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Politique sociale

Comment Tony Blair a terrassé le chômage outre-Manche

Politique sociale | REPORTAGE | publié le : 01.05.2005 | Jérôme Rasetti

Avec un pays proche du plein-emploi, Tony Blair se présente avec un bilan flatteur aux élections du 5 mai. S'il a bénéficié d'une conjoncture porteuse, il a aussi dopé le marché du travail en créant un salaire minimum et en menant une politique volontariste de retour à l'emploi. Seules ombres au tableau : l'instabilité de l'emploi des jeunes et le chômage des immigrés.

Britain is working ! Après huit années passées au 10 Downing Street, Tony Blair est tellement fier de son bilan en matière de lutte contre le chômage qu'il a fait de ce jeu de mots (littéralement « la Grande-Bretagne travaille », mais aussi « la Grande-Bretagne fonctionne ») le slogan de sa campagne pour les législatives. Et son principal argument afin de convaincre les électeurs de lui confier, le 5 mai prochain, un troisième et dernier mandat. Le leader du Parti travailliste répète à l'envi que le taux de chômage britannique est au plus bas depuis trente ans et que le nombre de demandeurs d'emploi a été réduit de moitié depuis qu'il est Premier ministre.

Comment lui donner tort ? Situation impensable dans les années 90, la Grande-Bretagne affichait en mars dernier un taux de chômage de 2,7 %, contre 5,4 % avant son arrivée au pouvoir, en 1997. Un score à faire pâlir d'envie le grand cousin américain, sans parler des voisins allemand et français, avec leurs taux de chômage à deux chiffres. Même si le chômage est légèrement reparti à la hausse en mars et si le taux officieux, après être passé à la moulinette des statistiques du Bureau international du travail, s'élève à 4,8 %, la Grande-Bretagne ne compte plus « que » 830 000 demandeurs d'emploi indemnisés, contre plus de 3 millions lors du pic des années 80 et 1,5 million lorsque Tony Blair est devenu le chef du gouvernement britannique.

À l'époque, en 1997, on était déjà loin des taux de chômage à plus de 10 % enregistrés en 1986 et 1993, respectivement du temps des gouvernements conservateurs de Margaret Thatcher et de John Major. Mais le nouveau Premier ministre était convaincu qu'il serait surtout jugé à l'aune de ses résultats contre le chômage. Force est de constater que, en la matière, son bilan est largement positif.

Pour atteindre son objectif – remettre les chômeurs au travail, à commencer par les demandeurs d'emploi de longue durée –, le gouvernement travailliste a, il est vrai, bénéficié d'une conjoncture porteuse. À l'instar de l'équipe Jospin qui a gouverné l'Hexagone entre 1997 et 2002. « Le facteur le plus important dans le succès du gouvernement Blair pour réduire le chômage, estime John Adams, chercheur à l'Institut de recherches sur la politique publique (IPPR), un célèbre think tank britannique, c'est la stabilité macroéconomique et la croissance forte qui prévalent en Grande-Bretagne depuis maintenant près de dix ans. » Le cercle vertueux « inflation contenue et croissance forte » avec une progression du PIB supérieure à 5 % par an depuis 1997 s'est répercuté, de façon bénéfique, sur le marché du travail. « L'atout maître du gouvernement, c'est l'excellent climat économique qui règne en Grande-Bretagne depuis l'arrivée au pouvoir du Parti travailliste, abonde Audrey Wilson, de la Confédération britannique de l'industrie (CBI), la principale organisation patronale du pays. C'est aussi la flexibilité du marché du travail, qui permet aux entreprises d'ajuster la main-d'œuvre en fonction du niveau d'activité des entreprises. »

Un minimum proche du smic

Mais, pour John Adams, de l'IPPR, comme pour la plupart des économistes britanniques, cette réussite sur le front du chômage est également à mettre au crédit de la mini révolution engagée par Tony Blair dès 1997 sur le marché du travail. L'une de ses premières mesures aura été l'instauration d'un salaire minimum horaire de 3,60 livres sterling (5,20 euros) pour les salariés de plus de 21 ans. « Le salaire minimum, conjugué aux abattements fiscaux dont ont bénéficié ces salariés, explique John Adams, a servi de socle à la politique de l'emploi du gouvernement. À partir de ce moment, les salariés, même les moins bien rémunérés du pays, avaient plus intérêt à travailler qu'à toucher des indemnités de chômage. »

D'un niveau très proche du smic hexagonal, le salaire minimum britannique devrait être revalorisé à 5,05 livres sterling (7,20 euros) en octobre 2005, puis à 5,35 livres (7,60 euros) en octobre 2006… si Tony Blair est réélu.

Mais l'instauration d'un salaire minimum et d'abattements fiscaux n'a été qu'un des éléments de la nouvelle politique de l'emploi mise en œuvre par Tony Blair. Une politique résumée par une formule limpide : « Faire travailler ceux qui le peuvent et subvenir aux besoins de ceux qui ne le peuvent pas. » À peine élu, le locataire du 10 Downing Street donne d'ailleurs le ton, en offrant aux jeunes chômeurs un réveil-matin. « Afin de structurer leur journée, de leur donner l'occasion de s'organiser, ce qui n'est pas toujours facile lorsqu'on est au chômage depuis longtemps et qu'on n'a plus trop le moral », explique alors le Premier ministre britannique.

Inspiré tout à la fois par le modèle nord-américain et par les recettes des pays scandinaves, Tony Blair a décidé de remettre les Britanniques au travail en réduisant la durée d'indemnisation des chômeurs et en les contraignant à suivre différentes actions destinées à faciliter leur retour à l'emploi. Si leur dénomination fait clairement référence à la politique sociale menée par Franklin Roosevelt pour sortir les États-Unis de la crise de 1929, ces programmes baptisés « New Deal » et « Welfare to work » font le grand écart entre libéralisme et socialisme. L'une des caractéristiques essentielles du New Deal est de manier simultanément la carotte et le bâton. Les demandeurs d'emploi peuvent se faire financer des formations, voire se faire prendre en charge leur abonnement mensuel dans les transports en commun, mais ils sont tenus de suivre les différentes et contraignantes étapes du programme. Pour ceux qui refusent ou ne respectent pas le contrat, la sanction est lourde. En 2003, 25 000 chômeurs ont été radiés des fichiers d'indemnisation pour ce motif. Mais tout le monde semble y trouver son compte : les chômeurs, le patronat et même les syndicats.

Un succès salué par le TUC

Selon les derniers chiffres du Congrès britannique des syndicats (TUC), 846 000 emplois durables (c'est-à-dire d'une durée supérieure à trois mois) ont été créés depuis l'entrée en vigueur du New Deal en octobre 1998. Le TUC, qui, lorsque le Labour était dans l'opposition, condamnait avec véhémence les projets de retour à l'emploi des gouvernements conservateurs, a radicalement changé de discours. « La politique de retour à l'emploi est un succès », reconnaît sans sourciller Richard Exell, chargé des questions d'emploi au sein de la puissante confédération des syndicats britanniques.

Pour mesurer le succès des programmes de retour à l'emploi mis en place par l'équipe Blair, il suffit de franchir le seuil d'un Jobcentre Plus, l'une de ces superagences de l'emploi qui poussent à vue d'œil, depuis 2001, au Royaume-Uni. À Southwark, l'un des quartiers les plus défavorisés du sud de Londres, le Jobcentre Plus, comme les 543 autres agences de ce type, est équipé d'ordinateurs flambant neufs. La moquette est épaisse, les fauteuils confortables. Et les demandeurs d'emploi sont véritablement considérés comme des « clients ». Mais, selon Stuart Williams, l'un des 10 conseillers personnels (personal advisor, PA) de cette agence locale, au cœur du dispositif de retour à l'emploi, « personne n'est ici pour rigoler ou pour flâner : l'objectif est que les demandeurs d'emploi retournent le plus vite et avec le plus de confiance possible sur le marché du travail ». Car la participation aux programmes de recherche active d'emploi est obligatoire, contrôlée et limitée dans le temps.

David Wellis, 24 ans, sans emploi depuis sept mois, fait partie des chômeurs suivis par Stuart Williams. « La première fois que je suis venu au Jobcentre, j'ai dû prendre rendez-vous avec un conseiller pour faire un bilan de mes compétences et définir les pistes que j'entendais explorer afin de trouver un nouvel emploi », explique ce Londonien d'origine caribéenne, sorti de l'école sans diplôme et qui souhaite travailler dans le tourisme.

Comme chaque demandeur d'emploi, David a perçu pendant six mois 55 livres par semaine (78,50 euros) au titre de l'allocation chômage, ce qui ne l'a pas dispensé de pointer toutes les deux semaines et de faire régulièrement un état de l'évolution de ses recherches avec son PA. « Après six mois, j'ai dû rejoindre le programme New Deal », explique David. Le programme comporte trois phases : une période d'entrée (Gateway) de seize semaines où « on essaie d'identifier et de supprimer les obstacles qui les empêchent de trouver un emploi », explique Stuart Williams. À l'issue de cette première phase commence un cycle de vingt-six semaines (Option) qui permet de faire un stage en entreprise (l'employeur recevant alors 87,40 euros par semaine) ou de suivre une formation professionnelle. Enfin, la dernière étape, dite « de poursuite », d'une durée de seize semaines, combine les deux phases précédentes.

La clé c'est le « personal advisor »

Selon ses très nombreux défenseurs, la clé du succès du New Deal, c'est l'approche personnalisée de chaque dossier par le biais des Personal advisor. Des conseillers pour l'emploi qui disposent d'une enveloppe de 437 euros par « client » permettant de leur acheter des vêtements, de leur faire passer le permis de conduire… En clair, de « supprimer toutes les barrières qui les empêchent de retourner sur le marché du travail », résume Stuart Williams, du Jobcentre de Southwark.

Dans ce quartier où le taux de chômage dépasse les 10 %, comme dans les districts les plus défavorisés du Royaume-Uni, le gouvernement travailliste a mis en place d'autres programmes, Employment zones ou StepUP, qui ont pour point commun de personnaliser le mieux possible les rapports entre le demandeur d'emploi et son conseiller tout en faisant bénéficier les employeurs potentiels de subventions et d'abattements fiscaux.

Pour remettre les chômeurs au travail, le gouvernement a mis la main au portefeuille. De 1998 à 2004, près de 4,3 milliards d'euros ont été injectés dans le New Deal, selon les chercheurs du National Institute of Economic and Social Research. Mais, selon ce centre de recherches, la facture doit être relativisée : « Si l'on prend en compte la baisse des indemnisations de chômage et l'augmentation des contributions fiscales consécutives aux créations d'emplois grâce au New Deal, le coût annuel n'est plus que de 214 millions d'euros. »

Des inégalités persistantes

Si le gouvernement britannique est proche de son objectif initial de 80 % de la population en âge de travailler dotée d'un emploi (contre 74,2 % en 1997), il reste des zones d'ombre. Le TUC remarque ainsi que les jeunes de moins de 25 ans qui ont retrouvé du travail ont du mal à le garder. « Entre un cinquième et un quart des demandeurs d'emploi passés par le New Deal n'ont pas conservé leur poste plus de trois mois », souligne Richard Exell, du TUC. Autre point noir, le gouvernement Blair n'est pas parvenu à réduire les inégalités entre communautés. En moyenne, 40,3 % des Britanniques blancs qui ont bénéficié du programme ont trouvé un emploi durable. Un chiffre qui peut tomber « à 30 %, voire à 20 % pour les communautés les plus éloignées du marché du travail », selon Richard Exell.

Pour y remédier, le ministère britannique de l'Emploi s'est appuyé sur des entreprises privées comme Manpower ou Cap Gemini afin d'aider les chômeurs vivant dans des zones difficiles, comme le quartier de Tower Hamlets à Londres, dont la population est majoritairement originaire du Pakistan ou du Bangladesh. Le programme Working Links propose notamment des cours d'anglais et diverses formations. Mais le chômage au sein de la population immigrée reste supérieur à 20 %. « La politique de retour à l'emploi marche dans les endroits où l'offre d'emploi est forte et où le problème principal est de remettre le pied à l'étrier aux chômeurs. Mais, lorsqu'on est en présence d'un tissu beaucoup moins dynamique, comme dans les anciennes régions industrielles du nord-est de l'Angleterre, cela fonctionne plus mal », observe John Adams, de l'IPPR. C'est bien là que pourrait se situer l'enjeu du troisième mandat de Tony Blair. Si, toutefois, le Premier ministre est réélu.

De curieux « incapacity benefits »

Après les chômeurs de longue durée et les sans-emploi âgés de 18 à 25 ans, Tony Blair s'intéresse de près à ceux qui perçoivent des indemnités réservées aux handicapés et aux personnes ne pouvant travailler. Depuis qu'il est à la tête du gouvernement britannique, le nombre de bénéficiaires de ces « incapacity benefits » (IB) a bondi à 2,5 millions en 2003, contre 570 000 seulement au début des années 80.

« Il est difficile de comprendre pourquoi le nombre de bénéficiaires a été multiplié par quatre en vingt ans, alors que le niveau général de santé publique s'est amélioré », souligne Steve Fothergill, professeur à l'université de Sheffield. Pour cet universitaire, « le taux de chômage est artificiellement bas, car il ne tient pas compte d'une population de sans-emploi déguisés ». Pour étayer son raisonnement, il s'est penché sur les anciennes cités minières et industrielles où les taux de chômage sont largement supérieurs à la moyenne nationale et où le nombre de bénéficiaires des incapacity benefits atteint des niveaux record. C'est notamment le cas de Barnsley, ancienne cité minière du South Yorkshire, où 17,4 % de la population masculine en âge de travailler touche des IB. Après recoupement, Steve Fothergill estime à 9,9 % la part de la population en âge de travailler qui s'est éloignée à dessein du marché du travail en obtenant ces indemnités.

Le gouvernement a dévoilé en février dernier un plan de cinq ans destiné à remettre au travail 1 million de personnes vivant actuellement grâce à des aides sociales accordées pour leur handicap. Une nouvelle fois grâce à la politique de la carotte et du bâton, il distinguera après examen médical et entretien individuel, d'une part, « les handicapés et malades permanents » qui toucheront des indemnités révisées à la hausse (elles s'élèvent actuellement à 80 euros par semaine et à 105 euros après un an) et, d'autre part, ceux jugés aptes à retrouver un emploi.

Ces derniers recevront une indemnité spéciale dite « de réhabilitation », équivalente au montant des indemnités de chômage pour les inciter à retrouver le plus vite possible un travail.

Une réforme plutôt bien accueillie, notamment par le TUC.

Auteur

  • Jérôme Rasetti