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Le bloc-notes

Une passe difficile

Le bloc-notes | publié le : 01.06.2005 | Raymond Soubie

Vent mauvais

La situation sociale de la France est inquiétante.

Les semaines qui ont précédé le référendum ont montré comment des mécontentements contradictoires, organisés ou non, pouvaient partir à l'assaut de pouvoirs publics supposés affaiblis. Nul doute que, dans une partie du secteur public où ils sont encore puissants, les syndicats tenteront d'en tirer profit, avec des risques de contamination dans le privé. Mais là n'est pas le plus inquiétant. La société française semble aujourd'hui plus déstructurée que naguère, avec moins de repères, des craintes devant l'avenir, un affaissement des corps intermédiaires, un rejet des élites.

Prenons deux exemples. Au cours des décennies 1980 et 1990, l'économie de marché et le rôle évident que les entreprises y jouent ont été peu à peu reconnus. Or, aujourd'hui, que voit-on ? Un fort rejet du « libéralisme », une aspiration à une économie plus administrée par l'État, des tentations de protectionnisme et, plus encore, la contestation des bienfaits apportés jusqu'ici par des espaces économiques plus larges que la nation. Autre exemple : le rejet des élites politiques mais aussi d'entreprise. Les enquêtes montrent la dégradation de l'image des dirigeants d'entreprise, non pas des PME mais des grandes sociétés, avec des répercussions sur le rayonnement et l'attractivité de celles-ci. La raison en est simple : l'absence d'exemplarité dans leur action, selon l'opinion souvent injuste et excessive des salariés. Devant ces symptômes, ne faut-il pas craindre le risque d'un grand désordre pouvant déboucher sur des politiques, en particulier sociales, en rupture avec les vingt dernières années et, surtout, avec les pratiques des autres pays, nous isolant d'eux pour un temps ?

Un président pour le Medef

La difficulté principale pour un président du Medef est qu'il doit accomplir en même temps trois missions pour partie contradictoires. La première, la plus évidente, est de réussir à fédérer autour de l'organisation patronale et de son programme les entreprises petites et grandes, ce programme devant reprendre les revendications habituelles de la corporation. La deuxième mission, traditionnelle, est d'essayer de faire avancer celui-ci auprès des pouvoirs publics, bref, de remplir un rôle de lobbying d'autant plus efficace qu'il est discret. La troisième mission est de faire sinon mieux aimer l'entreprise par les Français – n'en demandons pas trop –, du moins de les en rapprocher. Les trois cibles, entreprises, gouvernement et citoyens, ne se traitent malheureusement pas de la même manière. Les propos fédérant les entreprises autour de leurs exigences ne sont pas les plus propices à être entendus par l'opinion et les gouvernants. C'est pourtant sur ce terrain que le prochain président du Medef est attendu. Il serait dangereux que les fissures perceptibles entre les Français et les entreprises se transforment en fossé.

Les paradoxes de l'emploi

La situation de la France en matière d'emploi n'est pas bonne, chacun le sait. Mais ce simple constat ne suffit pas à rendre compte de l'état réel du pays qui se caractérise par trois paradoxes bien français. D'abord, la reprise de la croissance s'est faite en 2004 sans création, ou presque, d'emplois, à la différence des phases précédentes du cycle économique. Pourquoi ? Les contraintes juridiques n'ont pas à ce point changé qu'elles puissent être la raison principale de cette rupture. Alors ? Fin de l'effet 35 heures ou limites atteintes par la politique d'abaissement des charges sociales ? Beaucoup de ces questions restent sans réponses claires. Deuxième paradoxe : alors que le coût de la politique de l'emploi dépasse 1,5 point de PIB, plus que dans beaucoup d'autres pays industrialisés, son efficacité mesurée par le taux de chômage est bien faible. Les raisons de ce phénomène sont parfois connues, parfois controversées : trop d'argent public pour les dépenses passives, pas assez pour les dépenses actives comme les aides au reclassement ; incertitude quant à l'efficience réelle à moyen terme des contrats aidés ; incitations à quitter le marché du travail alors que le taux de chômage est en raison inverse des taux d'activité. Mais, là encore, que d'incertitudes sur l'ordre des priorités à donner à ces différents facteurs ! Le dernier paradoxe est sans doute le plus étonnant : Alors que notre droit du travail est l'un des plus protecteurs au monde, que le régime des allocations chômage l'est aussi, pourquoi existe-t-il un tel sentiment d'insécurité devant l'emploi ? Ces quelques énigmes mériteraient d'avoir une réponse. Un début de diagnostic, si possible partagé, serait le bienvenu.

Auteur

  • Raymond Soubie