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Enquête

LA GALÈRE DES QUADRAS EN QUETE D'UN JOB

Enquête | publié le : 01.10.2005 | Isabelle Moreau, Frédéric Rey

Retrouver un CDI à partir de 45 ans est presque mission impossible. Intérim, portage salarial, création d'entreprise… mieux vaut se tourner vers d'autres formes d'emploi, moins classiques, pour sortir du chômage. Portraits choisis.

S'il continue de faire rêver la plupart des salariés, le bon vieux CDI à temps plein apparaît de plus en plus inaccessible quand, la quarantaine bien sonnée, on se retrouve au chômage. Et, lorsque l'on parvient à décrocher le précieux sésame, c'est généralement au prix de nombreux sacrifices. Michel Legros en sait quelque chose. Après deux ans et demi de chômage, ce quinqua, ex-directeur administratif et financier d'une PME de Reims, a dû faire « d'importantes concessions salariales et émigrer à 380 kilomètres du domicile familial, dans un petit meublé », afin d'obtenir un CDI de chef comptable.

Passé 45 ans, si l'on veut retrouver du travail, « il faut accepter la règle du marché, précise Catherine d'Huyteza, consultante à la Sodie : celle de mettre son désir de CDI entre parenthèses. Lorsqu'ils en ont fait le deuil, les quadras peuvent alors rebondir en recourant à d'autres formes d'emploi ». Olivier Spire, président du cabinet QuinCadres, renchérit : « Les cadres de plus de 45 ans doivent se préparer à vivre avec une philosophie de missionnaire. » On voit ainsi fleurir depuis quelques années une population de cadres à mission occupant des emplois limités dans le temps, pour lesquels l'âge ne représente plus un handicap mais un gage de sérieux et d'expérience.

À commencer par la classique mission de travail temporaire. « L'image de l'intérim a beaucoup évolué. Il n'est plus perçu comme une voie de garage. Mais comme un métier. Les salariés qui connaissent une rupture de carrière vers 45 ans se dirigent aussi vers l'intérim, car cela leur permet de revenir vers l'emploi et de mettre un pied dans l'entreprise », précise Vanessa Bavière, chargée de mission RH chez Adia, un groupe de travail temporaire qui s'est clairement positionné par ses campagnes de pub contre toutes les discriminations et notamment celle liée à l'âge.

Répondant à une autre logique, le portage salarial – qui permet de travailler en indépendant sans abandonner le statut de salarié – est aussi prisé par les plus de 45 ans qui coiffent alors la casquette de consultants. « Certains choisissent le portage car ils ont du mal à retrouver un emploi. Ce sont souvent des personnes qui viennent d'être remerciées par leur entreprise et disposent d'un portefeuille de contacts qu'elles souhaitent faire jouer avant de créer leur propre entreprise », explique Marcel Fournier, président de la Fédération nationale du portage salarial (FENPS) et gérant de Cap Services à Torcy. Mais, selon Alain Hamel, de BPI, ce ne peut être qu'une solution temporaire. « Il va bientôt y avoir plus de consultants que d'entreprises. Il va bien falloir que les entreprises réagissent. » Et d'espérer que le choc démographique annoncé servira de détonateur.

Une seconde vie professionnelle

Créer son entreprise, et donc son propre emploi, fait aussi partie des options prises par les plus de 45 ans pour sortir du chômage ou tourner la page du salariat. Pour les quinquas, « la création d'entreprise apparaît fréquemment comme une seconde vie professionnelle d'attente… de la retraite. Cependant, cette deuxième vie, souvent liée à l'expérience du chômage, semble moins un choix qu'une solution dictée par la conjoncture économique », conclut un rapport de l'Association pour la création d'entreprise sur les « créateurs d'entreprise après 50 ans ». Un document dans lequel l'APCE s'interroge sur « les méfaits du jeunisme dans notre société », les entreprises continuant « d'associer l'innovation et la compétence à la jeunesse, l'expérience et la résistance au changement aux quinquas ».

Qu'ils aient choisi la voie du portage salarial ou de l'intérim, qu'ils soient devenus cadres à mission ou se soient lancés dans la création d'entreprise, portraits de quadras en quête de rebond.

Vincent de Rocher, 44 ans, RMIste et futur chef d'entreprise

Du genre pugnace. Vincent de Rocher, un ancien DRH de 44 ans, devrait enfin voir le bout du tunnel, après cinq années de galère. Ce RMIste vient d'entamer les ultimes démarches pour créer avant la fin de l'année son entreprise. Elle s'appellera Idpac, pour Institut de développement personnel et d'accompagnement de carrière. Et comportera deux activités : la promotion du « mentorat », une pratique très répandue au Québec, dont l'objectif est de mettre en relation un jeune souhaitant faire un métier avec un salarié ayant une solide expérience humaine et professionnelle dans le domaine ; et l'aide aux entreprises dans la gestion de carrière de leurs salariés. « Ce concept, qui est emprunté au monde sportif, n'est pas de l'outplacement. Ce qui m'intéresse, c'est de valider les compétences d'un salarié par rapport au marché du travail, en faisant de l'accompagnement à la gestion de carrières », explique-t-il.

L'idée lui est venue lorsque, tout jeune DRH, il s'est vu confier par son P-DG la lourde tâche de licencier un cadre dont les compétences ne correspondaient plus au poste. « J'ai validé avec ma direction, puis avec l'intéressé, l'idée que, plutôt que de procéder à un licenciement, il valait mieux vendre ses compétences à un concurrent. L'opération était tout bénéfice pour l'entreprise : elle lui évitait un licenciement coûteux et difficile à motiver. »

Les ressources humaines ne constituaient pourtant pas une vocation chez cet autodidacte. Après avoir quitté l'école à 16 ans, Vincent de Rocher est entré à la SNCF. Cinq ans plus tard, il est responsable d'une petite gare de l'Essonne. Grâce aux cours du soir, il décroche un Deug en économie et devient coordonnateur pédagogique en formation continue à la chambre des métiers de Vendée. En 1998, un Dess en ressources humaines en poche, il est recruté par une entreprise familiale d'agroalimentaire de 680 personnes, située à Mulhouse, pour occuper le poste nouvellement créé de DRH.

À l'issue d'un contrat d'un an, il était prévu qu'il recrute son successeur, tandis que la société s'engageait à lui ouvrir son carnet d'adresses pour l'aider à se recaser. Mais, sur ce dernier point, le deal n'a pas fonctionné. Pour Vincent de Rocher, cela signifiait un retour à la case départ, à près de 40 ans. « Mon profil et surtout mon âge étaient rédhibitoires, notamment dans des entreprises comme Décathlon où l'on m'a fait comprendre que j'étais trop vieux », confie-t-il. C'est alors le début d'une spirale infernale. Après un divorce en 2003, il tente sa chance un peu partout en France. Dans le Nord, cet ancien « SDF à particule », comme il se décrit, s'est même vu refuser le RMI. Si Vincent de Rocher n'a jamais vraiment renoncé à retrouver un job salarié – il a récemment postulé à un poste de responsable de la formation à l'académie de Poitou-Charentes –, il a décidé de devenir son propre employeur. On n'est jamais si bien servi…

Sophie Hancart, 43 ans, Chômeuse de longue durée et militante

Trop, c'est trop. Après avoir fait une dépression, perdu 10 kilos, marché au Prozac, été arrêtée pendant quatre mois et demi en 2000, Sophie Hancart a vécu l'annonce de son licenciement comme un véritable soulagement. Responsable de la logistique commerciale chez Warner Music France, cette jeune femme a fait partie, au printemps 2001, de la troisième charrette de licenciements de cette major du disque. En guise de cadeau de départ, elle négocie une formation de maquettiste. Au bout de quatre mois et demi, Sophie Hancart décroche son diplôme et commence à travailler dans une maison d'édition et pour divers magazines. Mais, à chaque fois, la rémunération n'est pas au rendez-vous. « C'était même très souvent inférieur à ce que je touchais au chômage », explique-t-elle. La voilà donc en attente d'un poste plus rémunérateur. Reste que dans les secteurs de la presse et de l'édition, touchés de plein fouet par la récession publicitaire qui a suivi les événements du 11 septembre 2001, les postes à pourvoir sont peu nombreux.

Rien à voir avec la situation qu'elle a connue dix ans plus tôt. « En 1991, lorsque je cherchais du travail, j'ai envoyé six candidatures spontanées aux maisons de disques. Virgin m'a répondu assez vite et proposé un poste à la télévente. » Cette passionnée de musique, titulaire d'un DUT de technique de commercialisation, s'était empressée d'accepter le job, satisfaite de pouvoir tourner la page après huit années passées dans une banque. Elle avait alors 29 ans. « Chercher du boulot à 30 ans, c'est beaucoup plus simple que lorsqu'on en a dix de plus. La quarantaine est un sacré handicap. On ne veut plus de vous. Même si on ne vous le dit pas en face. Il suffit de regarder les annonces. La majorité d'entre elles font référence à l'âge. Et celui-ci est toujours inférieur au mien. » Avant d'ajouter, « c'est d'autant plus vrai lorsque l'on est une femme. Quand on embauche une assistante, il faut toujours qu'elle soit jeune et agréable à regarder ».

Actuellement, elle perçoit 14 euros par jour, sans compter les aides de la Caisse d'allocations familiales, et n'arrive à joindre les deux bouts que grâce à la générosité de ses proches. Elle poursuit sa recherche d'emploi. « Je me vends comme assistante polyvalente PAO ou coordinatrice de logistique ou assistante commerciale », explique-t-elle.

À son actif, elle a envoyé au moins 1 200 candidatures spontanées depuis qu'elle est au chômage pour un taux de réponses vraiment très maigre… De l'ordre d'un entretien tous les six mois. Travaillant bénévolement comme secrétaire de rédaction et webmestre pour le site www.actuchomage.org, elle espère, un jour, être l'une des ses premières salariées.

François Pesty, 46 ans, Bénéficiaire de l'ASS et futur consultant

Réduire de 1,5 milliard d'euros le déficit de l'assurance maladie et créer 760 emplois indirects : tel est l'objectif de François Pesty, un pharmacien de 46 ans en recherche d'emploi depuis mars 2002. Baptisé ProGenerix, le projet de ce quadra bardé de diplômes – il est ancien interne des Hôpitaux de Paris, diplômé de l'ISG Paris et de l'université de San Francisco – est de créer un réseau de visiteurs médicaux auprès des médecins, indépendants des laboratoires pharmaceutiques, pour faire la promotion d'une vingtaine de médicaments anciens et génériques délaissés par les labos.

François Pesty connaît son sujet. Avant d'être licencié en 2002, à 43 ans, il était directeur des ventes dans un grand laboratoire étranger. « Pendant un an, j'ai cherché activement un emploi de responsable de business unit ou de responsable des ventes, mais je n'ai rien trouvé. Je suis trop vieux et trop cher. Les laboratoires préfèrent embaucher pour la vente quelqu'un qui a 15 ans de moins que moi, sans trop d'expérience et plus docile », explique-t-il en dénonçant cette « juniorisation » de la société. « Et quand on a des P-DG de 40 ans, comment voulez-vous trouver des personnes de 45 ans à des postes de managers ? » poursuit-il.

S'il cherche toujours un poste en CDI et à plein-temps dans un laboratoire – il est en lice pour un poste de responsable de la formation –, il mène aussi en parallèle son projet. « Depuis deux ans, je me bagarre avec les pouvoirs publics pour faire valider mon idée. J'ai eu des contacts au plus haut niveau dans les cabinets ministériels », explique-t-il. En attendant, ce cadre dynamique, trilingue anglais-espagnol, propose ses services aux acteurs de l'assurance maladie. Il est sur le point de décrocher un premier contrat avec une caisse primaire d'assurance maladie du sud de la France pour accompagner sur le terrain des délégués qui effectuent des visites régulières de cabinets médicaux, dans le cadre d'une campagne sur le bon usage du médicament. Si ce bout d'essai s'avère concluant, cet électron libre du monde médical optera vraisemblablement pour le portage salarial. Une formule qui lui permettrait de toucher ses propres revenus. Actuellement, il perçoit tous les mois 240 euros au titre de l'allocation spécifique de solidarité (ASS) et vit grâce au salaire de sa femme et aux indemnités de départ qu'il avait prudemment mises de côté.

René, 46 ans, Installateur de climatiseurs intérimaire

La VMC n'a plus de secret pour lui. À 46 ans, René est devenu un as de la climatisation. Après avoir quitté l'école à 16 ans, il s'est d'abord orienté vers la menuiserie et la maçonnerie, décrochant un diplôme d'école pratique. Puis il a bifurqué vers une spécialité plus porteuse d'avenir : le froid. Comme beaucoup de quadras, René a connu le chômage. C'était il y a dix ans. Lorsque l'entreprise de climatisation dans laquelle il travaillait depuis cinq ans a déposé le bilan, il est resté au chômage pendant un an, avant de revenir sur le marché du travail via l'intérim. René y trouve des avantages. « Ce qui me plaît, c'est le sentiment de liberté. Pointer dans une entreprise tous les matins, ça ne me convient pas. Et je gagne 500 euros de plus que dans une usine. »

Depuis maintenant une dizaine d'années, René fait preuve d'une fidélité sans faille à la même société de travail temporaire, qui lui propose régulièrement des contrats de trois, quatre ou six mois, parfois plus. Actuellement, il est en poste dans une entreprise basée dans le Roussillon, où il effectue des missions depuis juillet 2004 : « Les gens sérieux ont toujours des missions. Quand j'ai un boulot en intérim, je ne le lâche pas. Ça se sait dans le monde rural. »

Néanmoins, il ne refuserait pas non plus un CDI en entreprise, plus sécurisant lorsqu'on a dépassé la quarantaine. « Cela me tenterait effectivement si une entreprise du bâtiment me le proposait », explique-t-il. Mais la société dans laquelle il travaille ne lui a jamais fait ce genre de proposition. Si c'était le cas, il signerait des deux mains. Quitte à perdre sa liberté d'intérimaire.

Patrick Lamotte, 49 ans, Chargé de mission informatique

« Dans les sociétés de services informatiques, on fait du jeunisme. À 35 ans, on est déjà senior. Alors, à 49 ans, c'est dire si je suis un véritable dinosaure ! » Patrick est lucide. Cet ingénieur en informatique s'est retrouvé du jour au lendemain au chômage. Le groupe international spécialisé dans la construction de véhicules industriels qui l'employait a déposé son bilan en juillet 2004. Et, dans ce genre de situation, « on n'est pas prêt, explique-t-il. Ni moi ni les structures du type Assedic ou Apec qui nous ont renvoyés des unes vers les autres ».

Inscrit au chômage à Lille, la ville la plus proche de son lieu de résidence, plutôt qu'à Paris où il travaillait, il a pu malgré tout bénéficier de l'aide de l'antenne emploi de la cellule de reclassement à laquelle il a demandé à être rattaché. Dès septembre 2004, il s'est lancé dans une recherche active d'emploi, passant une trentaine d'entretiens d'embauche, sans qu'aucun ne débouche sur une proposition. « À chaque fois, on trouvait mon profil intéressant, mais on me jugeait trop compétent pour le poste proposé. C'est frustrant, car j'avais bien retenu la leçon des spécialistes du recrutement qui nous recommandaient de regarder toutes les offres d'emploi, y compris les propositions qui étaient d'un niveau inférieur au poste que nous occupions. »

Il sait que, dans l'informatique, il vaut mieux se positionner sur des emplois qui demandent une certaine maturité pour ne pas se retrouver en porte-à-faux avec de jeunes ingénieurs sortant de l'école. « Dans ce secteur, soit on est le plus âgé de l'entreprise et on se trouve souvent plus expérimenté que son responsable hiérarchique, soit on s'adresse à une entreprise dont le personnel est jeune et qui recherche un quadra apportant son expérience et son savoir-faire. » C'est cette option que Patrick a retenue, en adoptant la formule du portage salarial : « Cela me permet d'intervenir dans les PME-PMI qui ont besoin de mes compétences mais pas les moyens de m'embaucher à temps plein. »

Mais la règle numéro un, c'est de trouver la bonne société de portage. « Ce n'est pas simple de rédiger un contrat qui implique trois personnes, la société de portage, le salarié et son client. Il faut aussi apprendre à démarcher les PME et leur expliquer ce qu'est le portage. » Le mode d'indemnisation fonctionne sur le même principe que celui des intermittents du spectacle. Patrick Lamotte touche des allocations qui complètent ce qu'il gagne par le biais du portage. À terme, il souhaiterait décrocher un contrat qui lui assure la moitié de ses revenus. Mais il poursuit aussi sa quête d'un CDI ou d'un CDD. L'année prochaine, il soufflera ses 50 bougies. Malgré le passage de ce cap symbolique, il espère qu'il pourra profiter des aides offertes aux entreprises qui embauchent des quinquas.

Auteur

  • Isabelle Moreau, Frédéric Rey