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Vie des entreprises

Les bonnes pratiques des groupes qui déménagent

Vie des entreprises | ZOOM | publié le : 01.09.2005 | Frédéric Rey

Sony Music, Generali, la Cnam… Flambée des prix oblige, nombre d'entreprises quittent Paris pour la périphérie. Un « déracinement » rarement bien vécu par le personnel. La recette pour réussir l'opération ? La transparence sur les objectifs et les modalités, une concertation poussée, y compris sur le choix du site, et des mesures d'accompagnement : prime au véhicule, au logement, télétravail…

Paris n'est pas seulement devenu hors de prix pour les bourses des particuliers, mais aussi pour les finances des entreprises. Dans le « triangle d'or » parisien, situé dans l'ouest de la capitale, une location de locaux neufs représente en moyenne 536 euros par mètre carré. À l'opposé, à Montreuil, il ne leur en coûtera que 260 euros. Les entreprises ne se privent pas de cette concurrence. Beaucoup d'entre elles abandonnent leur siège parisien pour la banlieue nord-est : Sony Music a élu domicile à Clichy, Aviva à Bois-Colombes, Lee Cooper à Saint-Ouen, Afflelou à Aubervilliers, l'Agence nationale pour les chèques-vacances à Sarcelles… D'autres projets sont dans les cartons ; Easynet s'apprête ainsi à quitter Beaubourg pour rejoindre Nanterre. « Dans le tertiaire, l'immobilier constitue le deuxième poste de dépenses après la masse salariale, explique Christian Kostrubala, de Form'a, société spécialisée dans l'aménagement de l'espace. Les entreprises poursuivent en permanence un objectif de rationalisation des coûts de l'exploitation immobilière, ce qui augmente la probabilité de changer d'adresse. »

Alors que, dans les années 90, une entreprise déménageait tous les dix ans, elle change désormais de localisation tous les trois à cinq ans. Mais si l'opération peut être juteuse sur le plan économique, gare à ne pas en sous-estimer les conséquences sociales ! « Les directions minimisent souvent l'impact sur leur personnel, souligne Jean-Claude Delgenes, dirigeant de Technologia, cabinet d'experts dans l'évaluation des risques professionnels. Un déménagement n'est jamais anodin. » Sans prise en compte des attentes des salariés ni préparation minutieuse, les réactions sont bien connues : absentéisme, démissions, dégradation du climat social, démotivation, baisse de la productivité… Sans oublier un conflit possible. Chez Aviva, les syndicats ont appelé à la grève contre un projet entraînant, selon eux, une dégradation des conditions de travail.

Communiquer tout de suite

Pour réussir, mieux vaut jouer la plus grande transparence. « Il ne faut pas se voiler la face. Dans certains cas, un déménagement a pour but de réduire les effectifs, souligne Jean-Claude Delgenes. Les directions ont alors tendance à faire de la rétention d'information. » Generali, qui a regroupé environ 4 000 salariés sur un seul site à Saint-Denis au lieu des 24 dispersés dans Paris, a tout de suite communiqué sur ses intentions. « L'entreprise cherche à élargir ses services, précise la direction de la communication. Cette multiplicité des localisations était un obstacle au développement des synergies et à la mobilité professionnelle. Le regroupement nous permettait de créer un sentiment d'appartenance à une seule entreprise. »

S'il n'était pas question non plus pour la société Arnaud de supprimer des emplois, son déménagement représentait quand même un événement à haut risque. Cette PME de 165 personnes spécialisée dans la distribution de produits informatiques était implantée depuis trente-cinq ans dans le 12e arrondissement. « Nous avions 10 % de nos collaborateurs qui habitaient à moins d'un quart d'heure à pied, beaucoup d'autres résidaient à deux ou trois stations de métro, raconte Christophe Laubignat, directeur commercial. Même si nos anciens locaux étaient vétustes et peu fonctionnels, le personnel y était malgré tout très attaché. »

La petite entreprise décide d'associer dès le départ ses collaborateurs en créant un groupe de travail composé de personnes à la fois pour le déménagement et d'autres identifiées comme résistantes à ce changement. « Ce groupe de diffusion était régulièrement informé des étapes du projet, au même titre que les représentants du personnel, ce qui a contribué à limiter les rumeurs et à dissiper les réticences. Nous les avons très régulièrement informés, y compris sur les trois sites possibles, même si la décision finale nous appartenait. »

Certaines sociétés vont encore plus loin dans la concertation en soumettant ce choix de leur futur site à un référendum. Nouvelles Frontières a mis en compétition les trois localisations sélectionnées auprès de son personnel, qui a majoritairement opté pour Montreuil, le plus proche de Paris. Autre exemple, la filiale française de Trader Classified Media, éditeur de la Centrale, a également soumis au vote de ses salariés le choix de leurs futurs bureaux. « Nous avons souhaité dès le début être très transparents, souligne Jean-François Guilcher, le directeur des ressources humaines. Par chance, le personnel s'est prononcé pour le site de La Garenne-Colombes, qui avait également la préférence de la direction. »

Une ligne de bus négociée

Pour les 250 salariés de cette PME, les nouveaux bureaux ne se trouvent qu'à 500 mètres des précédents, ce qui ne modifie guère les déplacements. D'autres projets ont des répercussions importantes sur le temps de transport. À l'occasion de son transfert de Paris à Charenton, la Caisse centrale des Banques populaires a négocié avec la RATP une ligne de bus entre Bercy, où la banque avait ses bureaux, et le nouvel immeuble. Autre exemple : en quittant Montparnasse pour Montreuil, la Caisse nationale d'assurance maladie a provoqué un allongement du temps de transport. « Cela faisait trente ans que la Cnam était rive gauche, et beaucoup d'agents avaient fini par louer ou acheter en banlieue sud-ouest. Ils prenaient un train jusqu'à la gare Montparnasse, qui se trouve à cinq minutes à pied de la tour que nous occupions »,commente Charles-Marie Portelli, secrétaire général de la Cnam.

Afin de compenser cet allongement des déplacements, la Caisse a développé toute une panoplie de mesures, à commencer par la possibilité de télétravailler, une formule dont bénéficient aujourd'hui 60 personnes. La Caisse a par ailleurs accordé des aides financières : entre 4 000 et 5 000 euros, selon le niveau de revenu, pour l'achat d'un logement ou l'accès à une location, 2 000 euros pour l'acquisition d'un véhicule. Si les salariés ont rechigné à s'installer dans cette partie de la Seine-Saint-Denis, la prime à la voiture a remporté un franc succès. « Nous avons vu se multiplier les petites voitures à 5 000 euros, poursuit Charles-Marie Portelli. Ce changement de mode de transport a d'ailleurs pas mal modifié les habitudes de travail. Les employés arrivent plus tôt et repartent aussi beaucoup plus tôt dans la journée. La pause-déjeuner a été réduite à vingt minutes pour raccourcir la journée. »

L'accompagnement social a également été particulièrement soigné par Generali et les organisations syndicales qui ont conclu un accord. Le dispositif, discuté durant des mois, comporte une vingtaine de mesures destinées à compenser l'allongement du temps de transport. Generali propose toute une palette d'aides financières : prime de transport, prime d'installation, aide pour la garde d'enfants… Pour tous les collaborateurs dont la durée du nouveau trajet s'accroît de plus de trente minutes par jour et dépasse quotidiennement deux heures trente, l'entreprise donne la possibilité d'accéder à un prêt immobilier sur quinze ans à un taux de 4,5 %, à la condition toutefois que la localisation du futur logement permette de réduire de moitié au moins le temps de transport.

Aménagement du temps

La compagnie d'assurances multiplie également les solutions pour aménager son temps de travail. Trois modes d'organisation sont offerts à tous les salariés dont le trajet devient supérieur à trois heures par jour : soit quatre jours à temps complet, soit quatre jours à 90 %, soit encore quatre jours en entreprise et un jour travaillé à domicile. « Le fruit d'une excellente négociation », estime Philippe Forrestier, le délégué syndical CFDT, qui regrette cependant que les organisations syndicales signataires n'en aient pas « tiré de dividendes. Les salariés nous attendaient plus sur la contestation de ce déménagement que sur son accompagnement ».

À en croire les promoteurs, le Landy, à Saint-Denis, où Generali a choisi de regrouper ses 4 000 salariés, devait ressembler à un joli quartier avec ses cafés aux larges terrasses arborées, sa boulangerie, son kiosque à journaux et divers autres commerces. Mais, dix-huit mois après leur installation, les longues avenues bordées par une rangée d'immeubles de bureaux restent désespérément vides. Il faut attendre 18 heures pour voir de l'animation, avec une marée humaine qui s'engouffre dans la gare RER. « Cela ressemble à la sortie de l'usine filmée par les frères Lumière, ironise un cadre. Beaucoup regrettent Paris et fantasment sur un possible retour entre les murs de la capitale. »

Cette nostalgie de Paris est aussi perceptible à la Cnam, qui a pourtant troqué d'anciens locaux pour un immeuble flambant neuf de 34 000 mètres carrés. « Le problème, c'est sa localisation en bord de périphérique dans un quartier sans âme, souligne une salariée. Nous sommes loin de Montparnasse et de ses restaurants, ses petites boutiques. Personne n'a envie de mettre le nez dehors, les gens aspirent à rentrer le plus tôt possible chez eux et l'ambiance s'est détériorée. »

Le « déracinement » n'est pas la seule explication de cette morosité. De nombreux salariés de la Cnam et de Generali ont, à l'occasion du transfert de leur siège, été logés dans des bureaux en open space. Selon l'observatoire de l'immobilier Grecam, la surface utile moyenne accordée à chaque salarié a baissé de 22 mètres carrés en 1993 à 12 en 2004. Un bureau individuel tourne autour de 15 mètres carrés, mais seulement 7 mètres carrés en open space, voire 4,5 dans les centres d'appels.

Les frais d'équipement des salariés ont également été considérablement réduits. En 1991, les entreprises consacraient l'équivalent de 4 000 euros à un poste de travail type. Aujourd'hui, l'aménagement moyen comprenant le bureau, le caisson et le siège représente environ 1 000 euros… « Les bureaux en open space deviennent monnaie courante, explique Aynard de Leusse, directeur de projet chez Mobilitis, spécialiste de l'aménagement d'espaces de bureau, mais ce n'est pas anodin. Les salariés ressentent cela comme une intrusion dans leur intimité. Le regard des autres est permanent. Vous vous sentez toujours un peu obligé d'être en représentation, de soigner votre allure. »

Tapis rouge et plantes vertes

Si Keolis fait partie des rares entreprises qui ont quitté la banlieue pour le centre de Paris, c'est au prix d'une diminution drastique de l'espace de travail. En passant de Rueil-Malmaison au IXe arrondissement, cet opérateur de transports a perdu 15 % de surface. Pour arriver à ce résultat, seuls les 10 directeurs, sur les 150 salariés du siège, ont eu droit à un bureau individuel. Tous les autres se sont retrouvés dans des open spaces. « Cela a permis de conserver un niveau de loyer à peu près équivalent au précédent, explique Jean Ghedira, le responsable de la communication. Notre P-DG a montré l'exemple en réduisant la surface de son bureau, qui ne fait que 10 mètres carrés. »

Pour dissiper la grogne de son personnel, Keolis a joué à fond la carte de la séduction : tapis rouge le jour de l'arrivée dans l'immeuble, accueil personnalisé avec une mallette remplie de petits cadeaux… La veille de l'installation, Keolis a convié l'ensemble des salariés à un spectacle dans un théâtre voisin : « Nous avons demandé à une compagnie d'écrire une pièce parlant du déménagement sur un mode humoristique », précise Jean Ghedira. L'entreprise a soigné l'aménagement, avec une terrasse pour le personnel, un coin détente, des bureaux agencés de manière à ne pas se gêner les uns les autres, de la verdure à gogo… Les plantes vertes ont été soigneusement disposées afin que chaque salarié puisse en voir une depuis son poste de travail. Le must !

Déménagement : suivre ou ne pas suivre ?

Le salarié est-il contraint de suivre son entreprise lorsque celle-ci déménage ? Pas besoin, généralement, d'obtenir le consentement du salarié.

Le pouvoir de direction de l'employeur lui permet, en effet, de transférer tout ou partie de son activité dans un autre endroit. C'est le cas notamment lorsque le contrat de travail prévoit une clause de mobilité géographique plus ou moins étendue. En revanche, si les parties ont contractualisé le lieu de travail en prévoyant que l'activité ne doit s'exercer qu'en un endroit exclusif de tout autre, refuser de changer est un droit. Mais le faire jouer conduit en principe le salarié qui refuse de suivre son entreprise à être licencié pour motif économique.

Dans la plupart des cas, la situation n'est pas aussi claire, car le contrat ne stipule rien de précis, ou alors, s'il est fait mention d'une adresse professionnelle, elle n'a généralement qu'une valeur informative. Dans ce cas, tout dépend du lieu où l'entreprise va être transférée. Les tribunaux estiment en effet qu'il y a modification du contrat de travail dès lors que le changement du lieu professionnel dépasse le périmètre d'un secteur géographique. Mais comment évaluer cette notion ?

C'est aux juges du fond de la définir au cas par cas, en tenant compte des facilités de communication, des transports existants, des habitudes culturelles… Ce qui contraint les salariés à aller devant le conseil de prud'hommes pour faire juger la superficie de leur secteur géographique. Selon les cours d'appel de Paris et de Versailles, la région Ile-de-France n'est, par exemple, pas considérée comme un seul et même bassin d'emploi. Lorsque le déménagement s'effectue au sein d'un même secteur géographique, la non-acceptation de la mutation est assimilée à une insubordination de nature à justifier un licenciement pour faute. Mieux vaut donc, dans ce cas, négocier un accord collectif comportant des mesures d'accompagnement.

Auteur

  • Frédéric Rey