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Enquête

CES BLOGS QUI BROUILLENT LE MESSAGE

Enquête | publié le : 01.09.2005 | Anne-Cécile Geoffroy

Simples, vivants, interactifs, les carnets de bord alimentés par les salariés sur le Net rencontrent un joli succès, surtout en temps de crise. Déstabilisées par ce média dont elles ne contrôlent pas le contenu, les entreprises s'en méfient, sauf les pionnières qui l'intègrent dans leur com.

C'est par un communiqué laconique que les salariés de la société Amen, prestataire de services sur Internet et filiale du groupe néerlandais Via Networks, ont appris, en avril dernier, que leur entreprise était sur le point d'être rachetée par le groupe britannique Claranet. Deux jours plus tard, un conflit social de grande ampleur est déclenché et un blog, « Amen en grève », voit le jour. Véritable chronique quotidienne, ce journal de bord, alimenté par les salariés, raconte, photos à l'appui, l'évolution du mouvement social qui s'est étendu aux filiales britanniques et espagnoles, également touchées par le rachat. Pour mieux faire circuler l'information, le blog est traduit dans les trois langues.

Aux mêmes maux, les mêmes remèdes, à la Savoyarde du meuble. En février dernier, les employés de ce petit fabricant de meubles de Thonon-les-Bains, en Haute-Savoie, prennent comme un coup de massue l'annonce de la fermeture de leur usine. Cauval Industries, la maison mère, a décidé de délocaliser la production et de licencier 165 personnes d'ici à la fin août. Mais qui connaît la Savoyarde ? Pour rendre publique leur situation, ils décident d'utiliser tous les moyens de communication à leur portée. « Certains sont allés tracter à la sortie des magasins de la région qui commercialisent nos produits. Quant à moi, j'ai étudié ce que je pouvais faire sur le Web. Créer un site Internet aurait été trop long et trop compliqué. J'ai opté pour un blog. Dans la soirée, “Délocalisation savoyarde” était lancé », raconte un salarié « blogueur ». Semaine après semaine, le carnet de bord raconte la mise en place du PSE, les négociations avec la direction départementale du travail, les colères, les faux espoirs et les témoignages de soutien, sans oublier la mise en place d'une cellule de reclassement.

Ces chroniques sociales seraient restées confinées dans les murs de ces PME ou n'auraient pas dépassé les frontières régionales si les salariés ne s'étaient pas emparés du Web pour dire leur colère et leur amertume. « Le blog nous sert de tribune, explique un salarié d'Amen. Sans lui, nous aurions difficilement pu alerter les médias. Aucun syndicat n'est derrière ce mouvement. Et les dirigeants n'avaient pas intérêt à ce que les futurs acheteurs entendent parler de cette grève. Le blog s'est imposé comme le moyen le plus rapide et le plus efficace pour faire entendre notre voix. »

Ces prises de parole collective sur la Toile ne cessent de se multiplier tant les blogs (contraction de Web et de log) sont devenus, en l'espace de deux à trois ans, un véritable phénomène de société. À l'origine, il s'agissait de journaux plutôt intimes. Selon la société d'analyse Technorati, un nouveau blog fleurirait toutes les sept secondes dans le monde. « Ce qui fait son succès, c'est sa grande simplicité d'utilisation. Tout un chacun peut, en quelques minutes, publier des informations sans avoir recours aux compétences d'informaticiens ni se plonger dans le langage HTML nécessaire pour créer un site. Le tout à moindres frais. Au maximum 15 euros par mois pour les blogs « professionnels » », décrypte Frédéric Alin, consultant en organisation chez Sopra, spécialisé dans la mise en place d'intranets.

Des informations moins aseptisées

Autre immense avantage, l'interactivité. L'outil permet les discussions entre l'auteur et ses visiteurs et donne vite le sentiment d'appartenir à une communauté. Des annuaires, des moteurs de recherche, des protocoles relient les blogs entre eux. Moins aseptisées que la communication corporate, les informations fournies dans une écriture débridée par les blogs de salariés lèvent ainsi le voile sur une autre réalité de l'entreprise et viennent percuter celles véhiculées par les dircom. Surtout en temps de crise. Exemples piochés sur le blog « Amen en grève » : « 21 avril 2005. Rendez-vous avec Ray Walsh, CEO de Via : la situation est bloquée. Comme convenu, nous avons rencontré Ray Walsh dans une salle de réunion louée au Hilton de la Défense. L'entretien, qui a duré quarante-cinq minutes environ, a débouché… sur rien. » « 29 avril 2005. Des grévistes menacés de poursuites judiciaires. Nous avons été informés que certains grévistes ont reçu un courrier de la direction d'Amen les sommant de retirer certaines informations qui seraient confidentielles et qui ont été publiées sur le site www.amenengreve.info… » « 4 mai 2005, communiqué de presse officiel d'Amen France : désinformation ? Les grévistes restent sans voix devant les propos tenus. Par respect vis-à-vis des clients et fournisseurs d'Amen, il est de notre devoir de publier un droit de réponse. » « L'ironie, dans l'histoire, c'est qu'avant la grève nous pensions mettre en place un blog d'entreprise pour nous doter d'un outil de communication corporate souple, rapide et peu cher », explique un gréviste.

Les syndicats s'y mettent aussi

En marge de ces initiatives portées par des salariés, les syndicats ne devraient pas rester longtemps à l'écart de la vague des blogs. D'une part, parce que les entreprises rechignent encore à ouvrir leur intranet à l'expression syndicale. D'autre part, parce que la majorité des syndicats qui ont investi dans un site Internet n'ont bien souvent ni les compétences ni les moyens pour les entretenir. Résultat, beaucoup demeurent des coquilles vides. Le syndicat CFDT d'Oracle est l'un des premiers à s'être dotés d'un blog en début d'année, au moment du rachat de PeopleSoft. « Nous y avons été un peu contraints et forcés, raconte Franck Pramotton, délégué CFDT de la société américaine. Depuis 2001, nous avions un droit d'usage sur l'intranet. L'année dernière, nous avons souhaité renégocier de nouveaux moyens sous couvert de la loi du 4 mai 2004. L'entreprise nous a opposé une fin de non-recevoir. » Avec le blog, le syndicat propose désormais une information mise en ligne au fil de l'actualité de la fusion.« Cet outil a changé la nature du site que nous animions difficilement avant. Le blog est beaucoup plus vivant. Mais c'est une arme à double tranchant. Nous avons un devoir de réserve à respecter et nous faisons très attention à ne pas divulguer de données sur la stratégie commerciale de l'entreprise. » (Voir encadré page 24.)

Du côté des entreprises, le silence est étourdissant lorsqu'il s'agit d'évoquer l'impact de ce nouvel outil sur leur image. La DRH d'Oracle n'a pas tenu à s'exprimer sur le sujet. Chez Amen, la direction de la communication use des bons vieux communiqués de presse pour démentir les informations du blog concernant le fonctionnement du service client. « Ce qui tétanise les entreprises, c'est de ne plus pouvoir maîtriser et filtrer l'information, explique Jacques Froissant, dirigeant du cabinet de chasse de têtes Altaïde et blogueur invétéré. Les DRH et les patrons que je rencontre observent le phénomène. Ils sont attirés par le concept tout en le redoutant. Un blog, c'est la possibilité de se retrouver avec autant de leaders d'opinion que de salariés dans l'entreprise. » Prises au dépourvu par l'arrivée des blogs, beaucoup de directions n'ont d'autre défense que de les taxer de moulins à rumeurs, en pointant le manque de déontologie qui les entoure.

Certaines ont néanmoins décidé de sauter le pas et d'expérimenter cet outil dans le cadre de leur communication interne. Aux États-Unis, Microsoft, Boeing ou IBM offrent à leurs salariés la possibilité de bloguer en toute tranquillité. Blog interne ou externe, l'idée est de leur permettre d'échanger sur leurs pratiques professionnelles. En France, Compass est l'une des premières entreprises à s'être convertie aux blogs il y a bientôt trois ans. C'est Andrew Patterson, administrateur des ventes chez Eurest, l'une des marques du groupe de restauration collective, qui a porté le projet baptisé Dia-Log. « Le blog est né d'un besoin exprimé par les forces de vente d'Eurest dispersées sur l'ensemble du territoire. Les commerciaux étaient en manque de communication, explique Andrew Patterson. Ce blog interne leur permet d'avoir accès à des informations sur leur métier, d'échanger des bonnes pratiques, de lire les comptes rendus de réunions qui se tiennent à Paris. Bref, de faire circuler l'information rapidement. » Et le virus semble gagner d'autres secteurs du groupe. La direction des systèmes informatiques et le top management devraient bientôt disposer chacun d'un blog dédié.

Un souci de transparence

Depuis, d'autres entreprises ou associations ont suivi, l'utilisant parfois pour remplacer un intranet. Le GIE Sésame Vital, l'Agospap, l'organisme qui gère les œuvres sociales des personnels des administrations de Paris, le Secours populaire français, ont sauté dans le wagon. « L'objectif est double, explique Joël Ronez, bénévole à l'origine du blog et consultant en communication sur Internet. Il s'agit de favoriser la communication entre les fédérations du SPF en faisant redescendre les informations auprès des 100 000 bénévoles et d'être le plus transparent possible à l'égard des donateurs en leur expliquant comment nous travaillons. » Le Secours populaire français a créé plusieurs blogs. L'un d'eux permet aux bénévoles en mission de transmettre des photos de leurs actions sur le terrain. Ce qui a suscité des remous en interne. « S'il y a débat, c'est parce que nous ne trichons pas. La philosophie des blogs, c'est transparence et spontanéité », défend Marc Castille, dircom du SPF.

Chez Eurest aussi, la mise en place du blog a suscité des réticences. « Dans un premier temps, la DSI et la direction de la communication n'étaient pas très enthousiastes, note Andrew Patterson. Les premiers y voyaient un intrus dans le système d'information interne tandis que les seconds se sentaient dépossédés. » Pour rallier tout le monde, assurer un certain contrôle sur les notes publiées, l'administrateur des ventes a rédigé une charte éthique. « Le tout est de donner dès le départ des règles claires pour que les collaborateurs adhèrent. Je joue le rôle de modérateur et, pour le moment, je n'ai jamais eu à supprimer une note ou un commentaire déplacé », se félicite Andrew Patterson. Un engouement qui n'est pas partagé par la majorité des entreprises. Trop soucieuses de contrôler leur image.

Gare aux dérapages !
Le salarié blogueur doit rester loyal envers l'employeur

Des histoires de salariés licenciés pour en avoir trop dit ou trop montré sur leur blog, il en circule sur la Toile. Microsoft a licencié l'un de ses ingénieurs qui avait publié sur son blog des photos de la livraison d'ordinateurs Apple au siège de l'entreprise de Bill Gates. Delta Air Lines a remercié l'une de ses hôtesses de l'air pour avoir publié une photo sur laquelle elle portait un uniforme.

En France, aucun salarié n'aurait été encore licencié pour avoir diffamé son employeur via un blog. Et parler de son entreprise sur Internet ne constitue pas une faute susceptible de motiver un licenciement ou une sanction disciplinaire. « Cet outil de communication doit être néanmoins manié avec prudence, prévient Frédéric Zunz, avocat chargé de l'équipe sociale du cabinet Touzet Bocquet et Associés. En France, le droit d'expression est très encadré. Mais le salarié comme l'organisation syndicale n'ont pas tous les droits et ne peuvent pas dépasser la ligne rouge du dénigrement ou de la calomnie. Tout salarié est tenu à une obligation de loyauté à l'égard de son employeur. »

D'autant plus que le droit assimile le créateur d'un blog à un éditeur, responsable des contenus qu'il diffuse et tenu de s'identifier via une « notice légale. » Une responsabilité que les salariés grévistes et blogueurs de la société Amen ont, dès le début, pris très au sérieux. « Toutes les notes publiées sont validées par trois personnes. Nous faisons très attention à ce que nos écrits restent corrects pour ne pas nous mettre en porte à faux vis-à-vis de l'entreprise », explique un salarié. Même attitude à la CFDT d'Oracle : « Depuis que j'écris sur le blog, je m'autocensure. Du coup, les messages que je fais passer sont plus édulcorés que lorsque nous utilisions l'intranet », regrette Franck Pramotton, le délégué CFDT d'Oracle.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy