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Repères

Bonne question, mauvaise réponse

Repères | publié le : 01.09.2005 | Denis Boissard

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Bonne question, mauvaise réponse

Crédit photo Denis Boissard

Colbertiste ou libéral ? Adepte d'une politique de traitement social du chômage pour remettre le pied à l'étrier aux exclus, façon Borloo, ou partisan d'une réforme du marché du travail pour inciter les entreprises à créer plus de jobs, façon Sarkozy ou Breton ? On attendait l'énigmatique Villepin sur l'emploi, décrété priorité nationale par Jacques Chirac… après dix années à l'Élysée.

Brouillant les pistes, le Premier ministre a choisi de conserver Borloo et son plan de cohésion sociale tout en administrant aux Français, par voie d'ordonnances, une potion d'inspiration libérale. Le maintien Rue de Grenelle de l'ex-maire de Valenciennes est logique : après plusieurs mois de gestation, la plan Borloo monte en puissance et, les bons chiffres de juin en témoignent, la panoplie de contrats aidés qu'il comporte peut se révéler utile pour dégonfler les chiffres du chômage et regonfler – on l'espère – le moral des Français.

Pour le reste, Dominique de Villepin s'inspire plus du Chirac cuvée 1986, lorsque, chef de gouvernement de la première cohabitation, celui-ci prônait les vertus du libéralisme, que du Chirac cru 1995, héraut le temps d'une campagne présidentielle du combat contre la fracture sociale.

Pour la première fois depuis des lustres, un responsable politique français ose s'attaquer aux principes qui régulent notre marché du travail, ce qui lui vaut au passage un satisfecit appuyé des experts du FMI. Outre un assouplissement des seuils sociaux, les petites entreprises bénéficieront désormais d'un Code du travail allégé sur un point clé, celui des modalités de rupture du contrat de travail.

Réservé aux entreprises jusqu'à 20 salariés, le « contrat nouvelles embauches » ne s'embarrasse pas de fioritures : il peut être rompu par l'employeur à tout moment pendant deux ans, sans justification. Exit, donc, la « cause réelle et sérieuse » de licenciement, pilier de notre droit du travail. Exit aussi la protection du salarié en CDD ou intérimaire contre toute rupture avant le terme du contrat. Le coup de canif porté au Code du travail est de taille. En comparaison, le « contrat de projet », préconisé par la commission de Virville et qui avait valu une déferlante d'anathèmes à ses auteurs, fait figure de gentille bluette.

Un tournant. Avec le soutien de l'opinion et l'appui bienveillant des tribunaux, nos responsables politiques ont longtemps pensé que la meilleure façon de lutter contre le chômage était de transformer le licenciement en course d'obstacles pour l'employeur. Résultat : la France a l'une des meilleures protections de l'emploi des pays industrialisés, selon les experts de l'OCDE… mais aussi l'un des taux de chômage les plus élevés. D'où la question que posent crûment de récents rapports (Blanchard-Tirole, Camdessus, Cahuc-Kramarz) : trop de protection de l'emploi ne tue-t-elle pas la création d'emplois ? Des modalités de licenciement trop contraignantes ne conduisent-elles pas les chefs d'entreprise à être plus frileux dans leurs recrutements ? Une interrogation alimentée par la comparaison des flux sur les marchés du travail américain et français. Le risque de perte d'emploi et la probabilité de sortie du chômage sont cinq à six fois plus élevés outre-Atlantique : le salarié perd facilement son job, mais il en retrouve rapidement un autre. À l'inverse, dans l'Hexagone, la personne qui décroche un CDI a de bonnes chances de conserver son poste, mais le salarié licencié ou le nouvel entrant sur le marché du travail ont beaucoup de mal à sortir du chômage.

Un marché du travail peu fluide se traduit par un recours accru aux expédients que sont les CDD et l'intérim (70 % des embauches en France), une moindre capacité des entreprises à absorber les chocs conjoncturels ou technologiques, ainsi qu'un chômage plus long et plus persistant. Selon le rapport Blanchard-Tirole, « les pays à marché du travail sclérosé sont aussi les pays qui ont subi les accroissements les plus importants et les plus durables du chômage au cours des trente dernières années ». Si l'analyse est exacte, introduire un peu plus de fluidité dans le fonctionnement du marché du travail n'est donc pas inutile. Ce qui est en revanche fort critiquable, c'est la façon dont s'y prend le gouvernement.

Plutôt que de rechercher un compromis avec les partenaires sociaux sur une « flexisécurité » à la française – assouplissement des règles de licenciement contre mutualisation du reclassement, individualisation de l'accompagnement vers le retour à l'emploi et amélioration de l'indemnisation du chômage –, le Premier ministre a choisi d'intervenir à la marge en créant un énième contrat. Quitte à accentuer encore la dualité du marché du travail entre insiders de la sphère publique ou en CDI et outsiders abonnés aux contrats précaires et au chômage. Et, au passage, l'engagement pris par la loi Fillon sur le dialogue social d'un renvoi préalable à la négociation interprofessionnelle de tout projet de réforme portant sur le droit du travail passe à la trappe.

Auteur

  • Denis Boissard