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Enquête

DE L'ART DE VENDRE UN PLAN SOCIAL

Enquête | publié le : 01.09.2005 | Sandrine Foulon

Les conflits LU, Michelin, Marks & Spencer ont laissé des séquelles. Et les entreprises en ont tiré les leçons. Procédure soignée, arguments peaufinés, interlocuteurs ciblés… les annonces de restructuration sont de plus en plus bordées.

S'offrir une pleine page du Monde pour afficher son plan social, c'était du jamais-vu. STMicroelectronics l'a fait. « Nous n'avons pas voulu faire école, se défend Cyrille Gibot, responsable presse du fabricant de semi-conducteurs. Encore moins faire un coup de pub. » Mais le groupe n'avait pas prévu que l'annonce, fin 2003, de la fermeture de l'usine de Rennes susciterait une telle émotion. « Notre discours était devenu inaudible. En plein contexte électoral local, nous sommes devenus emblématiques des délocalisations. » Une grève de la faim, le déménagement du matériel de production en juin 2004 avec l'aide des forces de police n'ont pas aidé. Peu importe si le groupe a justifié sa décision par un marché des puces en perte de vitesse, s'il a martelé que ses implantations asiatiques et plus anciennes lui ont permis d'investir à Crolles, dans l'Isère, il a perdu la bataille médiatique et n'a pas trouvé mieux pour s'adresser aux salariés et à l'opinion.

Autrefois muettes sur le douloureux sujet du plan social, les entreprises commencent à briser l'omerta. « On a forcément le mauvais rôle, explique Isabelle Ockrent, directrice de la communication d'Altadis, qui n'en est plus à sa première fermeture de site. Notre discours économique pèse peu au regard de l'affectif qui entoure l'annonce. C'est cet aspect qui sera repris par les médias. Mais on doit faire avec. Une très mauvaise nouvelle, même si elle est expliquée, reste une très mauvaise nouvelle. »

Depuis le grand trauma Danone-Michelin-Marks & Spencer de 2001, les experts de la com se sont emparés du plan social. La gestion de crise appliquée à la listeria ou aux marées noires s'est déplacée vers le social. Les directions font du media training, apprennent à sérier les interlocuteurs et à distiller les infos au bon moment. Des procédures sont mises en place, des porte-parole désignés. « Notre travail consiste à ne négliger aucun acteur : salariés, syndicats, élus, ministères, riverains…, à décrypter leurs stratégies et à mesurer le risque d'opinion », note Sandrine Place, spécialiste de la communication de crise chez I & E. « Il faut affûter son argumentaire, ajoute Jean-Louis Tardy, consultant chez BPI. Le document fondamental pour convaincre managers et médias, c'est la justification économique du plan de licenciement. Trop d'entreprises le négligent et se concentrent sur les modalités d'accompagnement. »

La hantise du délit d'entrave

Tout devient affaire de com, y compris les cas les plus indéfendables. Le tollé suscité par le transfert en catimini d'une partie du matériel de l'usine Flodor de Péronne vers l'Italie, en août 2004, et par la mise en examen du P-DG italien, Vilmo Maderi, a conduit le groupe Unichips, propriétaire de l'usine, à faire appel à Edelman, une agence de relations publiques, et à passer à la contre-offensive. Dans le sillage des syndicats, le groupe a inondé les rédactions de communiqués et même de CD-ROM pour assurer sa défense. Dans la bataille que se livrent partenaires sociaux et directions, l'argument du timing juridique et la crainte du délit d'entrave reviennent en boucle. Ce qui n'empêche pas les directions de préparer le terrain. « Le plan de communication doit être construit interlocuteur par interlocuteur. On va voir le préfet si le projet de réorganisation est important, s'il se produit dans une société emblématique, puis la DDTE ; enfin, au dernier moment, les élus, car on peut rencontrer avec eux d'éventuels problèmes de discrétion », détaille un consultant. Une pratique non réglementaire. « Le fait de ne pouvoir parler à quiconque avant d'avoir averti les institutions de représentation du personnel, sous peine de délit pénal, ne se justifie plus avec l'évolution des modes de communication, estime Jean-René Buisson, ex-secrétaire général de Danone. Il ne s'agit nullement de remettre en cause des acquis sociaux. Mais il est indispensable de pouvoir dialoguer avec les politiques sans que cela nuise aux représentants du personnel. » Contraint pour des questions de délit d'entrave de refaire le dossier de la fermeture de deux usines, dont Seclun, Danone s'en est tenu pour l'usine LU, en 2001, à une gestion strictement légale. « Malgré la fuite dans la presse du PSE en janvier, j'avais donné des consignes de silence total jusqu'à fin mars, se souvient Jean-René Buisson. Nous avons attendu la fin des élections municipales pour parler. On s'est longtemps demandé si nous avions eu raison de garder le silence. Après 220 CE et CCE en trois ans, de multiples procédures et procès que Danone a tous gagnés, je peux affirmer que oui. Si le PSE a pu être finalisé, c'est grâce à une procédure impeccable. »

Mais si les entreprises se plaignent de ne pouvoir commenter une fuite ou une rumeur de réorganisation alors que les syndicalistes ont « toute liberté de parole », elles gardent la main. « Avec la concomitance des livres 4 et 3 du Code du travail, et les accords de méthode, tout concourt à ce que la décision prise longtemps à l'avance soit entérinée le plus rapidement possible. On ne nous consulte pas sur les alternatives possibles. On nous demande d'accompagner les licenciements. C'est la dinde qui participe au repas de Noël », déplore Francine Blanche, secrétaire confédérale à la CGT. Libre ensuite à chacun d'utiliser ses armes. Les syndicats jouent la montre, judiciarisent et médiatisent les affaires. Conséquence de ces affrontements : une communication officielle sur les projets de restructuration hyperbordée… qui va de pair avec une communication plus informelle. « Des mois à l'avance, certaines directions instillent le sentiment que ça ne sent pas bon, explique Jean-Philippe Sennac, directeur d'Aprime, société de conseil aux CE. Parfois, les salariés voient débarquer un type venu mesurer les bureaux. Et lorsque le PSE est annoncé, c'est le soulagement : on sait enfin ce qui se passe. » La stratégie fait les beaux jours de la rumeur. Selon une étude d'ISR (cabinet de stratégie RH) menée auprès de 7 600 salariés français sur ce thème, 67 % des salariés interrogés déclarent apprendre des infos importantes à la machine à café.

Mauvaises nouvelles au compte-gouttes

Autre conséquence : les entreprises évitent, depuis l'affaire LU, de tout dire en même temps et d'aller vers une fermeture complète et brutale des sites. La symbolique est trop traumatisante. Francine Blanche parle de technique salami. « Il y a encore deux ans, Alstom décidait d'un seul coup un plan mondial de 7 500 suppressions d'emplois. Aujourd'hui, c'est fini : en avril 2004, le groupe révélait 900 suppressions d'emplois en Allemagne, en décembre plusieurs centaines en France… » Le canadien Alcan aussi s'est fait le champion de l'annonce à épisodes. En novembre dernier, le géant de l'alu a fait part d'un plan portant sur 540 postes. De mois en mois, les syndicats en sont à 5 000. Faut-il faire peur une bonne fois pour toutes à des milliers de salariés, style IBM, ou n'en effrayer que certains en distillant les mauvaises nouvelles au compte-gouttes ? Là encore, tout est dans la forme.

Auteur

  • Sandrine Foulon