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Politique sociale

Les recettes de la prévoyance pour freiner les dépenses de santé

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.05.2005 | Valérie Devillechabrolle

Des entreprises qui rechignent à cotiser plus, la Sécu qui diminue ses remboursements… la chasse aux économies est ouverte chez les complémentaires. Pour réduire la note, elles jouent sur plusieurs leviers : mieux informer les assurés, négocier avec les professions de santé ou encore optimiser l'offre de soins.

Les argentiers de la Sécurité sociale ne sont pas les seuls à tenter de freiner la hausse inexorable des dépenses de santé. Mutuelles, institutions de prévoyance et assureurs, qui se partagent le marché de la couverture complémentaire maladie, sont de plus en plus soucieux de maîtriser l'envolée de leurs prestations, qui couvrent 12 % des dépenses de santé. Et pour cause ! « Pour la quatrième année consécutive, les cotisations augmenter ont plus vite que les salaires, avec un rythme annuel moyen d'évolution de l'ordre de 5 à 7 %, mais qui peut atteindre 15 % pour les garanties de remboursement les plus élevées, basées sur les frais réels », constate Stéphane Reuge, directeur de l'institution de prévoyance Pro BTP, sixième intervenant du secteur avec 2 millions d'assurés. Or si les entreprises et les particuliers ont supporté ces hausses sans sourciller, les premières commencent à rechigner. « Nous constatons que les entreprises sont plus sensibles à la maîtrise des dépenses », confirme Marcel Garnier, du groupe Médéric.

L'autre raison de fond qui pousse les organismes complémentaires à s'intéresser à la maîtrise de leurs dépenses c'est, bien sûr, la réforme Douste-Blazy de l'assurance maladie, reprise dans la loi du 13 août 2004, qui laisse augurer de nouveaux transferts de charges vers les complémentaires. Or, comme le rappelait Gilles Johanet, le directeur santé des AGF, en janvier, « à chaque fois que le régime obligatoire diminue d'un point ses prestations, celles des complémentaires augmentent de six ».

Mais, pour des organismes qui ont toujours fait de l'extension des garanties santé leur cheval de bataille, ce renversement de posture ne va pas de soi. Et les expose à l'incompréhension de leurs assurés. En guise de réponse, des complémentaires préfèrent imiter le régime général en plafonnant leurs garanties. « La responsabilisation par le porte-monnaie de l'assuré est le seul dispositif réellement efficace », se justifie Stéphane Reuge, en rappelant que « la consommation médicale passe du simple au double lorsque les remboursements passent de 60 % à 90 % des frais réels ». D'autres organismes, les assureurs privés en tête, n'ont pas pour autant renoncé à peser sur l'offre de soins. « Même si les innovations sont rarement consensuelles, des marges de manœuvre existent pour trouver des solutions alternatives aux déremboursements et aux hausses de cotisations », plaide Marianne Binst, directrice générale de Santéclair, la plate-forme commune créée en 1997 par AGF-Allianz, Maaf-MMA et Ipeca, et qui est précurseur en matière de « gestion du risque ». Dans une note du 24 février, le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie en convient : non seulement « l'aiguillon de la concurrence peut être un moteur efficace d'innovation », mais « la réactivité des organismes complémentaires semble aussi supérieure à celle des régimes de base ».

Pour dégager des gisements d'économies, certains ont souvent commencé par s'attaquer aux domaines où la part des complémentaires est prépondérante, tels l'optique ou le dentaire. Mais la chasse au gaspi pourrait s'appliquer à d'autres gros postes de prestations, comme le médicament, qui en représente déjà près de 40 %, ou encore les dépassements d'honoraires. Revue de détail des méthodes développées par ces coupeurs de coûts.

1. Étoffer l'information de l'assuré

L'une des premières pistes des complémentaires pour réduire les dépenses de santé est la plus consensuelle. Il s'agit de faire entrer l'assuré dans une logique consumériste. C'est Carrés bleus, la filiale dédiée de la CNP, qui est à l'origine de la première enquête comparative réalisée en 1995 sur les prix des verres de lunettes. Depuis, cette démarche d'information a débouché sur la multiplication des plates-formes téléphoniques spécialisées dans l'examen des devis optiques et surtout dentaires. Aujourd'hui, « ces plates-formes connaissent un très gros succès, surtout en dentaire, où le solde à la charge des assurés est le plus élevé », note Mathias Matallah, fondateur du cabinet de conseil Jalma, en citant le cas de Ligne claire, plate-forme mutualiste née du rapprochement de MG, MNH et MNT, qui traite jusqu'à 460 devis par jour.

Ces plates-formes ont permis de lutter contre les abus en réduisant les possibilités de « bidouillage » en matière de cotations d'actes. Mais les économies réalisées ont davantage profité aux assurés qu'aux organismes complémentaires qui, dès lors, peinent à rentabiliser leurs investissements. « Nous constatons d'ailleurs une sorte de retour en arrière dans le sens d'une réinternalisation des contrôles dans la chaîne de liquidation des prestations », relève Michel Collombet, consultant associé au sein du cabinet Eurogroup. Exemple, chez AG2R, numéro trois des contrats collectifs, l'analyse des factures est depuis trois ans confiée à des « personnes ressources » disséminées dans chacun des 15 centres de gestion administrative. En matière d'information aux assurés, les complémentaires ne comptent pas en rester là. Les AGF ont, par exemple, décidé de s'associer à partir de juin au palmarès des hôpitaux publié par l'hebdomadaire le Point pour faire profiter leurs assurés de « données enrichies au plan régional »…

2. Contracter avec les médecins

Les complémentaires n'ont pas attendu la loi du 13 août 2004 pour dialoguer avec les professionnels de santé. L'instauration de conventions de tiers payant a souvent fait figure de cheval de Troie. « En échange de quelques contraintes en matière de tarifs (dans la limite de 150 % de nos remboursements) et de qualité de prestations, nous garantissons aux professionnels de santé un niveau de prise en charge direct et solvabilisé », souligne Jean-Michel Laxalt, président de la Mutuelle générale de l'Éducation nationale, la première à avoir conclu un accord dès 1996 avec la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD) qui rassemble les libéraux. Si, de l'avis de Michel Pinet, chargé de ces partenariats à la MGEN, « ces accords ne font rien économiser en valeur absolue, ils permettent au moins de fiabiliser nos prévisions budgétaires en posant des références tarifaires et des pratiques acceptées par la profession ». Par exemple, en réduisant la pose de couronnes provisoires aux seuls actes médicalement justifiés.

Côté assureurs privés, les discussions avec les professions de santé ont débouché sur d'autres formes de partenariat. Alors que les mutuelles prônent le conventionnement le plus large possible (76 % des chirurgiens-dentistes et 70 % des lits hospitaliers sont conventionnés par la MGEN et la Mutualité Fonction publique), les assureurs limitent leur réseau de santé à 10 % de professionnels sélectionnés par appel d'offres (pour les opticiens) et régulièrement audités. « Nous examinons tous les trimestres le cas des professionnels de santé dont nous souhaitons l'exclusion. Et nous le faisons sans états d'âme », explique Marianne Binst en se targuant d'avoir autant de professionnels sur liste d'attente que de places dans le réseau.

Selon les assureurs, ces réseaux sélectifs permettent de réduire de 15 à 20 % les tarifs moyens du marché grâce, en particulier, à la prénégociation de prestations en nature et en échange de la garantie de flux additionnels de clientèle pour les professionnels agréés. Tout en leur offrant la possibilité d'optimiser le recours aux professionnels. Maaf Assurances a ainsi jeté un joli pavé dans la mare en 2004 en proposant de rembourser au premier euro les renouvellements de lunettes réalisés en direct par un opticien agréé, faisant l'économie du recours à l'ophtalmologiste. Une pratique condamnée par ces derniers, mais progressivement étendue aux deux autres assureurs du réseau Santéclair et utilisée par 10 % des adhérents, principalement dans les zones où les délais de rendez-vous avec les ophtalmologistes sont les plus longs.

Mais, plutôt que l'affrontement, les assureurs misent aujourd'hui sur la coopération en cherchant, par exemple, à aller plus loin avec les spécialistes. « Moyennant la prise en charge de certains dépassements d'honoraires, nous aimerions obtenir des contreparties tangibles dans chaque spécialité en matière de formation continue, d'organisation du cabinet ou encore de normalisation d'équipements », indique Alain Rouché, le directeur santé de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA).

Ces pratiques sélectives ont leurs limites. Du fait même des habitudes des assurés : « Nous aurions du mal à faire admettre à nos assurés qu'il faille changer de professionnel pour être mieux remboursé », constate Yanick Philippon, directeur technique d'AG2R. Surtout, « il ne faut pas confondre le rôle de payeur tenté de privilégier systématiquement les pratiques les moins coûteuses avec celui d'évaluateur », remarque le consultant Mathias Matallah, qui estime que « l'assureur n'a ni la capacité ni la légitimité pour garantir la qualité de la prestation ».

3. Moduler les remboursements

C'est le nouveau Graal de la profession ! « À condition de ne plus considérer les assurés comme une population uniforme, les déremboursements annoncés de la Sécurité sociale vont offrir aux organismes complémentaires de nouvelles opportunités pour remplacer les traditionnels forfaits par des indemnisations modulées en fonction des besoins des patients », prévoit Michel Collombet, d'Eurogroup. Grâce aux plates-formes d'analyse de devis, les complémentaires ont pu se constituer des bases de données médicales anonymes en optique et en dentaire, notamment, leur permettant de bâtir sur une dizaine d'années des grilles de remboursements en fonction du défaut visuel, de l'emplacement de la dent ou encore du matériau utilisé. Selon les calculs de la FFSA, le basculement d'une garantie « classique » vers une garantie dite « innovante » tendrait à réduire le coût du poste optique de 15 à 20 %, tout en améliorant la prise en charge des gros défauts de vision qui ne représentent toute fois que moins de 2 % des porteurs de lunettes.

Depuis, des organismes complémentaires se plaisent à imaginer une extension de ces pratiques aux prothèses auditives, tests de dépistage, médecines mal reconnues par le régime général (telle l'ostéopathie) et surtout aux médicaments, surtout ceux dont le service médical rendu est jugé insuffisant. « Nous pourrions par exemple envisager de continuer à rembourser les veinotoniques, mais uniquement pour certaines professions, en accord avec le médecin du travail », souligne Yanick Philippon, d'AG2R. Autant de plans sur la comète qui resteront lettre morte tant que les complémentaires ne sauront pas plus précisément ce qu'elles remboursent (voir encadré ci-contre).

4. Coordonner l'offre de soins

Certains assureurs complémentaires vont encore plus loin dans la maîtrise des dépenses de santé en sortant de leur rôle traditionnel pour investir dans la coordination des soins. Avec l'aide des nouvelles technologies. Depuis 1998, les Mutuelles Mieux-Être se sont associées avec le professeur Dominique Vadrot – chef de service de radiologie de l'Hôtel-Dieu, à Paris, et fondateur de l'Association pour une bonne coordination médico-chirurgicale – dans la mise au point d'un nouvel outil informatique, Patient on line, destiné à héberger « le dossier médical des patients ». « Sachant que 20 à 25 % du temps passé par les praticiens hospitaliers est consacré à la recherche d'informations, la centralisation de ces dernières sur un site unique, consultable sur Internet, permettra de dégager des gains de productivité gigantesques », plaide Jean-Pol Mairiaux, président du groupe Mieux-Être, qui a investi près de 2 millions d'euros dans une société ad hoc, In Vita, constituée en partenariat avec Accenture, La Poste et 9 Télécom.

D'ores et déjà testé sur 800 dossiers médicaux de patients de l'Hôtel-Dieu, cet outil devrait faire partie des premières expérimentations gouvernementales de « dossier médical personnalisé » lancées cet automne avant une généralisation prévue en 2007. D'ici là, Jean-Pol Mairiaux espère bien que les adhérents des Mutuelles Mieux-Être feront partie des premiers bénéficiaires, « à partir de la fin de cette année », précise-t-il.

Dans un autre domaine, le groupe Axa, numéro un de la couverture complémentaire maladie, réfléchit lui aussi à une meilleure organisation du système par l'intermédiaire de sa filiale d'assistance. « Après avoir acquis un savoir-faire en matière d'hospitalisation d'urgence partout dans le monde et développé toute une gamme de services d'assistance à domicile, nous nous sommes aperçus que le seul qui manquait à notre panoplie était la façon d'assurer une continuité des soins médicaux à domicile après une hospitalisation », explique ainsi Yves Masson, président d'Axa Assistance. Du coup, l'assureur expérimente depuis six mois un nouveau service d'hospitalisation à domicile en partenariat avec France Télécom et Eurogroup. Reposant sur l'installation au domicile des patients d'une liaison Internet à haut débit avec une webcam associée, ce système permet au malade de se connecter à tout moment avec l'équipe médicale des services d'aide téléphonique d'Axa Assistance et de l'hôpital en cas de besoin.

Testé depuis six mois dans un hôpital de la région de Rome, « ce nouveau dispositif devrait aider les hôpitaux à optimiser la gestion de leurs lits », souligne Yves Masson, qui a calculé que « cette prestation permettrait de réduire de moitié la prise en charge d'un malade par rapport à une hospitalisation classique ». Sous réserve, toutefois, de lever les nombreux écueils qui empêchent aujourd'hui de développer ce type de pratiques en France, Axa Assistance espère être en mesure de proposer ce service hospitalier d'ici à dix-huit mois en France…

Reste à savoir si ces différentes pistes seront de nature à influencer en profondeur les comportements des patients et des professionnels en matière de dépenses de santé. Certains en doutent, à l'instar de Michel Collombet, d'Eurogroup : « Il ne faut pas croire que des organismes divisés, en concurrence, et dont aucun n'a de puissance suffisante pour s'imposer comme régulateur, réussiront là où un régime général représentant des millions de salariés est tenu en échec. » D'autres sont plus optimistes et font valoir que si toutes ces innovations ne débouchent pas sur des économies immédiates, il en restera de toute façon quelque chose.

Toujours est-il qu'à la veille des premiers désengagements annoncés de la Sécurité sociale les organismes complémentaires vont devoir faire preuve d'inventivité.

Fini l'ère des payeurs aveugles

Pour gérer le risque, encore faut-il savoir ce qui est remboursé. Or les organismes complémentaires sont largement considérés comme des payeurs aveugles. Sur les 7 200 actes médicaux recensés dans la nomenclature qui vient d'entrer en vigueur, les assureurs complémentaires ne disposent officiellement d'un accès informatisé, comme le rappelle Marcel Garnier, de Médéric, « qu'à 15 codes de regroupement, dont 8 concernent le dentaire ».

Pour le reste, les organismes complémentaires doivent se contenter, ainsi que le souligne François Peythieu, directeur santé individuelle de Groupama GAN, d'« informations recueillies manuellement et de toute façon pas du tout en temps réel », via leurs plates-formes de devis. « Difficile, dans ces conditions, de bâtir des garanties pertinentes et proportionnelles au préjudice subi ! »

Pour sortir de cette situation ubuesque, la Cnil vient d'autoriser plusieurs organismes complémentaires à réaliser des expérimentations leur permettant de travailler sur des données médicales « anonymisées » ou encore recueillies avec le consentement exprès des assurés.

La Mutualité française et Axa France ont obtenu l'accès au code CIP – la carte d'identité – des médicaments. « Le but de ces expérimentations, explique Alain Rouché, de la FFSA, est notamment de pouvoir rembourser automatiquement certaines dépenses de médicaments non prises en charge par le régime général, sur la base de leur efficacité médicale par exemple, alors qu'aujourd'hui cela s'effectue de façon artisanale, moyennant une gestion administrative longue et coûteuse. » Toutefois, certains aimeraient aller plus loin, à l'instar de Gilles Johanet, le directeur santé des AGF, qui « souhaite[rait] disposer de l'ensemble des données de soins afin d'établir une traçabilité des choix individuels ». C'est également le sens de l'expérimentation lancée par SwissLife qui se propose, avec l'accord des assurés, de constituer une base statistique lui permettant de mieux connaître certains comportements et consommations afin d'affiner ses garanties.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle