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Vie des entreprises

Complétude et Acadomia : des progrès à faire sur le social

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.03.2005 | Olivier Zeller

Surfant sur une demande croissante des familles et sur une fiscalité avantageuse, les champions du soutien scolaire se portent bien. Mais les étudiants qu'ils recrutent à la chaîne pour assurer les cours en profitent peu. Élèves dispersés, faible nombre d'heures, frais de gestion élevés… On comprend pourquoi les enseignants ne sont pas candidats.

Merci Bercy ! Relèvement à 15 000 euros du plafond des dépenses pour emploi de salariés à domicile ouvrant droit à réduction fiscale, instauration d'un crédit d'impôt pour les services à domicile (voir page 25), ordonnance rendant le statut de mandataire accessible aux entreprises privées s'occupant exclusivement des services à la personne, avec TVA à 5,5 % à la clé… les derniers mois auront été particulièrement fructueux pour Acadomia et Complétude, les deux grands spécialistes du soutien scolaire à domicile. Une activité florissante, puisque, si l'on en croit le Centre d'information et de documentation jeunesse, un quart des élèves, collégiens, lycéens ou étudiants suivent des cours particuliers pour améliorer leur niveau dans une matière ou se préparer à des examens. « Les parents sont prêts à tout pour que leurs enfants réussissent. Comme ils ont moins le temps de s'en occuper, leur payer des cours est aussi un moyen de se déculpabiliser », avance Marie-Béatrice Levaux, présidente de la Fédération nationale des particuliers employeurs (Fepem).

Avant tout le monde, Maxime Aiach, diplômé de l'École de management de Lyon, a flairé la bonne affaire. En 1989, ce jeune entrepreneur crée Acadomia avec un emprunt étudiant de 50 000 francs de l'époque. Son idée de génie ? Faire office d'intermédiaire entre les profs donnant des cours particuliers et les familles, souvent désemparées par les mauvais résultats de leur progéniture. Coup de chance, le gouvernement de Michel Rocard décide de mettre en place, en 1991, une réduction d'impôts de 50 % pour emploi de personnel à domicile. Avec ce coup de pouce fiscal, Acadomia est devenu, en une dizaine d'années, le leader français des services à la personne. Et, depuis 2000, année de son entrée au Marché libre de la Bourse de Paris, il affiche une croissance annuelle moyenne de plus de 40 % !

Une idée aussi lucrative ne pouvait faire que des émules. Déjà à la tête d'Objectif Maths, un organisme spécialisé dans les stages intensifs, Hervé Lecat lance, en 1999, Complétude, en copiant à l'identique le modèle imaginé par Maxime Aiach. Une recette gagnante puisque son entreprise est rapidement devenue le numéro deux du secteur. Piqué au vif, Acadomia a dépensé l'an dernier pas moins de 4 millions d'euros en spots radios et en affiches.

Le leader du marché offre, en complément de ses cours particuliers, une batterie de prestations : des tests d'évaluation concoctés avec Nathan, une hot line pédagogique baptisée SOS parents, des ateliers d'entraînement collectif… Le discours se veut professionnel et rassurant : « Nous ne vendons pas des heures de cours mais de la réussite », argumente Philippe Coléon, son directeur général.

Autre avantage sur son concurrent, Acadomia est présent sur l'ensemble du territoire, via un réseau de 73 agences, dont un tiers sont franchisées. Chacune comptant au moins trois ou quatre permanents. Sur son site Internet, Complétude se targue, pour sa part, de disposer de 34 agences régionales. Mais seules sept d'entre elles (Lyon, Marseille, Lille, Nantes, Bordeaux, Toulouse et Strasbourg) emploient un ou deux salariés à temps plein. Les autres sont des coquilles vides : les appels des familles et des enseignants sont, en réalité, routés vers une plate-forme comptant une cinquantaine de téléopérateurs rebaptisés « conseillers pédagogiques », installée à Angers.

Vacataires, assistants, étudiants

Grande différence avec les cours particuliers dispensés par les enseignants des lycées et collèges à leurs ouailles, et souvent payés au noir, ce sont surtout des étudiants qui travaillent pour Acadomia et Complétude. Un choix parfaitement assumé par Hervé Lecat, de Complétude : « Pour réussir leur cursus, ils ont eux-mêmes appris à travailler intensivement et efficacement. De plus, ils représentent ce que les élèves ont envie de devenir. » La communication d'Acadomia, en revanche, est moins claire : « Nos professeurs ont le niveau requis pour enseigner et souvent bien au-delà », lit-on sur ses plaquettes. C'est-à-dire qu'ils possèdent au moins une licence, mais ne se destinent pas nécessairement à une carrière dans l'enseignement.

Seule une infime proportion des profs à domicile employés par les deux enseignes sont des enseignants pur jus. Et pour cause : les salaires proposés par Acadomia ou Complétude sont très au-dessous des exigences des profs certifiés, qui demandent généralement 30 euros l'heure aux familles, et, a fortiori, des agrégés, qui font payer leurs prestations 45 euros l'heure. « Lors d'une récente enquête sur le marché du soutien scolaire, nous avons cherché en vain des professeurs titulaires travaillant pour Acadomia. En effet, cette société fait appel à des vacataires, des assistants d'éducation, des surveillants et des étudiants d'instituts universitaires de formation des maîtres. Ce qui lui permet d'indiquer aux parents qu'une partie de ses profs sont issus de l'Éducation nationale », observe Gisèle Jean, secrétaire générale du Syndicat national des enseignements de second degré (Snes).

Le recours aux étudiants suppose une organisation parfaitement rodée en raison des entrées et sorties permanentes de profs. Pour alimenter leur vivier, Acadomia et Complétude ont quasiment industrialisé leurs recrutements. Au risque d'une sélection parfois approximative. Forte présence sur Internet, VRP chargés de faire de la retape dans les campus, système de parrainage avec récompense à la clé (une carte UGC pour Acadomia, des chèques Fnac pour Complétude)… les deux mandataires utilisent peu ou prou les mêmes appâts pour séduire la population estudiantine.

Un recrutement plutôt expéditif

Chez Acadomia, les 80 000 CV récoltés par courrier ou sur Internet sont filtrés en fonction du diplôme. Les candidats sont ensuite convoqués à une réunion d'information dans l'un des six centres de recrutement ou dans une agence, munis d'un extrait de casier judiciaire, d'une attestation de Sécurité sociale et d'un RIB. Dans la foulée, ils passent un court entretien individuel. « Mon poste d'assistant d'éducation dans un grand lycée parisien a visiblement joué en ma faveur. J'ai été interrogé sur ma motivation, sur les matières que je me sentais capable d'enseigner. Enfin, le responsable de l'agence m'a demandé de parler un peu en anglais », raconte Yvan, 26 ans, prof à Acadomia.

Complétude, qui traite 30 000 candidatures paran, affiche des critères de recrutement identiques (bac + 3 minimum, casier judiciaire vierge…). Mais les procédures sont, parfois, plus expéditives : « J'ai appelé en juillet, sans avoir envoyé de CV, et j'ai eu un rendez-vous dès le lendemain. Nous étions dix à être convoqués à 8 heures. Ceux qui sont arrivés en retard ont été éliminés d'office. Ensuite, on nous a laissé un quart d'heure pour lire une brochure sur l'entreprise, assortie de conseils pédagogiques. Puis nous avons passé un entretien individuel. J'ai répondu aux questions en récitant de mémoire le texte qu'on nous avait remis.

Dès le lendemain, on m'a proposé un cours », témoigne Samuel, 24 ans. Mais, à Complétude, il arrive aussi, en province, que les profs soient uniquement sélectionnés par téléphone.

Aucun des deux mandataires ne forme ses nouvelles recrues. « Pas question de leur transmettre une méthode Acadomia. Il est plus efficace de se caler sur le contenu des cours et les techniques d'apprentissage des profs du collège ou du lycée », souligne Philippe Coléon. Quant aux enseignants de Complétude, ils ont pour seul bagage une brochure, avec des conseils du type : « pensez à donner des explications à la fois orales et écrites » ou encore « parlez avec autorité pour que l'élève ne vous confonde pas avec un copain ». Un peu court, surtout si, comme Samuel, on a affaire, dès la première séance, à une enfant dyslexique.

Passé le cap du recrutement, les enseignants attendent d'être contactés ou consultent les offres. À Complétude, les cours proposés correspondent aux vœux qu'ils ont exprimés selon cinq critères : le lieu, la classe, la matière, la fréquence et la rémunération. Du moins, en théorie. « Alors que je souhaite avoir des élèves de terminale éco sur Paris, on ne cesse de me proposer des cours d'anglais au fin fond de la banlieue », confie Samuel. À charge pour les enseignants de prendre ensuite directement rendez-vous avec les parents. À l'issue du premier cours, si ces derniers acceptent l'enseignant qui leur a été présenté, ils négocient un nombre d'heures avec un conseiller et achètent un nombre équivalent de coupons. La première « commande » ne peut pas être inférieure à vingt-quatre heures chez Acadomia, à dix-huit heures chez Complétude où, depuis peu, les coupons sont néanmoins remboursables. Ces coupons, qui font office de CDD, sont ensuite remis au prof et convertis en salaire.

Zéro formalité administrative

À Acadomia, il suffit à l'enseignant de se rendre sur la partie privative du site Internet et de saisir les numéros figurant sur les coupons pour déclarer ses heures de cours. La rémunération correspondante est virée dans les jours qui suivent. Chaque fin de mois, l'enseignant peut télécharger autant de bulletins de salaire qu'il a d'employeurs. Complétude a mis en œuvre un système un peu moins sophistiqué.

Les profs disposent d'étiquettes qui font office d'identifiant personnel. Ils les collent sur les coupons qu'ils renvoient par la poste. « Tous les coupons reçus avant le vendredi sont rémunérés la semaine suivante », assure Hervé Lecat. En revanche, les fiches de paie arrivent parfois en retard. Depuis septembre 2004, Samuel n'en a pas reçu une seule, alors qu'il a travaillé une dizaine d'heures par semaine. Et, entre les coupons que les parents tardent à lui remettre et ceux qu'il accumule, il lui est difficile de prévoir ce qu'il va gagner dans le mois.

L'avantage du système pour les familles est qu'elles sont dispensées de formalités administratives. Moyennant une cotisation annuelle de 70 euros chez Acadomia – 75 euros pour Complétude –, les mandataires se chargent d'établir à leur place les fiches de paie et recueillent les cotisations sociales grâce à une autorisation de l'Urssaf obtenue de haute lutte il y a deux ans. Le revers de la médaille ? « Beaucoup de particuliers ne savent pas qu'ils sont employeurs. On ne leur dit jamais, par exemple, qu'ils peuvent se retrouver aux prud'hommes en cas de litige avec le professeur de leur enfant ou entre ce dernier et la société mandataire », souligne Marie-Béatrice Levaux, de la Fepem.

Vingt heures par semaine au plus

Pour les étudiants, la formule permet surtout de trouver des élèves sans passer par le système aléatoire des affichettes chez le boulanger du quartier. Elle leur offre également une couverture sociale. Mais cet avantage est très relatif. D'abord, tous les parents ou presque optent pour des cotisations forfaitaires calculées sur le smic (4,89 euros l'heure), donc ouvrant des droits a minima. Ensuite, la plupart des jeunes employés bénéficient déjà de la Sécurité sociale étudiante. Enfin, le volume d'heures est rarement suffisant pour donner droit aux Assedic, à des indemnités maladie ou pour valider des trimestres de retraite.

Au final, leur situation demeure éminemment précaire. Dans les matières les plus prisées, comme les maths ou le français, les meilleurs parviennent à cumuler une vingtaine d'heures par semaine. Sous réserve de réussir à jongler entre 10 et 15 employeurs différents. Ceux qui travaillent pour Complétude ont la possibilité d'animer des stages intensifs organisés par Objectif Maths – deux à quatre heures par jour durant deux à seize jours, rétribués entre 12,50 et 16 euros l'heure. Mais ils n'ont lieu que durant les vacances scolaires.

Autre revers du système, les deux mandataires prélèvent une dîme sur les salaires. Accès aux offres d'emploi, gestion des paies et des emplois du temps, prêt d'ouvrages… le montant de ces prestations, consommées ou non, est facturé aux enseignants de façon forfaitaire au prorata des heures de cours. TVA comprise, il correspond à peu près à la moitié des sommes versées par les parents ! Résultat : la rémunération réellement perçue par un prof d'Acadomia varie suivant sa qualification, le niveau de ses élèves et le lieu des cours, entre 10 et 22,50 euros l'heure, celle de son collègue de Complétude entre 11 et 22 euros l'heure. Prime de précarité et congés payés inclus. Chez Acadomia, depuis cette année, les enseignants s'acquittent en outre d'une assurance qui couvre les accidents durant les trajets. Coût : 12 euros par an. « L'an dernier, l'un d'eux s'est fracturé la jambe dans un escalier et s'est trouvé face à un vide juridique. Il se rendait bien sur son lieu de travail mais l'assurance de l'employeur ne fonctionne que si vous êtes à l'intérieur de son domicile », explique Philippe Coléon.

De facto, les profs étant employés par les parents, leurs trajets ne sont pas assimilés à des déplacements professionnels. Rude, lorsque, comme Samuel, on a cinq élèves éparpillés entre Charenton, Suresnes, Livry-Gargan, Montreuil et Vitry-sur-Seine. « Pour un cours d'une heure, je passe entre deux et trois heures dans les transports », calcule-t-il. Dans ce domaine, Acadomia a l'avantage d'avoir un fichier d'élèves plus fourni que Complétude. Il lui est donc plus facile de trouver des cours peu distants les uns des autres. Enfin, les enseignants ont souvent du mal à se faire payer en cas d'annulation de dernière minute. Idem si, à l'issue du premier cours, les parents décident de ne pas faire appel à leurs services alors qu'ils n'ont pas encore reçu leur carnet de coupons.

No man's land syndical

Pour éviter les départs intempestifs et les infidélités de ses intervenants, Complétude leur fait signer une « convention de prestation de services » par laquelle ils s'engagent pour quatre mois. De son côté, Acadomia exige un préavis d'un mois, assorti d'une amende de 400 euros s'ils s'avisent de négocier avec les parents un paiement de la main à la main. Mais, selon un juriste de la Fepem, « ces menaces sont un coup de bluff dans la mesure où les enseignants n'ont aucun lien de subordination avec les sociétés mandataires ».

Dispersés, inorganisés, peu informés, les profs particuliers n'ont guère les moyens, il est vrai, de faire valoir leurs droits. Faute de temps, rares sont ceux qui se rendent dans les agences pour consulter des guides pédagogiques ou prendre conseil auprès d'un permanent. Un espace est certes dédié aux enseignants sur le site Internet d'Acadomia, mais il ne leur offre aucune possibilité de communiquer entre eux. Bien entendu, les profs des deux leaders du cours particulier ne bénéficient d'aucune représentation syndicale. Et les organisations de salariés ne sont guère désireuses de les défendre. « Les répétiteurs ? Allez plutôt voir du côté de l'enseignement privé », indique-t-on à la fédération CFTC Santé-Sociaux, pourtant signataire de la convention collective du particulier employeur dont relèvent, en théorie, les enseignants donnant des cours particuliers.

« Nos adhérents sont des salariés d'établissements scolaires, alors que les mandataires spécialisés dans les cours à domicile sont des sociétés de services », se défausse, de son côté, Marie-Hélène Brossas, secrétaire générale du Syndicat national de l'enseignement privé laïc CFTC. « Les profs particuliers sont dans un no man's land syndical comme l'ont longtemps été les correcteurs de l'enseignement à distance », reconnaît Marie Braun, secrétaire générale adjointe de la Fédération de l'enseignement privé CFDT. De ces enseignants très particuliers, Acadomia et Complétude n'ont guère à redouter une grève ni à craindre de revendications.

Du champion français de l'économie sociale au mastodonte yankee

Le juteux marché du soutien scolaire vient d'accueillir deux nouveaux acteurs. Domicours est né le 1er septembre 2003 sous l'égide de la Fédération nationale de la Mutualité française, de la Matmut, de la Macif et du groupe Chèque Déjeuner. « L'économie sociale est largement présente dans le secteur des services à la personne. Il était donc logique qu'elle investisse le marché du soutien scolaire à domicile », souligne Jean-François Cochet, directeur général de Domicours. D'autant que les mutuelles finançaient déjà du soutien scolaire pour leurs sociétaires. Domicours compte bien tirer profit du portefeuille de clients de ses fondateurs.

Prestataire, la société emploie ses enseignants en CDI à temps partiel. « Ce statut nous permet de les fidéliser. En outre, il est indispensable pour que les parents puissent payer avec des titres emploi service financés par les comités d'entreprise », argumente Jean-François Cochet. Pour recruter, Domicours a tissé des liens avec La Mutuelle des étudiants.

Le second acteur, Sylvan, est un groupe américain, coté au Nasdaq, qui compte plus de 2 000 franchisés dans le monde. Chargé d'implanter la formule en France, Jean-Michel Roques a mis trois ans et demi à l'adapter aux programmes de l'Éducation nationale. Concrètement, l'élève se rend dans un « espace Sylvan » où ses lacunes sont évaluées grâce à des tests concoctés en partenariat avec Hachette Éducation.

Pour compenser l'absence de réduction fiscale, Sylvan facture l'heure de cours à 22 euros, un tarif très inférieur à celui de ses concurrents. Il peut se le permettre car chaque formateur suit non pas un, mais trois élèves à la fois. Tous sont enseignants, recrutés en CDI.

Salaire ? Entre 16 et 20 euros brut l'heure. L'entreprise compte déjà six franchisés. « Nous avions prévu 42 signatures fin 2006. Si nous continuons sur notre lancée, cet objectif devrait être atteint avec un an d'avance », espère Jean-Michel Roques.

Auteur

  • Olivier Zeller