieu professionnel par d'autres substances toxiques, allant du benzène aux métaux lourds, du formol aux amines aromatiques, pourraient également provoquer entre 100 000 et 300 000 décès.

Trente fois plus de cancers que la normale

« Ce sont les délégués CGT d'Adisseo, une usine de produits chimiques destinée à l'alimentation animale et installée près de la paisible cité industrielle de Commentry, dans l'Allier, qui ont, en 2003, décidé d'alerter les journaux, afin de faire bouger les choses. Dès 1994, le médecin du travail de l'établissement, Gérard Barrat, avait repéré un premier cas de cancer du rein, une maladie qui frappe généralement plutôt les personnes âgées. Suspectant rapidement le chloracétal, le C5, une molécule chimique employée dans l'atelier de fabrication de la vitamine A, il a organisé un dépistage par échographie et tenté de convaincre l'entreprise de mieux protéger les salariés exposés. Le délai de latence de ces cancers pouvant aller de cinq à vingt ans, d'autres cas sont apparus au fil des ans. […]

« L'inquiétude des salariés d'Adisseo était amplement fondée. Depuis 2003, la liste des victimes est passée de 10 à 22 malades, dont 8 personnes décédées. Or, en appliquant les moyennes nationales, on aurait dû normalement trouver moins d'un cas de cancer du rein parmi les salariés de l'usine Adisseo… L'excès de cancers est très élevé, près de trente fois supérieur à la norme !

Sept millions de salariés exposés aux risques chimiques

« Selon une vaste enquête du ministère du Travail réalisée en 2003 et baptisée Sumer, près de 38 % des salariés sont exposés à un ou plusieurs produits chimiques dans le cadre de leur vie professionnelle, alors qu'ils n'étaient que 34 % lors de la même étude menée en 1994. Selon cette enquête, publiée en décembre 2004, près de 7 millions de salariés sont aujourd'hui confrontés, sur leur lieu de travail, à des risques chimiques, de la simple brûlure aux irritations, des allergies aux effets cancérigènes différés. Cette population a augmenté de près de 700 000 personnes en dix ans, avec des bonds particulièrement sensibles dans les secteurs de la construction (+ 11 %), de l'agriculture et de l'industrie (+ 7 %), où les produits chimiques sont déjà les plus présents.

« En se basant sur des études scientifiques internationales et sur les rares données disponibles en France, Ellen Imbernon, responsable du département santé-travail de l'Institut de veille sanitaire a, pour la première fois, tenté en 2003 d'évaluer de manière très précise la « part attribuable » de cinq cancers à des facteurs professionnels pour les hommes. Chaque année, entre 4 000 et 8 000 de ces cancers seraient imputables à des expositions professionnelles, essentiellement liées à des substances physico-chimiques, dont l'amiante fait partie. […] Les dangers des produits chimiques ont bien du mal à être mis au jour dans le monde professionnel. Le même agent semble subir un curieux dédoublement : oublié dans les usines, il se transforme en risque majeur aux yeux des simples consommateurs. Une annonce de la présence de traces de benzène dans une bouteille d'eau minérale a plus d'impact que celle de sa détection dans des usines de retraitement des piles usagées.

Des éthers de glycol à la RATP

« Durant des décennies, l'industrie chimique a employé ces solvants très pratiques sans prendre de précautions particulières. En France, un million de salariés ont été exposés à ces substances, principalement chez les applicateurs de peinture et de vernis, les nettoyeurs d'écrans ou d'automobiles, les salariés de l'industrie des semi-conducteurs, des imprimeries ou de la sérigraphie. L'interdiction des quatre éthers de la série E les plus toxiques est loin d'avoir éteint les polémiques. Tout d'abord parce que les entreprises peuvent, elles, continuer d'utiliser la plupart des éthers de glycol sur les lieux de travail, avec de strictes réglementations concernant l'exposition des salariés. Néanmoins, les risques existent toujours, notamment pour les femmes enceintes avant qu'elles ne découvrent leur grossesse, ou lorsque les salariés ne sont pas informés des risques qu'ils encourent.

« À l'occasion d'un contrôle dans une usine de recyclage de piles alcalines usagées, début 2005, l'INRS a découvert, outre du benzène, des traces d'un éther de glycol toxique qui n'aurait pas dû s'y trouver. Des piles au lithium, qui contiennent ces solvants, auraient malencontreusement été mélangées avec les alcalines. Selon l'enquête Sumer de 2003, plus de 200 000 salariés sont encore exposés professionnellement à des éthers de glycol de série E, et au moins autant aux éthers de la série R. À la RATP, par exemple, plus du tiers des préparations chimiques utilisées dans les ateliers comprenaient encore des éthers de glycol de série E entre 2000 et 2002.

La guerre au formol est déclarée

« Responsables de la santé publique et lobbyistes de l'industrie ou du commerce s'affrontent depuis plusieurs mois sur le formol. Le sujet peut paraître technique ou marginal. Mais il ne concerne pas, loin de là, que les laborantins qui utilisent ce liquide chimique pour conserver des organes ou des animaux morts dans leurs bocaux. Le formaldéhyde, autre nom du formol, entre dans la fabrication d'un grand nombre de produits industriels et grand public. Il sert en effet de conservateur dans le milieu médical, d'agent désinfectant pour l'agroalimentaire et d'agent de synthèse pour la chimie, d'adjuvant pour des teintures, des engrais ou des produits pharmaceutiques. Il est aussi utilisé pour des colles, adhésifs, encres d'imprimerie, peintures, vernis, huiles de coupe, produits d'entretien ou cosmétiques. Le formaldéhyde est surtout massivement employé dans les panneaux de particules de bois aggloméré ou les plaques de contreplaqué qui composent cloisons, meubles, chaises ou parquets…

« Bref, il est omniprésent, dans les maisons comme dans les bureaux. Il a la particularité de se répandre dans l'air durant des années. Au moins un million de salariés européens seraient exposés au formaldéhyde sur leur lieu de travail, dont 154 000 en France, où les valeurs limites d'exposition mesurées par l'INRS sont souvent dépassées. […] Pourtant, l'administration ne suggère pas, pour le moment, d'interdire le formol. Mais des mesures anticipées de protection des travailleurs devraient, cette fois-ci, être appliquées en France avant la révision européenne, qui n'interviendra, au mieux, qu'à partir de 2006. Les industriels hexagonaux devront s'y plier, avant de tenter un ultime baroud d'honneur, dans les mois qui viennent, du côté de Bruxelles. La guerre du formol n'est pas définitivement perdue tant qu'elle n'est pas achevée.»

Éditions Fayard