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Politique sociale

Comment nos voisins brisent l'omerta sur le salaire des patrons

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.10.2005 | Isabelle Moreau, avec nos correspondants

Bonus, retraite chapeau, parachute doré, stock-options… les packages des patrons explosent et sont de plus en plus montrés du doigt, même aux États-Unis. Si la France a voté une loi imposant la transparence sur ces revenus salariaux, nos voisins ne sont pas en reste. Revue de détail des mesures en vigueur outre-Rhin, outre-Manche, en Espagne et en Norvège.

Après l'émoi suscité, en mai dernier, par le montant astronomique de la retraite chapeau accordée à l'ex-P-DG de Carrefour, Daniel Bernard – 29 millions d'euros ont été provisionnés à cet effet, en sus d'une indemnité de départ de 9,8 millions d'euros –, le ministre de l'Économie et des Finances, Thierry Breton, a décidé de réagir. Et vite. La loi pour la modernisation et la confiance dans l'économie adoptée le 28 juillet par le Parlement prévoit ainsi une transparence totale sur les rémunérations des dirigeants d'entreprise.

« Ce texte complète le vide laissé par la loi sur les nouvelles régulations économiques, dite NRE, de 2001 qui imposait, certes, aux sociétés cotées de publier les revenus et les bonus de leurs dirigeants dans leur rapport annuel, mais ne disait rien sur les autres éléments de rémunération. Désormais, les golden parachutes, stock-options et retraites chapeau doivent être entérinés par les actionnaires lors de l'assemblée générale extraordinaire », précise Philippe Poincloux, directeur général du cabinet Towers Perrin. Et ils doivent figurer dans le rapport annuel, le non-respect de cette obligation d'information étant, sauf bonne foi, sanctionné par une possible annulation des versements effectués et des engagements pris.

Un complément législatif plutôt bienvenu, les informations fournies par les entreprises cotées étant jusqu'alors particulièrement succinctes. À peine un quart des groupes du CAC 40 faisaient mention des bonus de départ des dirigeants dans leur rapport annuel. Et un tiers d'entre eux n'y mentionnaient pas l'existence de dispositifs de retraite venant en supplément des pensions de base et de retraite complémentaire, les deux tiers restants concédant des informations très inégales en termes de qualité et d'exhaustivité.

Quatre ans après le vote de la loi NRE, la France a donc complété son arsenal dans la bataille pour la transparence de la rémunération des patrons. Et c'est l'un des seuls pays de l'Union européenne à être allé aussi loin dans ce domaine, avec la Grande-Bretagne, qui fait voter les actionnaires sur le package du président et des mandataires sociaux. L'Allemagne rejoint, elle aussi, le camp des pays vertueux, avec une toute nouvelle législation qui obligera les P-DG à dévoiler leurs revenus d'ici à 2007. En Espagne, une loi de 2003 oblige, certes, les entreprises cotées en Bourse à déclarer le nombre de dirigeants qui bénéficient de packages financiers mais ne leur impose pas d'en donner le nom. Tour d'Europe des méthodes utilisées par nos voisins pour démêler l'écheveau des rémunérations des P-DG.

Allemagne

Les patrons contraints de dévoiler le détail de leurs revenus d'ici à 2007

C'est chose faite. Le 8 juillet 2005, soit tout juste vingt jours avant le vote de la loi Breton en France, le Parlement allemand a adopté définitivement la loi sur la publication des revenus des patrons. Souhaité par l'ensemble des partis de la majorité et de l'opposition, à l'exception du petit parti libéral FDP, ce texte vient mettre un terme à plusieurs années de débat passionné sur les salaires des grands managers allemands. Jusqu'à présent, les entreprises n'étaient tenues de publier que le montant de l'ensemble des salaires du conseil d'administration.

Désormais, et à partir de 2007, les entreprises privées et publiques cotées en Bourse – elles seront environ 1 millier – devront publier dans leur rapport d'activité les revenus de chaque membre du conseil d'administration mais aussi distinguer les revenus fixes (salaires) des variables (primes en tout genre). Indemnités de départ, pensions et avantages en nature (voiture de service, appartement, résidence secondaire…) seront également rendus publics. Seuls les actionnaires pourront bloquer la publication de ces chiffres à la majorité des trois quarts. Et les contrevenants seront punis d'une amende pouvant aller jusqu'à 50 000 euros.

Outre-Rhin, le débat sur le salaire des patrons s'est vraiment ouvert en 2000, à la suite du rachat inamical de Mannesmann, fleuron industriel allemand, par Vodafone, géant britannique des télécommunications. Alors que les dirigeants de Mannesmann avaient touché des indemnités de départ d'un montant total de 57 millions d'euros, cette OPA s'était soldée par le démantèlement de l'entreprise et par des licenciements en masse. L'affaire avait alors scandalisé l'opinion publique.

Au cours des années suivantes, une série d'événements est venue accentuer la pression sur les patrons : la dégradation de la situation économique avec son corollaire, la montée du chômage ; l'alignement des salaires des dirigeants de Daimler-Benz sur ceux, plus élevés, des patrons de Chrysler après la fusion des deux entreprises ; ou encore le non-lieu obtenu par les dirigeants de Mannesmann, mis en cause pour l'affaire des indemnités. Sous la pression publique, certains patrons décidaient alors de publier leurs revenus, à l'instar de Josef Ackermann (11 millions d'euros en 2003), patron de la Deutsche Bank et ancien président du conseil de surveillance de Mannesmann. Tandis que d'autres, comme Jürgen Schrempp (Daimler Chrysler), Helmut Panke (BMW) ou Wendelin Wiedeking (Porsche), refusaient catégoriquement de le faire, leurs entreprises se limitant au strict respect des obligations légales.

En 2002, la commission Cromme, chargée par le chancelier Schröder de définir un « code de bonne gouvernance », a fait 82 propositions en la matière, estimant que les entreprises cotées en Bourse se devaient de publier le détail des rémunérations de leurs dirigeants, mais sur une base volontaire. Seules quelques rares entreprises ont alors mis cette recommandation en pratique. Alors que les sociétés cotées au DAX 30 enregistraient une augmentation moyenne de leurs bénéfices de 60 % en 2004 et que la barre des 5 millions de chômeurs était dépassée en février dernier, le gouvernement Schröder – bénéficiant du soutien du « patron des patrons » allemands, Dieter Hundt, qui a fustigé en mars 2004 les salaires « trop élevés » de certains de ses pairs – s'est résolu à légiférer. Pour Birgit Zypries, la ministre fédérale de la Justice chargée de l'élaboration du projet de loi, « il ne s'agit pas d'injecter une dose de socialisme dans les étages supérieurs des grands groupes, comme l'affirme le patron de Porsche, mais de renforcer le droit de contrôle des actionnaires » afin qu'ils puissent juger si les salaires correspondent bien aux performances. Cet été, le chancelier Gerhard Schröder est allé encore plus loin, en estimant que tous les patrons devraient publier leurs revenus. Mais il appartiendra à son successeur de décider s'il faut aller plus loin en la matière.

Thomas Schnee, à Berlin

Grande-Bretagne

Les rémunérations sont publiées et avalisées par les actionnaires

En Grande-Bretagne, les patrons se recrutent comme les joueurs de football : à coups de millions de livres sterling, au milieu des rumeurs les plus folles. L'une des plus récentes laissait entendre que les supermarchés Morrison avaient proposé 50 millions de livres (74 millions d'euros) à Archie Norman, l'homme qui a fait le succès d'Asda, la filiale britannique de Wal-Mart, pour venir redresser l'entreprise. Face à la concurrence féroce qui règne dans le secteur, les distributeurs surenchérissent dans l'espoir de débaucher un dirigeant providentiel, ou de le retenir.

Au hit-parade mondial des rémunérations, les patrons britanniques sont les mieux payés, derrière les américains et loin devant les français. Le quotidien The Guardian a évalué le package moyen d'un directeur général de société cotée au Footsie 100 à 1,7 million de livres (2,55 millions d'euros) pour 2003. Une rémunération dont le rapport d'activité des entreprises donne tous les détails : salaire, bonus et plans en actions, fixés par un comité de membres non exécutifs du conseil d'administration.

C'est l'un des points cruciaux du débat : le Trades Union Congress (TUC), la confédération syndicale, réclame depuis longtemps que le personnel soit représenté au comité de rémunération, « car les bonus, les actions et même le salaire en cash des chefs d'entreprise doivent être mieux contrôlés », estime Tom Powdell, du TUC. Le gouvernement a fait un premier pas en 2002 en rendant obligatoire le vote du rapport de rémunération par les actionnaires. « Il était indispensable qu'ils puissent faire entendre leur voix sur cette question », explique David Styles, conseiller au ministère du Commerce et de l'Industrie.

Dans un contexte de fléchissement économique, le sujet est brûlant et la presse jette de l'huile sur le feu en se faisant volontiers l'écho de bonus faramineux, comme les 4,2 millions de livres (6 millions d'euros) de primes et de bénéfices touchés pour 2004 par le patron de la compagnie pétrolière BP, Lord Browne. D'autres affaires ont frappé l'opinion, comme le li cenciement de 800 personnes chez le fabricant de matériel téléphonique Marconi, au moment où son directeur général recevait 2,71 millions d'euros pour fêter ses bons résultats de… 2003. Ou encore les parachutes dorés dont ont bénéficié, l'an dernier, trois dirigeants de Marks & Spencer, dont l'ancien président Luc Van de Velde. « Remerciés » pour leurs piètres performances, ils se sont partagé 8 millions de livres (12 millions d'euros), alors que les ventes du groupe étaient en chute libre.

Léa Delpont, à Londres

Norvège

Le rapport annuel doit détailler les éléments du salaire des dirigeants

Il y a quinze ans, quand les entreprises norvégiennes, du moins les sociétés anonymes, ont été mises dans l'obligation de déclarer à l'État les revenus exacts de leurs dirigeants, beaucoup pensaient que les rémunérations allaient se niveler par le bas. Or « c'est tout le contraire qui s'est produit », souligne Sven Arild Andersen, directeur de la Bourse d'Oslo. Dans ce pays nordique, où il est très mal vu de se distinguer de son voisin avec une voiture plus puissante, il était logique de penser que, dès lors que les salaires des patrons seraient révélés au grand jour, nombreux seraient ceux qui se sentiraient mal à l'aise. Raté ! « Ils ont pu comparer plus facilement leurs rémunérations et demander plus d'argent. C'est la nature humaine qui a repris le dessus », observe Sven Arild Andersen, grand partisan de la transparence des salaires des chefs d'entreprise.

Dans ce domaine, il peut pourtant être satisfait. Les entreprises publient un rapport annuel public qui détaille la composition de la rémunération de leurs dirigeants incluant retraites chapeau, golden parachutes et autres bonus. Ainsi, en lisant le rapport annuel de Telenor, première compagnie de télécommunications norvégienne, on apprend que son dirigeant, Jon Fredrik Baksaas, a gagné, en 2004, 3,5 millions de couronnes, soit 449 000 euros. Il a aussi reçu un bonus équivalant à six mois de salaire. Quand il arrêtera de travailler, Jon Fredrik Baksaas pourra recevoir une retraite chapeau égale à 66 % de sa paie. Et s'il est renvoyé, il bénéficiera de deux ans d'indemnités, à condition qu'il ne travaille pas pour une autre entreprise. En Norvège, chaque patron négocie sa rémunération avec le conseil d'administration. Celui-ci doit en approuver tous les éléments, et pas seulement le salaire. L'État n'impose pas de plafond aux sommes négociées. Mais, dans les entreprises dont il est le premier actionnaire – ce qui est le cas pour quatre des six plus importantes entreprises du pays –, il exige que le salaire s'aligne sur les rémunérations du secteur. « Sinon cela jouera au moment du renouvellement du conseil d'administration », explique Morten Kallevig, au ministère de l'Industrie et du Commerce.

Cette transparence n'empêche pas le débat sur la rémunération des patrons d'être animé. Car s'ils sont moins élevés qu'en Suède ou qu'au Royaume-Uni, les salaires des P-DG ont augmenté en 2004 de 12,3 %, tandis que ceux des salariés n'ont progressé que de 3,5 %, selon LOI, le plus important syndicat norvégien. « Les golden parachutes, en particulier, ont fait couler beaucoup d'encre », explique Finn Bergh, rédacteur en chef du magazine économique Kapital. « De nombreux dirigeants qui ont été remerciés pour cause de mauvais résultats ont reçu plus d'argent que s'ils avaient fait du bon boulot et étaient restés jusqu'à leur retraite. Cela donne le sentiment qu'ils ont eu raison de bâcler leur travail. »

En 2003, le gouvernement norvégien a voulu donner plus de pouvoir de contrôle aux assemblées générales d'actionnaires en leur accordant le droit de définir les règles régissant la rémunération des patrons. Un projet qui a été retiré dans l'attente… d'une directive européenne. Car même si la Norvège ne fait pas partie de l'Union européenne, elle reste très influencée par ce qui se décide à Bruxelles.

Gwladys Fouché, à Oslo

Espagne

Timide début de transparence sur les packages des patrons

Le banquier le plus puissant du pays sur le banc des accusés ! La nouvelle a fait l'effet d'une bombe en Espagne. Le 26 janvier dernier, Emilio Botin, héritier d'une dynastie financière et président de la banque Santander Central Hispano, a comparu devant les juges pour s'expliquer sur les 155 millions d'euros d'indemnités de départ versés à deux ex-collaborateurs à la suite d'une fusion. Des actionnaires minoritaires accusaient Botin d'avoir fait passer ses intérêts personnels avant ceux du groupe. En avril dernier, la justice a conclu que les indemnités avaient été légalement versées et dûment approuvées par les organes compétents. Botin est donc sorti blanchi. Mais la question de la transparence des salaires et des indemnités de départ des grands patrons reste entière. D'autant que, quelques mois auparavant, on avait appris que le président de la compagnie pétrolière Repsol était parti avec 19 millions d'euros, soit sept fois son salaire annuel. « Les “parachutes” sont monnaie courante chez les dirigeants espagnols. La nouveauté, c'est qu'on en parle », constate Margarita Gonzalez, de la Commission nationale du marché des valeurs (CNMV), le gendarme de la Bourse espagnole. Jusqu'à présent, les entreprises n'étaient pas obligées de dévoiler ces parachutes, souvent conclus par contrat privé entre le dirigeant et la société, et les actionnaires se retrouvaient devant le fait accompli.

La situation a changé avec la loi dite de transparence, votée en 2003, qui autorise ces contrats « blindés » et qui oblige les entreprises cotées en Bourse à déclarer combien de dirigeants en bénéficient. La loi précise aussi que le système d'indemnisation doit être approuvé par les actionnaires en assemblée générale et être inscrit dans les statuts de la société. Mais il n'y a, pour l'instant, aucune obligation formelle de donner des noms, ni de déclarer le montant des indemnités versées.

Pour la première fois, les entreprises se sont pliées à ce nouvel exercice dans leurs rapports 2004. Certaine sont publié la liste des postes protégés par un golden parachute, d'autres ont donné une somme globale pour le conseil d'administration, parfois même poste par poste. « Tous les dirigeants exigent un parapluie contre les risques qu'ils ne peuvent pas contrôler, explique José Ramon Pin, professeur de management à l'école de commerce IESE de Barcelone. On comprend le désarroi du petit actionnaire, mais c'est le prix à payer pour avoir un management efficace. Savoir si c'est moral est un autre débat. »

Mais le code de bonne conduite impulsé par la CNMV recommande aussi la création d'une commission indépendante chargée des rémunérations des administrateurs. Une initiative à laquelle nombre de sociétés espagnoles ont souscrit, selon le cabinet Spencer Stuart. Mais plus nombreuses encore sont celles qui continuent de jouer à cache-cache avec leurs actionnaires.

Cécile Thibaud, à Madrid

« My boss is rich »

Aux États-Unis, le public a affublé les patrons du méchant surnom de « corporate fat cats ». C'est dire que, même dans un pays aussi peu complexé par l'argent et où la transparence en la matière est quasi totale, la rémunération du boss fait débat. D'autant que les revenus des P-DG ont à nouveau explosé en 2004. Selon « USA Today », les patrons des sociétés cotées ont gagné en moyenne 14 millions de dollars (11,3 millions d'euros), soit 25 % de plus qu'en 2003. Selon un sondage du consultant Pearl Meyer, les P-DG de 179 grandes entreprises ont touché 9,84 millions de dollars (8 millions d'euros) en moyenne, soit 12 % de plus en un an. Ils gagnent 300 fois plus que leurs salariés, alors que le rapport était de 1 à 42 en 1982. La presse a beau jeu d'ironiser sur la déconnexion entre rémunération et performance. Et de désigner des coupables, comme Sidney Taurel, le P-DG d'Eli Lilly, qui a obtenu 41 % d'augmentation malgré une chute du revenu net du laboratoire de 29 %. Mais le plus gros scandale reste à ce jour l'affaire Dick Grasso : le président de la Bourse a été contraint à la démission en 2003 lorsque fut révélée sa rémunération de 187,5 millions de dollars (151 millions d'euros). Le procureur de l'État de New York a d'ailleurs décidé de le poursuivre au civil, ainsi que l'ex-patron du comité de rémunération du conseil d'administration (CA) à l'origine de ce méga-package. Car ces comités ont toute latitude pour imposer aux CA les salaires, bonus et stock-options des dirigeants. Auxquels il faut ajouter les avantages en nature (voiture et jet de fonction, cotisations à des clubs, etc.) qui ne doivent être déclarés qu'au-delà de 50 000 dollars par an (40 332 euros), la couverture médicale, les indemnités de retraite, les « welcome packages » et autres « golden parachutes », moins connus du public. Il y a quelques mois, Hewlett-Packard a ainsi offert 21 millions de dollars (17 millions d'euros) de cadeau de départ à son ancienne patronne, Carly Fiorina, et 20 millions de dollars (16,1 millions d'euros) de « golden hello » à son successeur Mark Hurd.

Isabelle Lesniak, à New York

Auteur

  • Isabelle Moreau, avec nos correspondants