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Un coup d'épée dans l'eau ?

Repères | publié le : 01.03.2005 | Denis Boissard

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Un coup d'épée dans l'eau ?

Crédit photo Denis Boissard

Beaucoup de bruit… pour pas grand-chose. La « réforme » des 35 heures a permis à la scène politico-sociale hexagonale de se livrer à une de ces empoignades idéologiques dont elle raffole. Le bon vieux clivage binaire et un tantinet caricatural gauche contre droite, syndicats contre patronat, a joué à plein, à grands coups de slogans et d'invectives. Tandis que la droite se targue de réhabiliter « la valeur travail » en permettant aux salariés – qui n'attendraient que cela – « de travailler plus pour gagner plus », la gauche dénonce par la bouche de Martine Aubry et avec le sens de la mesure qu'on lui connaît un retour de « 40 ou 50 ans en arrière ». Alors qu'après avoir joué la mouche du coche auprès du gouvernement, le Medef pavoise bruyamment – « mission accomplie », se félicite Ernest-Antoine Seillière –, les syndicats mobilisent pour empêcher ce qu'ils dénoncent comme un « arrêt de mort » des 35 heures, une « attaque en règle » contre un acquis social.

Alors, détricotage, contournement, abrogation, démantèlement, mise à bas des lois Aubry ? La réalité est plus prosaïque que ce que laissent accroire les rodomontades satisfaites des uns ou les déclarations alarmistes des autres. Et on peut parier que cette réformette n'aura qu'un impact limité sur le terrain, dans la pratique des entreprises. D'abord parce que le gouvernement n'a pas osé toucher au tabou des 35 heures, qui reste la durée légale du travail. Dès lors, les « assouplissements » permettant aux entreprises de faire travailler leurs collaborateurs plus longtemps se traduiront par un alourdissement de leur masse salariale : chaque heure travaillée au-delà des 35 heures devra être rémunérée, voire majorée.

En outre, ce surcroît de travail sera en principe effectué sur la base du volontariat, ce qui rendra extrêmement difficile sa programmation pour l'entreprise.

Enfin, ces mesures d'assouplissement et la façon dont les entreprises pourront en user seront conditionnées par la signature d'un accord de branche ou d'entreprise, soumis aux nouvelles règles de validation ou de non-opposition majoritaire… On voit mal les syndicats avaliser facilement des dispositions qu'ils auront combattues la veille. Gageons donc que les entreprises y réfléchiront à deux fois avant d'utiliser des mécanismes qui, à l'usage, risquent de se révéler moins flexibles que le recours classique à l'intérim ou à la sous-traitance.

Si l'on se réfère à l'expérience des premiers assouplissements – ceux prévus par la loi Fillon du 17 janvier 2003 –, le relèvement du contingent d'heures sup de 180 à 220 heures par an et par salarié, et la possibilité par accord de branche ou d'entreprise de dépasser ce contingent pour les salariés qui le souhaitent ne feront pas forcément un tabac : 22 branches sur 274 ont alors renégocié leurs accords de RTT et… seules 14 d'entre elles ont revu à la hausse leur volume d'heures supplémentaires. Le succès du compte épargne temps monétisable – les heures stockées pouvant être rémunérées plutôt qu'octroyées sous forme de congés – risque aussi d'être tout relatif : moins d'un salarié sur cinq bénéficie aujourd'hui d'un tel compte, les employeurs trouvant généralement cet outil coûteux et lourd à gérer. Les accords dits de « temps choisi », permettant aux salariés volontaires d'effectuer des heures au-delà du contingent légal ou conventionnel et aux cadres de renoncer à des jours de RTT en contrepartie d'une majoration salariale, se substitueront-ils aux petits arrangements actuels, beaucoup d'entreprises rémunérant les jours de RTT non pris par leurs salariés ? Rien n'est moins sûr.

Dans les grandes entreprises, cette vraie-fausse réforme ne devrait rien changer : la plupart d'entre elles sont parvenues, souvent difficilement, à un accord équilibré troquant flexibilité des horaires contre diminution du temps de travail, et n'entendent nullement revoir leur copie et l'organisation du travail qui en résulte. Les petites entreprises (moins de vingt salariés) continueront d'échapper aux 35 heures, la proposition de loi UMP prorogeant de trois nouvelles années le régime très favorable de majoration des heures sup que leur avaient provisoirement accordé les lois Aubry.

Quant aux PME, leur recours aux nouveaux assouplissements sera conditionné non seulement par des carnets de commandes suffisamment étoffés (en 2003, le nombre moyen d'heures supplémentaires par salarié s'est élevé à 60 heures par an, bien loin du volume autorisé), mais aussi par des syndicats plutôt compréhensifs. Ce n'est pas forcément gagné.

Habile dans la mesure où elle désamorce le forcing des libéraux et du patronat sans toucher au symbole des 35 heures, cette « réforme » risque d'être un coup d'épée dans l'eau. Et, au passage, on notera qu'en violation de l'engagement solennel pris lors de l'adoption de la loi du 4 mai 2004 sur le dialogue social, le gouvernement est passé en force – via l'artifice d'une proposition de loi – sans saisir au préalable les partenaires sociaux. Indécrottables étatistes !

Auteur

  • Denis Boissard