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Politique sociale

Ces comités d'entreprise qui font le pari de la solidarité

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.09.2005 | Éric Béal

Certains CE concilient offres de services aux salariés et lutte contre l'exclusion. Mais cet engagement, pourtant facilité par la création du titre emploi service, reste le fait d'une minorité. Faute de moyens ou de volonté politique de la part d'élus de moins en moins syndiqués. Bien rares aussi sont les comités qui s'investissent dans l'action humanitaire.

Contre le chômage, même les comités d'entreprise peuvent se mobiliser. Avec un argument de choc : on peut soutenir la création d'emplois tout en se facilitant la vie quotidienne. Le principe est simple, en utilisant les services à domicile proposés par des CE citoyens, les salariés contribuent à créer des emplois au bénéfice de personnes en difficulté. Les premières expériences remontent au début des années 90. « Les élus ne voulaient plus se contenter de distribuer des aides sociales à des salariés dont les proches pouvaient être touchés par le chômage. Il fallait passer à quelque chose de plus constructif », rappelle Patrick Blamoutier, secrétaire de l'Asoc, association de la Caisse des dépôts et consignations qui fait office de comité d'entreprise pour les 4 000 salariés de droit privé du groupe. En 1995, l'Asoc s'adresse à un centre d'aide par le travail pour proposer un service de pressing et de cordonnerie aux salariés de la Caisse. Dix ans après, la prestation existe toujours, même si elle ne suscite guère plus de 10 demandes par semaine.

C'est à cette même époque que le CE de Hewlett-Packard à Grenoble s'est mobilisé. Le lavage de voiture au profit des salariés est organisé sur le parking de l'un des deux sites isérois, tandis qu'un service de repassage, appuyé sur une structure d'insertion, est proposé à l'ensemble du personnel. Le succès de ce dernier est tel auprès des cadres qui représentent 85 % des effectifs que, complètement débordé, il doit être arrêté après quelques mois. Mais l'activité de lavage de voiture n'a pas fait l'unanimité. « Après la fusion avec Compaq et plusieurs plans sociaux, notre attention s'est d'abord portée sur l'emploi interne et les résultats de l'entreprise. Nous avons alors supprimé ce service qui coûtait cher », indique François Godard, secrétaire du CE de H-P France.

D'autres comités ont préféré créer directement des emplois. Exemple, le CE du centre de psychothérapie de l'Ain a signé une convention avec l'Agefiph pour aménager ses locaux et embaucher une, puis deux personnes handicapées afin d'assurer les tâches de secrétariat et d'animation. Des démarches qui demandent beaucoup d'énergie aux élus des comités d'entreprise. En 1996, cette solidarité active à l'égard des chômeurs a bénéficié d'un coup de pouce des pouvoirs publics avec la création du titre emploi service (TES). Le nouveau dispositif de paiement des heures de travail ménager simplifie l'investissement financier et humain des CE. Plus besoin d'organiser l'intervention des prestataires sur le site, il suffit de répertorier les associations locales agréées par les services de l'État et de subventionner leur utilisation par les salariés.

L'heure de ménage à 2,50 euros

Dès 1997, l'Asoc, bientôt imitée par le CSE, son équivalent pour les 5 500 fonctionnaires employés par la Caisse des dépôts, se lance dans la promotion du Chèque Domicile, le TES du groupe Chèque Déjeuner. Concrètement, les deux comités d'entreprise achètent des chèques d'une valeur faciale de 13 euros et les revendent 9 euros aux salariés. Soit une subvention de 30 % à laquelle s'ajoutent les avantages fiscaux liés à leur utilisation. Au total, une heure de ménage, de jardinage ou de repassage revient à 2,50 euros pour les salariés. « En 2004, nous avons distribué quelque 20 000 chèques, subventionnés à hauteur de 80 000 euros, soit 5 % de notre budget. Chaque salarié a eu le droit d'acheter 100 chèques, qui lui ont offert la possibilité de bénéficier de deux heures de ménage hebdomadaires tout au long de l'année », indique le secrétaire de l'Asoc. De quoi contribuer à la création de huit équivalents temps plein.

Chez Hewlett-Packard France, le CE recourt également au Chèque Domicile, proposant une subvention de 20 à 50 % du prix facial de 15 euros, en fonction de l'imposition de l'utilisateur. Chaque salarié a droit à une centaine de chèques par mois. Le comité d'entreprise de H-P CCF, la filiale tournée vers l'international, a développé la même gamme de services avec le Ticket Emploi Domicile du groupe Accor. Sollicités par Alice, un réseau inter-CE local, d'autres comités d'entreprise de Rhône-Alpes lui emboîteront le pas. L'expérience a permis de pérenniser une dizaine d'équivalents temps plein.

Si les quelque 30 000 comités d'entreprise recensés dans le privé par le ministère du Travail, auxquels s'ajoutent leurs équivalents dans les organismes d'action sociale, la fonction publique d'État, les collectivités locales et les entreprises publiques, adoptaient des mesures semblables, l'action des CE aurait un impact considérable sur la création d'emplois en France. Mais c'est loin d'être le cas. Malgré la simplicité d'utilisation des TES, seule une minorité de CE proposent des services à domicile dans le cadre de leurs activités sociales.

Aux yeux de Christian Dufour, chercheur à l'Ires, la solidarité des CE à l'égard de personnes extérieures à l'entreprise nécessite des conditions particulières. « Des moyens, tout d'abord, car ce genre de politique sociale coûte cher. Or un grand nombre de CE ont un budget qui ne dépasse pas le 0,2 % de la masse salariale fixé par la loi pour couvrir leurs frais de fonctionnement. Ensuite, il faut une équipe d'élus soudée et un projet commun soutenu par une réflexion collective, que le recul général de l'influence des syndicats ne favorise pas. » Une analyse que partage Pascal Dorival, directeur de Chèque Domicile, premier gestionnaire de titres emploi service, avec 78 % du marché : « Un millier de CE utilisent notre Chèque Domicile pour 10 000 qui distribuent Cadoc, notre chèque cadeau. Nous nous sommes rendu compte que le Chèque Domicile est toujours promu par les élus les plus militants et majoritairement syndiqués. Or 55 % des CE ne sont pas gérés par des représentants syndiqués. »

Pourtant, dans les entreprises où les CE ont pris cette initiative, le succès des services à domicile est réel. À Roubaix, dans le Nord, le comité d'entreprise de l'Ircem, caisse de retraite complémentaire et de prévoyance des salariés employés au service de particuliers, s'appuie depuis huit ans sur Sydo, une association relais de Chèque Domicile, qui fédère toutes les offres de services dans le département. « Avant de nous lancer, nous avons fait une enquête auprès des salariés pour connaître leurs besoins. Le lavage de voiture, le repassage et les petites réparations dans le logement arrivaient en tête, suivis des travaux de peinture, de couture, de ménage et de l'aide aux devoirs », se souvient Valérie Chanterie, déléguée syndicale CFDT. Depuis, le CE est passé sous le contrôle de FO, mais le soutien aux services a été maintenu. Il n'y avait aucune raison de supprimer une prestation utilisée, même de façon ponctuelle, par une bonne partie des 450 salariés…

Plus d'équité, plus d'ouverture

Certains comités d'entreprise vont plus loin. À Lannion, dans les Côtes-d'Armor, l'objectif de la majorité CFDT du CE d'Alcatel CIT est d'« aller vers plus de solidarité, plus d'équité envers les salariés et plus d'ouverture vers l'extérieur ». Même si, comme l'admet Claude Guennoc, le secrétaire du CE, « il est difficile de réfléchir à des mesures d'aide aux personnes en difficulté à l'extérieur de l'entreprise quand nous subissons des plans sociaux à répétition ». Depuis trois ans, ce CE propose des Chèque Domicile subventionnés en fonction du quotient familial des salariés. Mais ceux-ci ne peuvent dépasser un plafond de 40 chèques par famille et par an, car les élus souhaitent promouvoir d'autres formes de solidarité. Après avoir organisé expositions et dégustations de café Max Havelaar dans le réfectoire, ils ont obtenu sa distribution à la cantine, après référendum auprès des 1 050 salariés. Le CE a également décidé de subventionner des « voyages solidaires » vers l'Afrique ou l'Asie. Principe : multiplier les occasions de rencontre avec la population tout en permettant de soutenir des projets de développement.

Ailleurs, on utilise une partie du budget du CE pour soutenir directement un projet dans un pays pauvre. À Mutuelle Atlantique, le CE soutient depuis douze ans l'association Nantes-Guinée, dont l'objectif est l'édification d'un système mutualiste de santé en Guinée. Quant à l'Asoc, elle trouve chaque année une dizaine de volontaires pour des « congés de mission ». En lien avec Planète Urgence, ces salariés sont envoyés pendant deux à trois semaines participer à une mission de sauvegarde de l'environnement, de formation à la micro-informatique ou d'alphabétisation. Les volontaires prennent sur leurs congés mais l'Asoc débourse 3 000 euros par mission.

Des salariés plus individualistes

Malgré la loi du 17 juillet 2001 qui autorise les CE à verser le reliquat budgétaire de l'année à hauteur de 1 % du budget « à une association humanitaire reconnue d'utilité publique », les dons restent exceptionnels. « Pas étonnant, les salariés sont de plus en plus individualistes et centrés sur eux-mêmes », affirment de nombreux élus. La plupart des CE proposant une aide aux services à domicile se contentent d'ailleurs de communiquer sur l'intérêt bien compris des salariés, sans mentionner le coup de pouce à la création d'emploi. « Les salariés voient surtout le comité d'entreprise comme un distributeur de compléments de salaire », ajoutent certains. Des opinions que nuance Philippe Leroy, sociologue, professeur à l'université Rennes I : « Les élus manquent souvent de lien avec les salariés. Les plus anciens d'entre eux vont jusqu'à dire que les jeunes générations sont égoïstes. Alors qu'en réalité ils ont des modes d'engagement différents. »

Chez Brittany Ferries, deux jeunes salariés sont à l'origine d'un renouveau de la politique sociale du CE. « Ils incitaient leurs collègues à offrir des titres-restaurants pour financer Les Restos du cœur, relate Yves-Marie Bossé, le secrétaire du comité d'entreprise. Nous avons appuyé leur démarche en proposant d'abonder les dons. » Depuis, le CE consacre 1 % de son budget à des actions humanitaires. Piqués au vif par ce militantisme qu'ils ne soupçonnaient pas, les élus ont aussi élargi leur action et se sont préoccupés des conditions de travail chez les sous-traitants. Une politique que la section CFDT majoritaire ne regrette pas. Ses effectifs ont progressé de 16,55 % en 2004…

Chez Bull, la solidarité s'essouffle

La solidarité à l'égard de ceux qui ont perdu leur place, les salariés du site isérois de Bull en ont pris l'habitude depuis 1989, date du premier plan social qui s'est soldé par le licenciement de 350 personnes sur les 800 salariés de l'époque. Sur le moment, les élus du CE ne s'en tiennent pas aux indemnités de départ. Ils se rapprochent d'Agir Emploi, une association locale, pour apporter aide et assistance aux licenciés. Une subvention annuelle de 35 000 francs (5 335 euros) est renouvelée jusqu'en 1996 à cette fin.

Au cours des années suivantes, d'autres initiatives suivent. Le CE subventionne Qual'id 38, une association locale d'insertion, puis devient actionnaire de Qualirec, l'entreprise d'insertion créée par Qual'id 38. Un soutien qui se double d'une campagne de parrainage auprès des salariés pour les inciter à assister un demandeur d'emploi dans ses démarches pour retrouver du travail. Sachant que Bull possédait un parc de logements sociaux sous-utilisé par ses salariés, dont 90 % sont des ingénieurs et cadres, le CE négocie aussi une convention avec la direction, l'office HLM concerné et l'association Un toit pour tous. Résultat : une vingtaine de familles en difficulté ont obtenu un logement. Dans la foulée, il aide l'office HLM à réhabiliter un quartier sensible en obtenant par deux fois le déblocage de 100 000 francs (15 245 euros) prélevés sur les réserves constituées par les remboursements du 1 % logement. Aujourd'hui, la commission solidarité du CE n'a plus le même rayonnement.

La succession de plans sociaux que l'entreprise a connue ces dernières années a absorbé les élus. Restent quelques actions concrètes : subvention des Chèque Domicile en fonction du quotient familial de chaque salarié et collecte de jouets au profit des foyers pour mères isolées de la région. Une situation qui pourrait changer, note un permanent. Grâce au redressement de l'entreprise.

Auteur

  • Éric Béal